La facture de la guerre

La guerre n’est pas sans conséquences sur l’économie du pays et la course aux compensations financières est lancée. Le ministère des Finances est attendu au tournant.

La facture de la guerre (photo credit: DR)
La facture de la guerre
(photo credit: DR)
L’Etat tout entier est pénalisé par le conflit et le manque à gagner frappe tous les secteurs d’activité à plus ou moins grande échelle. Même si les roquettes gazaouies peuvent désormais atteindre le centre du pays, c’est seulement dans un rayon de 40 km autour de la bande côtière que les administrés sont concernés par des mesures compensatoires. Pour autant, l’ensemble de l’économie est touchée. Pour l’heure, par manque de recul, « les estimations précises sur les effets de l’opération Bordure protectrice et son coût ne sont pas encore connues à ce jour », affirme laconiquement Ram Alafia, porte-parole pour les relations publiques au ministère des Finances. Ran Kitivi attaché au même ministère confirme que des investigations sont en cours, ce qui prendra plus ou moins de temps selon les secteurs d’activité.
Une dérobade ? Selon plusieurs sources gouvernementales, le coût économique de la guerre serait estimé à ce jour à quelque 10 milliards de shekels, soit 2,89 milliards de dollars. Lors d’une conférence de presse, Yaïr Lapid ministre des Finances, s’est voulu rassurant : « Israël a une économie forte et durable et sera capable d’absorber ce coût de l’opération dans le budget 2014 », a-t-il déclaré. Mais encore.
Dans son rapport publié ces derniers jours, l’Agence internationale de notation Fitch pointe qu’une première estimation du ministère des Finances situe l’impact économique direct et indirect à hauteur de 0,1 % du PIB. « L’impact sur les revenus commence à se faire sentir avec une consommation plus faible et des reports dans les collectes d’impôts », constate l’Agence qui n’en conserve pas moins son « A » à Israël. Certes, le shekel a bien résisté, le tsunami boursier n’a pas eu lieu, mais le conflit représente un risque potentiel pour la croissance, avec une baisse des recettes touristiques, assortie d’une chute de confiance des entreprises et des consommateurs.
Pour autant, selon la Banque centrale d’Israël, la croissance de 2,9 % prévue pour 2014 ne devra être revue à la baisse que d’un demi-point seulement. De l’avis du ministre des Finances, l’augmentation des dépenses publiques devrait osciller entre 0,3 % et 0,6 % du PIB et se répartirait sur les années 2014 et 2015. Quant au déficit prévu de 3 %, il ne devrait pas dépasser les 2,6 % du PIB en 2015 malgré la guerre, grâce aux recettes excédentaires de ce premier semestre qui en limiteront l’impact, avance Lapid. Mais pour ce faire, « l’Etat aura besoin de procéder à des coupes budgétaires et les impôts devront rapporter 20 milliards dans les caisses », prévient Fitch. Ce qui n’a pas empêché le ministre des Finances d’affirmer haut et fort qu’aucune hausse des impôts n’était à prévoir. Fanfaronnade ?
L’heure des comptes
Le ministère des Affaires sociales a déjà disposé d’une enveloppe de 12 millions de shekels pendant le conflit. « Ces sommes ont été versées aux municipalités et conseils régionaux des zones particulièrement exposées, situées autour de la bande de Gaza dans un rayon de 40 kilomètres », explique Rony Melchaï, porte-parole du ministère. « Un rapport de terrain concernant les besoins spécifiques de ces localités est attendu et des sommes supplémentaires seront allouées », promet-elle. Les bénéficiaires en sont les familles monoparentales, les personnes âgées et, de façon générale, les populations les plus fragilisées.
« Une partie des fonds reçus a servi à la construction de nouveaux abris sécurisés », explique Melchaï. A Netivot par exemple, ils sont apparus en nombre dans les espaces publics, d’une blancheur immaculée qui tranche avec la vétusté des bâtiments. « Cette enveloppe a aussi permis à des familles défavorisées ou des enfants, de se rendre dans le Nord du pays, dans des zones épargnées par le conflit », fait-elle remarquer.
