La conversion, un chemin semé d’embûches

Particulièrement exigeant, le gyour reste sous monopole orthodoxe. Une question qui fait débat alors que les candidats à la conversion sont de plus en plus nombreux

Une jeune femme qui se convertit (photo credit: BARUCH LIOR)
Une jeune femme qui se convertit
(photo credit: BARUCH LIOR)

Voilà une question que les pères fondateurs du sionisme n’auraient certainement pas pu prévoir. La population non juive a tant augmenté en Israël que la conversion est aujourd’hui un débat incontournable.

Lors de la naissance de l’Etat hébreu, les olim non juifs n’étaient que peu nombreux à rejoindre les rangs de la Terre Sainte, l’assimilation étant à l’époque un luxe pour les communautés juives d’Europe centrale et du Moyen-Orient, totalement ghettoïsées par la xénophobie ambiante de leurs pays d’origine. La fuite des persécutions et l’idéologie sioniste sont à l’époque les seuls facteurs de l’immigration vers la Palestine, Israël étant un pays en gestation peu attractif, à l’économie très fragile. Mais le développement accéléré de l’Etat israélien au milieu des années 1980 génère un nouveau type d’aliya, marquée par des considérations parfois autant financières que spirituelles.
Le point d’orgue de cette tendance sera l’arrivée massive de l’aliya russe, à la suite de la chute de l’Union soviétique. Pour la première fois de son histoire, Israël accueillait comme nouveaux citoyens des réfugiés non juifs, de l’ordre de 300 000, dont les attaches au judaïsme avaient été anéanties par la pression communiste, le mariage mixte étant alors la règle dans une Russie officiellement athée. La plupart d’entre eux n’ont qu’un père ou un grand-père juif. Cette situation, dans un Etat qui se définit autant juif que démocratique, pose question. Avec qui ces nouveaux Israéliens pourront-ils se marier ? Où seront-ils enterrés ? La conversion semble alors la voie la plus logique pour ces citoyens désireux de s’intégrer. Pourtant, quelques milliers de cas sont à observer seulement, surtout du côté de la gente féminine qui cherche à se marier. La plupart de ces ressortissants, eux, sont découragés par un processus qui s’avère très long et rigoriste. Et abandonnent d’autant plus facilement que l’Etat leur accorde les mêmes droits et avantages (hormis le mariage religieux) qu’à l’ensemble de ses citoyens.
Loi du retour et conversion
Le problème n’en est pas résolu pour autant. A l’heure actuelle, près de 400 000 Israéliens qui se déclarent juifs ne sont pas considérés comme tels par la Halakha. Un chiffre en hausse constante sous la pression de la natalité : près de 4 500 enfants non juifs, mais qui se définissent comme juifs, naissent chaque année sur le sol israélien. Un phénomène qui augmente aussi parce que certains, exclus de la Houppa en raison de leurs origines, se tournent d’autant plus facilement vers des unions mixtes, faisant redouter aux autorités religieuses une hausse de l’assimilation.
Comment y remédier ?
C’est notamment le combat du Rav Haïm Amsellem, ancienne figure du parti Shas, dont le livre Zera Israël (en français : la semence d’Israël, un terme qui désigne la descendance non juive du peuple israélite) prône la libéralisation des conversions en faveur de la communauté soviétique en Israël. Pour le Rav, beaucoup de ces citoyens ont abandonné l’idée d’une conversion à la suite des exigences du Beth Din, intransigeant face à la pratique scrupuleuse des 613 mitsvot édictées par la Torah. Ce changement radical de vie étant impossible du jour au lendemain. Selon lui, la conversion ne doit pas exiger une pratique ultraorthodoxe mais le respect des lois fondamentales du Talmud. Etayant son propos, le rabbin avance des études prouvant que 40 % de ces Soviétiques voulaient se convertir avant leur arrivée en Israël mais que ces chiffres tombent à 20 % une fois sur place, face à l’exigence du processus. D’ailleurs, selon un récent sondage de la Knesset, les conversions d’Israéliens d’origine russe ont baissé de 23 % depuis 2011. Au total, les conversions ne représentent qu’entre 2 000 et 4 000 personnes par an en Israël (4 239 en 2011).
