La nouvelle femme

Une exposition observe les figures féminines dans la photographie, en Allemagne et en Palestine, sur les années 1930-1950

Liselotte Grschebina, Lanceuse de disque, 1937 (photo credit: ISRAEL MUSEUM)
Liselotte Grschebina, Lanceuse de disque, 1937
(photo credit: ISRAEL MUSEUM)
Une des images les plus marquantes de l’exposition de photographie actuellement présentée au musée de la ville de Haïfa, est celle d’une jeune femme juive, vêtue d’une veste blanche et d’un short, sur le point d’entamer une discussion. La photo en noir et blanc, est prise par Liselotte Grschebina en 1937, l’une des plus importantes femmes photographes travaillant alors en Palestine.
Cette femme pourrait être prise pour une athlète olympique qui s’apprête à réaliser une prouesse sportive. Plusieurs autres portraits d’athlètes réalisés dans le même style affichent une ressemblance avec les sculptures de l’antiquité classique.
Ceux qui connaissent le travail de la réalisatrice de cinéma allemande Leni Riefenstahl remarqueront la similitude des clichés : une glorification du corps, semblable à ce que le leader sioniste et auteur Max Nordau appelait le « judaïsme du muscle ». La photographie de Grschebina est l’exemple de ce que les commissaires de l’exposition, Zohar Efron et Anna Georgiev, appellent dans leur catalogue la « nouvelle femme » – une figure alternative définie comme forte, sophistiquée, indépendante et décadente.
Nouveaux idéaux : la figure féminine dans la photographie, le titre de l’exposition, montre ainsi une sélection de photographies de la période du Mandat britannique en Palestine, et de la République de Weimar en Allemagne, et inclut également des photos récentes d’Israël. L’intention des conservateurs est d’explorer, à travers le travail de d’hommes et femmes photographes, le statut de la femme dans le domaine de la photographie, au cours du XXe siècle. Une entreprise ambitieuse.
Un métier au féminin
C’est Zohar Efron qui a eu l’idée initiale de monter cette exposition. « Quand j’ai commencé à travailler au musée, j’ai remarqué une photographie des années 1930 prise par deux femmes. J’étais curieuse de savoir qui étaient ces deux photographes et si elles étaient professionnelles. J’ai ensuite parcouru un article du Dr Rona Sela – conservatrice, historienne d’art et professeur à l’université de Tel-Aviv – sur le sujet des femmes photographes en Palestine », raconte-t-elle.
« J’ai alors découvert qu’il y avait beaucoup de femmes photographes venues d’Europe et plus particulièrement d’Allemagne. Lors de ma rencontre avec Anna (Georgiev), nous avons réalisé que nous partagions un intérêt commun pour ce thème dans l’histoire de la photographie. Faire une exposition ensemble sur le sujet nous a donc semblé naturel », poursuit Efron.
La majorité des photographies de l’exposition ont été prises entre les années 1920 et 1940, une période pendant laquelle les femmes étaient plus nombreuses à devenir photographes et où la discipline en elle-même était encore récente. Puis, avec les avancées technologiques et les évolutions de l’appareil, notamment avec le premier prototype Leica, produit en Allemagne dans les années 1930, la photographie a eu tendance à se démocratiser. Et les nouvelles techniques ont aussi encouragé un genre particulier de photographie : le photojournalisme.
La demande de photographies était particulièrement forte en Palestine, pour ses lieux saints. Les photographes étaient aussi utiles au Fonds national juif et à l’Agence juive, aidant à construire et à promouvoir les idéaux sionistes. « Le Fonds avait des règles strictes (au regard de ce qui devait ou non être vu par le monde extérieur et par la diaspora juive). Certaines femmes photographes ont préféré rester indépendantes et ont ainsi vendu leurs photographies de manière autonome et privée », précise Efron.
Moyen-orientales vs. Européennes
Les femmes étaient vues comme participantes actives au projet sioniste. Les clichés de Zoltan Kluger, Margot Meyer-Sadde et Rudi Weissenstein présentés dans l’exposition font le portrait d’une nouvelle femme juive réalisant un travail manuel, cultivant la terre, travaillant à l’usine ou faisant le service militaire.
Comme leurs pairs masculins, les femmes semblent s’épanouir dans leur travail. Il émane d’elles le véritable esprit de l’ethos sioniste. Prises sur fond de paysage désertique israélien, ces photographies inspirent la nostalgie, une image d’un temps plus innocent ; mais ne révèlent pas complètement toute l’histoire. Rarement l’on peut voir le Palestinien, la figure de « l’autre ».
La photographie produite dans la même période par des photographes palestiniens se situait dans un autre registre. Pour la majeure partie d’entre eux, leurs photographies avaient un aspect documentaire, avec un accent mis sur la terre et ses habitants. Les portraits réalisés par Karimeh Abbud et Chillil Ra’ad’s de femmes habillées de chaudes couleurs et d’ornements donnent l’aperçu de leurs différentes origines sociales.
Il y a une certaine innocence vue dans ces portraits d’habitants juifs, musulmans, et chrétiens de Palestine. Le Moyen-Orient n’avait alors pas encore été influencé par les modes et cultures occidentales vues dans les portraits des expositions allemandes sous le régime de Weimar. Dans ces photographies, on peut observer un genre différent de « femme nouvelle », une femme mondaine, sophistiquée, urbaine à la maison, et moderne en ville. Et à certains moments, visiblement lasse de cela.
La femme moderne européenne dépeinte dans les photographies d’Allemagne contraste nettement avec les images de femmes de Palestine, qui sont souvent perçues comme étant des figures moins compliquées.
Au final, la juxtaposition des photographies de et par ces femmes de trois différentes cultures parvient à donner au public un aperçu du statut des femmes du début du XXe siècle.
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