En outre, « le gouvernement va prendre des mesures pour compenser les pertes du commerce local, nous établirons des priorités pour le budget 2015 et mettrons en œuvre les changements appropriés qui s’imposent », promet Lapid. Mais Yossef, chauffeur de shirout, qui fait la navette entre Netivot et Sderot, un trajet particulièrement exposé, n’y croit pas. « Je n’ai eu pratiquement personne pendant un mois », déplore-t-il. « Personne n’a envie de se retrouver sur la route, loin des abris, pendant une alerte ». Une perte sèche pour ce chauffeur qui touche un maigre fixe mensuel et un pourcentage sur le nombre de clients – dont il s’est vu privé. « C’est le balagan », dit-il en levant les yeux au ciel résigné, « ceux qui vendent de la nourriture ont plus de chance, il faut bien que les gens mangent, mais moi… »
Même son de cloche chez Simo Zrihen qui tient un salon de coiffure à Netivot et n’a pas eu de clients pendant un mois. « On n’a pas trop envie de devoir courir aux abris pendant qu’on fait sa couleur », plaisante une cliente, papillotes d’aluminium sur la tête, qui profite de la trêve. « Il était temps que ça se calme, j’avais des racines comme ça », ajoute-t-elle en suggérant leur longueur entre le pouce et l’index. Simo n’a rien gagné pendant un mois et espère se rattraper dans les semaines à venir. « Mais j’ai dû payer mon loyer quand même », lance-t-il résigné. « Heureusement que je n’ai pas d’employé », dit-il, « je les aurai payés comment, avec quoi ? »
L’agriculture, un champ de courage
« L’agriculture est un secteur pour lequel il est relativement aisé d’établir le manque à gagner », affirme Ran Kitivi du ministère des Finances, « une récolte, qui n’a pas pu se faire en raison du danger et a pourri sur place, sera remboursée sans problème », dit-il. Mais les exploitations agricoles ont continué à fonctionner coûte que coûte, au prix de sacrifices à la sécurité des exploitants et de leurs employés. « Nous avons continué à travailler pendant toute la guerre », confirme Haïm Landesman. Cet habitant de Shaar Haneguev, une localité particulièrement frappée, travaille comme employé agricole et surveille les systèmes d’irrigation. En cas d’alerte, pas d’abris, impossible de se protéger. « On prie », lance-t-il, philosophe. « Heureusement, il y a beaucoup de miracles », entend-on dire partout.
A noter que seul un employé agricole a perdu la vie durant ce conflit.
C’est dans le kibboutz Saad, non loin de la frontière avec Gaza, que Go-Carrots, une exploitation agricole de carottes et sa petite entreprise d’emballage du légume ont installé leurs quartiers. « Comme nous n’avons pas d’abris dans les champs, les jours les plus dangereux, les employés restaient chez eux », explique Sarah Pollack, une habitante du kibboutz. « Les autres jours, ils venaient travailler comme d’habitude », se félicite-t-elle.
Le kibboutz exploite aussi une ferme laitière. Les vaches n’attendent pas, et il faut bien les traire. « Nous n’avons pas vraiment de manque à gagner, car nous avons tous fait des efforts pour assurer le travail », se félicite Sarah. En revanche le kibboutz s’est mis en frais pour assurer sa sécurité. « Nous avons acheté des abris supplémentaires, des équipements de sécurité », dit-elle, « nous avons investi dans le transport pour nos employés et pour les enfants que nous avons envoyé dans le Nord », explique-t-elle. « Cela pèse sur notre budget, mais on n’a pas le choix, il faut faire face à la situation ».
Sarah Pollack, elle, travaille chez Syfan, la fabrique locale d’emballage plastique. Ikea est leur principal client. « Au début de la guerre, ils nous ont dit que, comme nous étions très exposés, ils allaient se tourner vers une autre entreprise. Mais nous leur avons assuré qu’il n’y aurait aucun retard dans les livraisons. Pour ne pas perdre notre plus gros client, tous les employés ont mis un point d’honneur à venir travailler tous les jours », annonce-t-elle fièrement.
Quand l’indépendance coûte cher
Le ministère du Travail a annoncé que les jours chômés par les salariés en raison du danger que représentait la guerre pour leur sécurité, seront considérés comme des jours travaillés et non pas comme des jours de vacances.
Mais les travailleurs indépendants, eux, restent sur le carreau. Les différents ministères interrogés adressent les plaignants à l’administration fiscale qui les renvoie à son site internet pour les informations et le téléchargement des formulaires à remplir pour percevoir des rémunérations compensatoires. Elles sont calculées en fonction du chiffre d’affaires déclaré l’année précédente sur la même période d’activité.
Hillel Lerner habite le kibboutz Brohar et pratique la médecine alternative à Ashkelon et Tel-Aviv. A chaque conflit, il perd environ 50 % de son chiffre d’affaires. « Et ensuite, il me faut encore un mois pour que tout revienne à la normale », précise-t-il. Encore que la normalité ne soit plus qu’un vieux souvenir. « Les médias ne rapportent pas toutes les roquettes qui tombent ici », regrette-t-il. Les compensations qu’il a perçues suite aux autres conflits étaient tellement dérisoires et longues à venir qu’il se demande si ça vaut la peine d’en passer par le parcours du combattant bureaucratique qui l’attend.
