Le Consistoire fait son aliya

Joël Mergui, président du Consistoire central et du Consistoire israélite de Paris, était à Jérusalem la semaine dernière pour présenter son projet d’antenne israélienne

Joel Mergui et Shlomo Amar (photo credit: DINA COHEN)
Joel Mergui et Shlomo Amar
(photo credit: DINA COHEN)

C’est une salle pleine de monde au Centre Menachem Begin, qui écoute religieusement le président du Consistoire ce lundi 17 février. Un véritable miracle organisationnel, sachant que l’événement n’a été planifié que quelques jours auparavant, avec un réel déficit de publicité. L’auditoire est représentatif de la communauté française expatriée. Nombreux sont les rabbins et les membres associatifs à avoir répondu à l’appel, désireux d’en savoir plus le projet d’une antenne du Consistoire en Israël. Interrogé sur ce semblant d’improvisation, Joël Mergui est sans équivoque : « C’est une initiative qu’on a voulu développer depuis longtemps. Mais récemment, lors d’un séminaire d’étude organisé en France auprès d’une centaine de rabbins, je me suis rendu compte que l’attente sur cette question était importante, il fallait voir plus grand ».

Emu de se trouver en Ville sainte, le responsable communautaire a tout d’abord tenu à faire un état des lieux de la situation de l’antisémitisme en France, tout en refusant d’établir une corrélation avec le projet présenté. Sujet incontournable en raison des échos récents de l’affaire Dieudonné : « L’antisémitisme a connu un pic dans notre pays au début des années 2000 avec les répercussions de l’Intifada. Tout le monde se rappelle des synagogues brûlées, des paroles antisémites qui se développaient. En 2001, dans les instances communautaires, on parlait déjà beaucoup du phénomène de l’aliya, en réaction à ces tensions. Sans compter l’affaire Ilan Halimi et le drame de Toulouse. Le gouvernement français a toujours fait ce qu’il fallait. Près de 20 millions d’euros ont été investis dans la lutte contre la haine antijuive. Mais on vit dans des forteresses maintenant, c’est une catastrophe. » Peu alarmiste, l’intéressé a cependant estimé les événements récents d’une nature différente en comparaison avec les actes racistes d’il y a 15 ans : « Aujourd’hui la situation a changé. On a tué des enfants. Mais depuis l’affaire Merah, pour la première fois on a parlé d’islamisme radical. Le responsable est à présent clairement identifié, et c’est le même extrémisme qui tue à Paris et à Jérusalem. Heureusement, ce radicalisme est aussi contre la République. C’est un ennemi commun que nous avons avec la France. Mais force est de constater que les drames n’empêchent pas la parole antisémite de se libérer… ».
La communauté juive française en « plein essor »
Concernant l’augmentation de l’aliya française, Joël Mergui a également tenu à relativiser le phénomène, sans pour autant nier une situation à prendre en compte : « L’antisémitisme est dans l’esprit de chacun et cette inquiétude est sûrement favorable aux départs vers Israël. Cependant 2 000 juifs qui partent par an sur une communauté de près de 600 000 membres en France, ce n’est pas non plus énorme. Et si le mouvement s’accélère, et qu’on passe de 2 000 à 3 000 expatriations, cela ne changera pas grand-chose. Les talmudé torah sont en augmentation, nos synagogues sont pleines. Le judaïsme français est plus fort que jamais et il le restera. Il faut en être fier », a lancé le président.
Adepte de la transparence, Joël Mergui en a également profité pour revenir sur ses propos qui avaient fait polémique il y a quelques années. « L’aliya est un manque pour la communauté française », avait-il dit, au grand dam de la communauté qui y avait vu une faute de sionisme. Des déclarations qui trouvent pourtant aujourd’hui une résonance conséquente. « Le problème c’est que sur ces 2 000 départs, on trouve essentiellement des personnes qui étaient très impliquées dans la vie communautaire en France », a expliqué le dirigeant. « C’est donc malgré tout une aliya très visible. Sur les 600 000 juifs français, seuls 100 000 s’investissent réellement dans la vie juive institutionnelle. C’est une aliya sioniste et religieuse, ce n’est pas une aliya de fuite. C’est une richesse pour Israël et un manque pour la communauté qui reste. Même si le lien franco-israélien en ressort renforcé. Il faut remplacer ces olim qui partent. Il faut rattraper les juifs qui s’éloignent de la communauté », a continué Mergui. Avant de s’inquiéter : « Aujourd’hui on peut tous les ramener, mais ce ne sera plus le cas pour les prochaines générations, surtout quand les grands-parents ayant des liens avec la Shoah et le Maghreb disparaîtront. ».
Mais pourquoi une antenne du Consistoire en Israël ? Pour Joël Mergui, qui a révélé réfléchir à ce projet depuis de nombreuses années, cela relève avant tout de l’évidence, au vu du communautarisme francophone grandissant dans le pays. Actuellement, on recense environ 90 synagogues françaises dans l’Etat hébreu, sans oublier le nombre croissant d’associations à l’origine d’une véritable vie communautaire. Conscient de sa responsabilité nationale, le président du Consistoire a malgré tout cherché à rassurer l’auditoire, en estimant que l’aide à l’aliya était indispensable : « Même si j’ai la responsabilité d’une très belle communauté, elle constitue un beau réservoir pour Israël. Il est donc de notre devoir d’accompagner le mouvement de l’aliya. La pratique de l’ivrit est notamment une demande récurrente des responsables communautaires français, il faut ouvrir des oulpanim dans nos synagogues. Il faut également se battre pour que les juifs Français n’aient pas moins d’avantages que les autres nationalités lors de leur arrivée en Israël. Ce qui est rassurant, c’est qu’un juif originaire d’une structure communautaire française est plus facilement intégrable pour une aliya, la moitié du travail est déjà faite ».
