La prière du soldat

« La plupart des gars sont contents que je pose les téfiline : je suis chargé de ce département pour eux… »

P10 JFR 370 (photo credit: DR)
P10 JFR 370
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Il est 6 h 30. Un froid glacial règne sur le désert. Nous avons dormi quelques heures à peine après une nuit entière de marche, de manœuvres et de courses d’orientation organisées pour entraîner les réservistes que nous sommes. Un feu de camp réchauffe nos pieds gelés pendant que nous buvons du café fièrement préparé par l’un des gars.

Je sors mon sac de téfiline et endosse mon talith. La soie blanche contraste durement avec le vert olive de l’uniforme et des jeeps.
Aussitôt, l’atmosphère change. Les autres soldats sont pour la plupart laïcs ; en tout cas, ils ne mettent pas les téfiline régulièrement. Chacun d’eux, en revanche, connaît quelqu’un qui les met : un frère, un ami, un grand-père qui se livre à cet étrange rituel consistant à s’enrouler des lanières de cuir autour du bras et à murmurer des prières en se balançant.

L’un des gars monte le son de ses écouteurs d’où s’échappe de la musique rock. Je ne me laisse pas distraire et il tourne le volume très vite. Un autre ajoute un morceau de bois dans le feu. Le soleil se lève et le froid est vite remplacé par la bienfaisante chaleur du désert.

J’ai échangé quelques mots avec eux à ce sujet et je me laisse aller à imaginer ce que pensent mes compagnons en me voyant prier : est-ce que je crois en Dieu ? se demandent-ils. Dieu parle-t-il aux hommes ? Leur a-t-Il réellement ordonné d’enrouler ces lanières ? Suis-je tout de même un Juif si je ne pratique pas ? Est-il important pour moi de me définir comme Juif ou mon identité d’Israélien peut-elle suffire ?

Je termine ma prière et range mes téfiline, plie mon talith. Je pratique mon rituel avec fierté, sans faire de prosélytisme.

Si quelqu’un me les demandait, je les lui prêterais avec joie. Mais on ne me les demande pas, et je n’en tire pas moins une intense satisfaction de me trouver avec ces excellents compagnons. Car ces hommes, qui ne se considèrent pas comme pratiquants, respectent un grand nombre des valeurs essentielles de notre peuple, comme « Véahavta lereacha kamocha » (tu aimeras ton prochain comme toi-même). Ils le prouvent en consacrant régulièrement une semaine leur vie bien remplie pour pratiquer l’art de la guerre au service de l’Etat d’Israël et du peuple juif.
En réalité, pour la plupart, ils apprécient de me voir mettre les téfiline : c’est moi qui suis chargé de ce département pour eux… De fait, notre unité compte plusieurs départements : tireurs d’élite, artillerie légère, éclaireurs, anti-tank et explosifs. Et dans tout cela, il y a aussi celui qui prie, qui fait figure de porte-bonheur de l’équipe, le « shaliach tsibour » (représentant du peuple). Voilà pourquoi les hommes dans mon genre, en plus de leurs missions quotidiennes, sont chargés de prier. Et qu’ils s’acquittent de ce devoir pour tous les autres.

 

J’aime mon pays

Une fois que j’ai terminé, le temps reprend son cours ; nous repartons à nos entraînements avec application… et attendons avec impatience la fin de l’exercice.

Le dernier jour des milouim (période de réserve) est toujours difficile, car nous passons des heures à restituer notre matériel au Yamach (l’entrepôt de l’armée). J’aide mon commandant à vider les trois jeeps – je décharge entre autres le matériel de communication et les tourelles, qui supportent les fusils.
Je suis parmi les derniers, sur 2 500 hommes, à quitter la base. Je dois ensuite me dépêcher de rentrer à Jérusalem pour assister au « pidyon haben » d’un enfant d’un ami. Cette cérémonie, qui consiste à faire racheter un fils premier-né par un Cohen, se déroule à Zvil, une yeshiva du quartier ultraorthodoxe Shmouel Hanavi. Je n’ai pas le temps de me changer et arrive donc en uniforme au milieu d’une forêt de chapeaux noirs, de chemises blanches et de costumes sombres. La tension est palpable à l’instant même où je fais mon apparition. J’imagine les débats intérieurs grondant sous les chapeaux noirs : est-ce vraiment les valeurs juives que défend Tsahal ? L’Etat d’Israël est-il une machine destinée à développer le judaïsme ou lui est-il hostile ? Ce soldat représente-t-il une menace pour mon mode de vie ou est-il là au contraire pour le protéger ? Connaît-il l’importance de la Torah, ou celle-ci est-elle secondaire pour lui ?

Le judaïsme dans l’armée, l’armée dans le judaïsme : c’est l’une des dialectiques de notre époque. Pour ma part, je ne suis prêt à renoncer à aucun des deux. J’aime mes téfiline parce qu’ils constituent l’outil mystique qui m’élève vers le spirituel, mais j’aime aussi mon pays, ma terre et mon peuple, et donc, mon armée. Elle défend tout ce que je chéris, me permet d’avoir un vrai contact avec la terre (car les soldats vont se rendent dans les endroits où nul autre ne va), et de rencontrer mon peuple, en dehors de ma bulle sociale et géographique.

Pour moi, mettre les téfiline à l’armée n’a rien d’une revendication : c’est la chose la plus naturelle qui soit.

En contemplant le passé, je constate d’ailleurs que les grands généraux des temps bibliques étaient à la fois des combattants et des sages du judaïsme, qu’ils savaient aussi bien faire la guerre que prier. Et puis, Dieu Lui-même n’est-il pas appelé « homme de guerre » ?
Plus profondément, je trouve que, sous ses aspects modernes et laïcs, l’armée israélienne d’aujourd’hui a le même esprit que celle de Josué ou du roi David.
Un ami m’a demandé pour combien de temps encore je comptais partir en milouim. « Le plus longtemps possible », ai-je répondu.  u
Yishaï Fleisher est journaliste radio et éducateur américano-israélien. Il anime une émission hebdomadaire en anglais sur Galei Israël.

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