La restauration qui profite de la manne touristique pour faire son chiffre estival, déplore aussi un manque à gagner. A Sderot, le Merkaz Shawarma Hazan sur la place, est une affaire familiale. Ici pas de pièce sécurisée, et pas le temps en quinze secondes de s’abriter dans l’un des abris publics. « On se met près des toilettes, là où il n’y a pas de fenêtres », raconte Yehoudi le propriétaire du lieu, « mais c’est Dieu qui nous protège », ajoute-t-il dans un sourire confiant.
Pas question d’avoir des employés en ces temps difficiles. C’est les vacances scolaires et toute la famille met la main à la pâte : les 3 filles de Yehoudi et sa femme Esti sont réquisitionnées. « Il y a des jours où on ne voyait presque personne. Heureusement de temps en temps l’armée nous commandait des shawarmas pour les soldats. Cela nous a aidés à tenir », se félicite Yehoudi, le chef de famille. « Mais vous savez, la solidarité est grande ici et ça nous évite de nous apitoyer sur notre sort. Par exemple, à chaque fois que des soldats entrent pour s’acheter un shawarma, systématiquement les clients présents les invitent. Cela réchauffe le cœur. »
La crise est aussi difficile à gérer pour les professionnels de l’immobilier rémunérés à la commission, d’autant plus que l’été est leur meilleure saison. Ce secteur connaît un certain ralentissement à chaque conflit, suivi d’une reprise, mais l’étendue géographique de celui-ci est plus lourde de conséquences. « On comptait sur les olim qui arrivent et cherchent à se loger et qui pensaient acheter. Mais ils sont échaudés devant les prix et le conflit et se rabattent sur la location », constate Chantal Delevanti qui déplore le gel du marché et se montre sceptique quant à la reprise promise. « Ils ont peur de prendre un prêt, car ils craignent que la guerre n’ait des conséquences sur l’emploi », prévient-elle. N’étant pas en activité dans les fameux 40 km réglementaires, Chantal ne s’attend à aucune compensation même si le manque à gagner devait perdurer.
La Défense, le grand gagnant
Le ministère du Tourisme estime les dommages sur l’industrie touristique à hauteur de 2,1 milliards de shekels. Amir Halevi, directeur général du ministère du Tourisme, se félicite de la décision du gouvernement d’annuler les limites géographiques d’indemnisation (40 km autour de Gaza) pour ce secteur d’activité. Un fonds d’indemnisation d’un budget de 400 millions de shekels ira aux entreprises touristiques pénalisées par l’opération Bordure protectrice qui répondront aux critères sur l’évaluation des dommages. Un report de paiement sera accordé aux entreprises qui ne peuvent pas faire face aux échéances de la Arnona (impôt foncier et locatif) des mois de juillet à septembre 2014, assorti d’une aide financière en flux de trésorerie.
« L’objectif est d’aider les PME (petites et moyennes entreprises) et d’éviter que des employés perdent leur emploi, ce qui laisserait beaucoup de familles sans ressources », note Anat Shihor-Aronson, porte-parole adjointe du ministère. « Les entreprises avaient fait des prévisions optimistes pour la saison avec embauche de personnel, rénovations, achat d’équipement, et souscrit à des prêts, et le retour sur investissement n’est pas au rendez-vous », précise-t-elle. Halevi se dit convaincu que l’aide demandée au gouvernement est réaliste et même inférieure au préjudice réel, mais devrait suffire à relancer l’économie et soutenir l’emploi.
De son côté, Ouzi Landau, ministre du Tourisme, se veut rassurant et prédit une reprise d’activité imminente. Isabelle Cohen est guide touristique et fait, elle, un constat amer : « Tous mes groupes ont été annulés pour juillet et août. Sur mon site guide-israel.info, c’est le calme plat et j’ai même des annulations pour septembre et octobre. C’est simple, c’est la catastrophe. Et le manque à gagner est difficile à prouver. J’ai des mails d’annulation, mais est-ce que ça va suffire pour toucher des indemnités ? », s’inquiète-t-elle.
Pour l’heure, le ministère de la Défense est le grand gagnant de l’opération Bordure protectrice, alors que son budget pâtissait de coupes sérieuses qui l’affectaient notamment au niveau de l’entraînement des réservistes. A l’issue d’une session houleuse, il se voit doté par 8 voix contre 5, d’une rallonge de 3,3 milliards de shekels, dont 2,2 iront au renseignement. Et ce, au détriment d’autres portefeuilles des dépenses civiles, sociales notamment, transports publics, développement du secteur de l’eau et de la préparation aux tremblements de terre qui devraient être grevés d’un demi-milliard de dollars.
Quant aux constructeurs d’abris sécurisés qui tournent 24 heures sur 24, ils ont fait leurs choux gras du conflit. Jusqu’au prochain ? A voir le flux de commandes qui ne faiblit pas, il semblerait que les clients soient nombreux à le craindre et que cette industrie ait de beaux jours devant elle.
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