Un Consistoire de France et d’Israël ?
Pour Mergui, le lien naturel que la communauté juive française entretient avec Israël est une raison majeure pour légitimer la création de ce nouveau Consistoire. Ce dernier ayant d’ailleurs des relations pérennes avec l’Etat juif, notamment via des questions telles que les mariages, les enterrements ou l’importation des produits cashers. Cette nouvelle antenne consistoriale devra notamment servir à « consolider et à structurer » cette situation existante, en soutenant les communautés juives françaises qui choisissent de s’installer en Israël. En particulier, en anticipant et en répondant aux besoins et aux attentes des francophones résidant sur place. La défense des Juifs de France en Israël sera, elle aussi, un enjeu conséquent de cette nouvelle succursale, la question de la reconnaissance des diplômes étant un sujet de friction régulièrement mis sur le tapis. Sans compter l’aide administrative, souvent à l’origine d’accrochages en raison des problèmes linguistiques des Français expatriés. L’idée d’un référent du Consistoire présent dans les quartiers des grandes villes israéliennes, à forte concentration de français, est elle aussi envisagée. « Le Consistoire a construit le judaïsme français comme un judaïsme proche d’Israël. Nos rabbins ont fait aimer ce pays aux juifs de France. Une antenne du Consistoire ici est donc un signal fort. Notre Consistoire, anciennement nommé sous le terme Consistoire de France et d’Algérie, doit devenir le Consistoire de France et d’Israël. Israël n’entend pas assez la voix des Juifs français, il faut que cela change. Même si la situation s’est d’ores et déjà bien améliorée » a notamment déclaré Mergui, habité par ce projet.
L’idée d’une désorganisation chronique est très présente dans les propos de ce responsable communautaire, qui souhaite fédérer les associations existantes pour mieux défendre les olim français, jusque-là fort mal représentés. « Ce Consistoire arrive à point nommé. Chacun s’est organisé tout seul dans son coin, ça vaut le coup de fédérer. La communauté juive française vivant ici est moins coordonnée que les autres, c’est un problème. Le phénomène très important des aliya ratées étant le fruit de ce désordre », a taclé le président du Consistoire. La dénonciation du manque de solidarité interfrancophone est également soulevée, le manque de favoritisme dans l’embauche étant un exemple indéniable, à la différence d’une autre communauté, comme celle des Russes notamment.
Interrogé quant à la question de la « double allégeance », Joël Mergui tient cependant à éteindre toute polémique : « Le monde a compris que les Juifs ont un lien avec Israël. Ce n’est plus un tabou. Les deux derniers présidents de la République français l’ont même reconnu lors de leurs visites dans le pays. Le poste du député des Français de l’étranger est déjà une preuve conséquente de cette reconnaissance. Pourquoi devrions-nous nous gêner ? Cela me semble logique et normal. »
« On a besoin de vous ! »
Force est cependant de constater que le projet consistorial reste pour l’instant peu concret, cette conférence étant plutôt une « prise de température » qu’une réelle présentation. Contacté par téléphone, Joël Mergui ne cachera d’ailleurs pas que les fonds nécessaires pour cette initiative ne sont pas encore rassemblés. Ce que l’auditoire de la conférence n’a pas manqué de lui reprocher. Même si les participants semblaient plutôt favorables au projet, au vu de leurs difficultés d’intégration passées, nombreux sont ceux qui se sont insurgés du manque d’idées novatrices.
A l’issue de la conférence, des questionnaires ont d’ailleurs été distribués auprès de l’assemblée, afin que les intéressés puissent proposer par mail leurs points de vue et leurs volontés à l’égard de cette entreprise. Lors des questions-réponses, plusieurs olim se sont également opposés à cette future organisation, lui reprochant d’être un frein à l’intégration.
« Une mutation s’opère lorsqu’on fait une aliya, nous sommes à présent de véritables Israéliens, nous n’avons plus besoin de la France », s’est notamment offusquée une personne du public. Plusieurs ténors de la communauté franco-israélienne, d’Ashdod à Netanya, en ont également profité pour présenter la réussite de leurs associations d’aide aux olim. Des méthodes fructueuses qu’ils n’ont pas hésité à soumettre à Joël Mergui, très attentif aux différentes propositions. Le président a d’ailleurs saisi l’occasion pour lancer un appel aux volontaires présents dans la salle, disposés à s’impliquer dans ce projet, la sollicitation ayant rencontré malheureusement peu de succès durant la soirée.
Les participants auront été malgré tout très heureux de la visite surprise du Grand Rabbin séfarade d’Israël. Véritable clou de la soirée, Shlomo Amar, s’est en personne déplacé au Centre Menahem Begin à l’issue des débats, pour faire part, en hébreu, de son point de vue, et notamment son admiration pour les olim français : « J’ai rencontré personnellement de nombreuses communautés juives dans le monde entier. Il est difficile de trouver une communauté comme celle des juifs francophones, dont l’attachement et l’amour pour la Torah, la Terre et le Peuple d’Israël sont aussi forts », s’est réjoui le Rav. Un attachement bientôt matérialisé par un Consistoire de France et d’Israël ? L’avenir le dira. Le projet qui souhaite « permettre aux Français de conserver quelques repères dans cette aventure magnifique qu’est l’aliya », dixit Mergui, a encore de beaux jours devant lui.