Pour le Rav Amsellem, la solution est une plus grande flexibilité dans la conversion de ces « Zerah Israël ». Et un accueil « plus humain » de ces personnes converties. Un certain nombre de jurisprudences religieuses (Poskim) ont d’ailleurs été écrites à ce sujet dans le passé, cette situation étant loin d’être inédite au regard des décisions entreprises par les autorités rabbiniques séfarades du Maroc, d’Algérie, de Tunisie ou encore d’Espagne. Le célèbre rabbin Maïmonide estimait en son temps que la transgression des enseignements de la Torah pouvait être justifiée pour sauvegarder un judaïsme en péril. Un parallèle intéressant avec le développement actuel des mariages mixtes en Israël, véritable fléau pour le monde religieux : la population israélienne risque en effet d’être un jour scindée en deux si rien n’est fait rapidement.
L’Etat, lui, n’a visiblement pas encore tranché. Actuellement, l’ensemble des conversions sont reconnues pour les candidats à la Loi du retour (permettant à tout Juif d’obtenir la nationalité israélienne). La conversion libérale, cas plus que limite du point de vue orthodoxe, est elle aussi reconnue depuis l’arrêté de décembre 2002 de la Cour Suprême. Seule condition : que le converti puisse faire preuve d’un an de contact avec une communauté juive en diaspora (les lettres de recommandation étant souvent de mise) auprès de l’Agence juive. Au grand dam des partis politiques religieux qui tentent régulièrement de faire changer la loi mais se heurtent au refus de l’Etat, qui ne veut pas se couper du puissant judaïsme américain, très proche du mouvement.
Les courants libéraux et traditionalistes (beaucoup moins rigoristes que le milieu orthodoxe) ont également la possibilité de pratiquer des conversions en Israël, reconnues par le ministère de l’Intérieur, à la condition notable qu’en fin de processus, ces conversions reçoivent l’accord du rabbinat orthodoxe. Certains spécialistes de la question se plaignent d’ailleurs en privé qu’un certain nombre de convertis au mouvement libéral font usage de la Loi du retour pour ensuite accéder à une conversion religieuse orthodoxe en Israël, jugée plus facile qu’en Diaspora en raison de l’environnement ambiant du pays (restaurants cashers, fêtes religieuses fériées…).
Plus généralement, la peur de la « conversion-visa », processus accéléré et peu engageant qui permettrait à certains de s’installer dans l’Etat juif, « à peu de frais », par opposition aux candidats à la conversion orthodoxe qui prouveraient ainsi davantage leur désir de faire partie de la nation, se fait sentir chez certaines instances religieuses.
Le programme « Shvout » a été créé en partenariat avec l’Agence juive afin d’accompagner et faciliter la conversion orthodoxe en Israël des candidats francophones. Son directeur Baruch Lior se félicite de sa réussite : « Nous accueillons dans un village de Samarie des jeunes de 18 à 30 ans ayant des origines juives et souhaitant se convertir avant de faire l’aliya. Nous leur proposons un programme intensif d’études juives et nos élèves sont présentés devant le Beth Din à la fin de l’année après 10 mois d’apprentissage, avec un taux de réussite de près de 100 % ». Le kibboutz Ein Hanatsiv et l’Oulpan Giour de Jérusalem du Rav Abraham Sellem sont également des centres incontournables pour les Israéliens francophones, souhaitant faire reconnaître leurs conversions auprès du Grand Rabbinat israélien.
Un monopole incontournable ?
Reste cependant la principale pierre d’achoppement : le monopole orthodoxe sur les mariages. Les convertis au judaïsme libéral ne sont pas autorisés à s’unir via le Grand Rabbinat. Conséquence, en 2010, le ministère de l’Intérieur a enregistré 9 300 couples mariés à l’étranger, principalement aux Etats-Unis et à Chypre. Un débat qui rejoint celui du mariage civil, régulièrement exigé par une partie de la population laïque qui souhaite s’unir via d’autres courants religieux, voir même entièrement civilement. Autre point d’accroche : seuls les candidats à la conversion orthodoxe bénéficient des importants avantages offerts aux nouveaux immigrants, au détriment de ceux qui choisissent une conversion libérale ou traditionaliste en Israël. Les frustrations accumulées nourrissent plus généralement les tensions entre l’orthodoxie d’une part et les autres courants, de l’autre. La bataille pour définir les modes de prières acceptables au Kotel est un autre exemple qui s’est illustré dans l’actualité ces derniers mois.
