La solitude des Juifs de Donetsk

La peur au ventre, les Juifs de Donetsk craignent une escalade de la violence. Apolitiques, les représentants communautaires n’ont qu’une chose en tête, garantir la sécurité de leurs membres

Famille orthodoxe (photo credit: REUTERS)
Famille orthodoxe
(photo credit: REUTERS)

Donetsk. Nous sillonnons en voiture les rues de Donetsk, contrôlées par les séparatistes. Mon guide me fait remarquer les nombreuses barricades, tenues par des rebelles, armés aussi bien de kalachnikovs dernière génération, que d’antiques fusils de chasse. Comme je prends des photos à un point de contrôle, un jeune séparatiste m’interpelle, notre chauffeur accélère vivement pour nous éviter une confrontation. Je me trouve au cœur de la soi-disant République populaire de Donetsk, dont fait partie le cœur industriel ukrainien à l’est de la ville, venu me faire une idée sur le terrain, de la situation des quelque 11 000 Juifs qui y vivent encore aujourd’hui.

La communauté juive d’Ukraine est bien évidemment inquiète pour sa sécurité. Le président russe Vladimir Poutine n’a pas mâché ses mots depuis la destitution du président pro-Kremlin Viktor Lanoukovitch, il y a quelques mois ; il a affirmé à plusieurs reprises qu’il se réservait le droit d’intervenir dans les affaires de son turbulent voisin situé sur son flanc ouest, afin de protéger les russophones, ainsi que les Juifs et d’autres minorités ethniques, si cela devait s’avérer nécessaire. Beaucoup de Juifs craignent aujourd’hui de se retrouver pris en otage par le conflit. Les deux camps se sont déjà taxés réciproquement d’antisémitisme pour tenter de se discréditer l’un l’autre aux yeux des opinions internationales.
Les dirigeants communautaires juifs de Kiev, Kharkov, Odessa et Donetsk sont unanimes pour dire que les Juifs n’ont rien à voir avec le conflit qui fait rage. Sur le terrain, tous font remarquer qu’il n’y a eu aucune augmentation significative d’antisémitisme concomitante au conflit nationaliste qui sévit. Ils affirment que leurs communautés sont ni plus ni moins exposées aux mêmes dangers que les autres citoyens ukrainiens.
Mais certains, comme Yaakov Virin, rédacteur en chef du journal juif de Donetsk qui appartient au courant hassidique, craignent une incitation à la haine antijuive et des passages à l’acte, si les élans patriotiques qui s’expriment venaient à s’exacerber. « C’est une tradition, ça, que les Juifs sont toujours coupables de tous les problèmes du monde », rappelle Virin.

La vie juive coûte que coûte

La plupart des centres commerciaux de Donetsk sont fermés et bien que certains commerces restent ouverts et qu’il y ait des piétons dans les rues, on est loin du dynamisme habituel d’un centre-ville, auquel on devrait s’attendre avec une telle concentration de population.

Le rabbin Pin’has Vishedski, né en Israël, me reçoit dans son bureau de la synagogue de la ville, situé à seulement 25 km de l’aéroport où des échanges de tirs ont fait des dizaines de morts le mercredi 28 mai. Il affirme que la communauté juive fonctionne toujours comme à son habitude, même si elle est confrontée à des difficultés économiques sérieuses en raison de l’instabilité ambiante. Une soixantaine d’hommes composants trois mynianim différents, assurent les prières quotidiennes. Et en dépit des violences, les cours de Torah sont toujours maintenus en soirée. La vie juive ne s’est pas arrêtée, même si on note une baisse de fréquentation la nuit, en raison du fonctionnement des transports en commun en souffrance.
La protection de toutes les institutions communautaires est assurée par des gardes qui portent tenues de camouflage et gilets pare-balles, même s’ils ne sont pas armés. Olga Pypenko, directrice des programmes culturels au centre communautaire, confirme que des centaines de personnes se rendent encore aux cours et participent aux activités communautaires.
Entre 25 et 30 familles, dont certaines ont des enfants en bas âge, sont attendues pour prendre part à un Shabbat plein cette semaine. « Il n’y a pas moins de gens qui viennent depuis le début des violences, » affirme-t-elle. L’école locale, fermée depuis plusieurs jours, a rouvert ses portes. « Mais seulement 30 élèves sur 150 sont venus », regrette le rabbin Vishedski qui a envoyé sa fille en classe pour donner l’exemple.

Rester ou « monter »

Comme tous les Ukrainiens, les Juifs de Donetsk sont divisés politiquement. Mais jusqu’à présent, aucun ne se serait rallié aux séparatistes, affirment les habitants. Les dirigeants de la communauté juive veulent avant tout assurer le bon déroulement de la vie juive. Ils soutiennent que leurs membres ne sont absolument pas politisés et que leurs préoccupations sont uniquement d’ordre sécuritaire. « La peur est commune à tous les habitants de la ville, et les Juifs en font partie comme les autres », affirme le rabbin Vishedski. « La communauté juive n’a rien à voir dans le conflit ».

Pypenko approuve ses propos et confirme au Jerusalem Post ne « ressentir aucun antisémitisme et ne pas se sentir particulièrement en danger parce que de confession juive ». Selon le rabbin, la vie à Donetsk a toujours été idyllique et le choc de la guerre civile naissante a transformé leur ville : d’un Eden pour les Juifs, elle est devenue un cauchemar anarchique. Beaucoup de membres de la communauté sont désespérés, affirme-t-il en ajoutant prier pour un miracle.
Comme beaucoup d’autres dirigeants communautaires ukrainiens, Vishedski regrette que la communauté juive élargie n’ait pas relevé le défi d’aider les jeunes des communautés juives postcommunistes du pays à traverser cette période dangereuse. Des organisations comme l’American Jewish Joint Distribution Committee et le Mouvement international des chrétiens et des juifs sont des exceptions, fait-il remarquer. II regrette de n’avoir pas été contacté par des organisations juives désireuses de leur venir en aide, ou même simplement s’inquiétant du bien-être des fidèles. 500 familles juives de la ville dépendent de l’aide alimentaire, et il est fort probable que ce nombre va aller en augmentant au fur et à mesure que la ville va continuer de subir ce conflit armé.
Certes, il n’y a pas eu d’exode de masse, mais les habitants sont inquiets de la fermeture de l’aéroport et de l’incertitude du lendemain. Pour Vishedski, le projet d’évacuation des Juifs d’Ukraine vers Israël, comme annoncé dans la presse ukrainienne et israélienne, est contre-productif et a causé du tort à la communauté. « Il faut espérer que toutes les parties fassent preuve de bon sens », ponctue un fidèle.