La question des conversions est également d’ordre politique. La jurisprudence est particulièrement riche à ce sujet. La Cour suprême a notamment sommé en 2009 l’Etat de subventionner les conversions entreprises par le rabbinat non orthodoxe, au nom de l’égalité. En 2010, le député David Rotem (Israël Beiteinou) avait essayé de faire voter une loi déléguant aux rabbins municipaux le pouvoir de valider une conversion, afin de contourner le monopole harédi. L’ancien Premier ministre Ariel Sharon s’est beaucoup battu pour libéraliser les conversions afin de faciliter l’intégration des immigrants russes dans le pays.
Un rapport remis le 20 août 2007 au Premier ministre de l’époque Ehoud Olmert, recommandait également de mettre en place une nouvelle administration pour préparer les candidats au processus. Enfin en 2011, le ministère de l’Intérieur a annoncé que l’approbation du Grand Rabbinat ne serait plus requise dans la reconnaissance des conversions orthodoxes pratiquées à l’étranger, l’Agence juive ayant obtenu cette prérogative. De son côté, le célèbre think tank « Israël Democracy Institute » milite pour la libéralisation des conversions en Israël, afin de lutter contre les discriminations à l’encontre des citoyens dans le pays.
Reconnues ou pas, les conversions effectuées par les courants non orthodoxes sont en tout cas en plein essor. L’année dernière, le mouvement libéral a supervisé 330 conversions dans le pays. Le rabbin Gregory Kotler, directeur du programme des conversions du Mouvement libéral israélien, estime ainsi qu’il y a « 10 % d’augmentation de conversions en plus pour ce courant chaque année ». Environ un tiers des personnes concernées seraient ces Israéliens d’origine soviétique susmentionnés. Les candidats restants sont pour la plupart des étrangers sur le point se marier avec des Juifs israéliens, ainsi que des enfants adoptés à l’étranger ou nés de mères porteuses dans un pays tiers. Selon la loi israélienne, ces enfants doivent être convertis, mais pas nécessairement par les rabbins orthodoxes, pour que leurs parents juifs puissent obtenir la garde, ce genre de situation étant de surcroît en pleine expansion. Ce mode de gyour est également extrêmement prisé par la communauté gay, désireuse d’afficher son judaïsme, mais rejetée par un rabbinat hostile à l’homosexualité.
L’armée est également un centre névralgique des conversions dans le pays. Chaque année, environ 800 militaires se convertissent au judaïsme dans Tsahal, le programme « Nativ » étant notamment à l’origine de ce succès. Une opportunité intéressante sachant qu’un soldat sur cinq est un immigrant. Cette conversion semble de loin la meilleure solution, car les jeunes candidats n’ont pas besoin de se présenter devant le tribunal rabbinique civil, qui généralement, multiplie les exigences et les difficultés. Mais ces bons résultats n’occultent pas les difficultés.
En 2008, plusieurs convertis avaient vu leurs gyours annulés par le Grand Rabbinat, celui-ci jugeant les conditions de ces conversions militaires beaucoup trop laxistes.
Dans ce débat qui passionne le pays, il ne faut pas non plus oublier les convertis qui n’avaient aucune attache au judaïsme par le passé.
C’est notamment le cas de Tsipora, chrétienne évangéliste d’origine corse, venue en Israël pour faire du bénévolat, par la suite séduite par les discours des rabbanim. Ou de Julia, cette jeune Parisienne d’une grande école, vivant dans l’opulence à Monaco, tombée sous le charme du judaïsme après son profond dégoût du matérialisme dans son milieu. A la question de savoir quelles sont les plus belles histoires vécues par son programme, Baruch Lior n’hésite pas une seule seconde : « Je me rappelle de cette jeune tchèque francophone qui n’avait aucune attache juive, excepté un grand-père mort à Auschwitz. Sa famille était totalement assimilée et elle n’avait aucun droit financier pour Israël. Mais on l’a aidé à trouver des aides et sa conversion fut un succès. Sans oublier le cas de cette jeune fille du sud de la France qui n’avait aucune attache juive, mais qui ne comprenait pas pourquoi ses parents faisaient certains rituels comme séparer le lait et la viande. Il s’avérait qu’ils étaient d’origine espagnole, ils étaient sûrement des descendants de marranes. Elle a réussi sa conversion, ainsi que sa sœur quelque temps après et enfin sa mère, qui avait alors plus de 65 ans ».