Le Sinaï, carrefour du terrorisme mondial

Suite aux roquettes lancées depuis le Sinaï sur Eilat, les experts s’interrogent sur l'Egypte… Analyse

p8 JFR 370 (photo credit: Reuters)
p8 JFR 370
(photo credit: Reuters)
La réactioninstinctive en Egypte lorsque des missiles lancés à partir du Sinaï ont atteintEilat, le 17 avril, a été de dire que ce n’était pas vrai. Trois « experts » –généraux à la retraite ou commentateurs militaires – sont montés au créneaupour expliquer que la chose était impossible. L’un d’eux a dit du bout deslèvres que vérifier la nouvelle à l’aide d’images satellites prendrait dutemps.
Pour un autre, le dispositif « Dôme de fer » positionné à Eilat étant en mesurede détruire tout missile venu d’audelà des frontières, les missiles ayantfrappé la ville venaient donc du territoire israélien selon ce dernier. Legouverneur du sud-Sinaï a renchéri. On se souvient par ailleurs que sonprédécesseur avait accusé le Mossad d’avoir envoyé un requin à Sharm-el-Sheikhpour porter atteinte au tourisme égyptien. Enfin, « de source militaire digne defoi mais souhaitant ne pas être identifiée » rien dans l’enquête préliminairen’indiquait que les missiles venaient d’Egypte.
Quelques heures plus tard, changement de ton. Une organisation salafisterevendique le lancement des missiles.
Un communiqué sur la page Facebook de l’armée indique alors qu’une commissiond’enquête est dépêchée au Sinaï pour étudier la situation sur place ; peut-êtreplus important, ce communiqué déclare que le territoire égyptien n’a jamaismenacé et ne menacera jamais les pays voisins. Il sera suivi peu après par unedéclaration semblable de la présidence, tandis qu’une nouvelle « sourcemilitaire » précise que le général Abdel Fattah Al-Sisi, ministre de laDéfense, a décrété l’alerte maximale le long de la frontière avec Israël.
Un voisin susceptible 
Ce que personne ne dit, c’est que les radars du fameuxDôme d’acier et d’autres installations avaient bien repéré les missiles ; ladécision de ne pas tirer aurait été prise au plus haut niveau. En effet,l’interception serait intervenue en territoire égyptien et Israël ne veut pas,à ce stade, porter atteinte à la souveraineté de son voisin dont lasusceptibilité est bien connue. Il ne faut pas oublier qu’en Egypte, comme danstous les pays arabes, on refuse de voir les choses en face lorsqu’il s’agitd’Israël. Eux n’ont jamais tort ; ce sont toujours les Sionistes ou les Juifsqui sont coupables. Ce qui ne facilite évidemment pas la nécessaire coopérationentre l’Egypte et Israël en matière de terrorisme, même quant la sécurité del’Egypte est en jeu. Pourtant il s’agit d’un intérêt commun. Les deux paysdoivent combattre la montée du terrorisme djihadiste dans la péninsule du Sinaïet à Gaza qui constitue d’abord une grave menace pour l’Egypte. Des échangesd’information ont bien lieu ; encore faut-il que cette information soit priseen compte. Israël avait averti l’ancien chef des services de sécurité égyptienque des militants djihadistes s’apprêtaient à attaquer une position de l’armée.Il refusa de le croire et 16 soldats égyptiens furent massacrés. Lui-même futlimogé. A l’inverse, le déploiement tout récent du dispositif « Dôme de fer » àEilat est peutêtre dû à des informations reçues concernant les missiles ; sic’est le cas, rien n’a été fait côté égyptien pour déjouer l’opération.
Le Sinaï est devenu une zone de guerre. Les tribus bédouines, qui n’ont jamaisvu d’un très bon oeil le pouvoir central, sont au bord de la révolte. Voilà desdizaines d’années que rien n’est fait pour développer la région. Il n’y a pasde travail et le réseau éducatif laisse à désirer. Le mouvement terroriste duHamas a trouvé là des alliés prêts à conduire vers le Sinaï et la bande de Gazades armes de contrebande et munitions, missiles compris, venus d’Iran via leSoudan et la bande côtière. Les groupements djihadistes plus ou moins affiliésà Al-Qaïda ont fait de même, mettant en place des cellules terroristes avecl’aide de Bédouins trouvant là d’importantes sources de revenus. La situation aempiré après la chute de Moubarak et l’affaiblissement du pouvoir central. Lesforces de sécurité ont fui en désordre et la péninsule est devenue le paradisdes contrebandiers ; aux armes s’ajoutant la drogue et le lucratif transitd’Africains en quête d’une vie meilleure en Israël. Avec la chute de Kadhafi,la Libye est devenue une nouvelle source d’armes. Le pouvoir égyptien pendantce temps multipliait les déclarations lénifiantes et les projets dedéveloppement grandioses qui restaient sans suite. Pour certains commentateurs,ce refus de prendre les mesures indispensables serait ancré une fois encoredans la crainte du voisin. Israël pourrait, à la faveur du développement del’agriculture et de la création d’usines « infiltrer pacifiquement le Sinaï. »Ce qui expliquerait les restrictions imposées aux Bédouins qui ne peuventacheter des terres ou créer des entreprises.
La colère des Bédouins 
Le mois dernier le gouvernement s’est enfin décidé àagir et a promulgué un décret autorisant les Bédouins pouvant faire la preuvequ’eux-mêmes et leurs parents ont la nationalité égyptienne et n’ont pasd’autre nationalité à acquérir ou louer des terrains. L’encre était à peinesèche que le ministre de la Défense promulguait, lui, un texte interdisant toutachat de terre sur une bande de cinq kilomètres de profondeur le long de lafrontière égyptienne avec Israël et avec Gaza. L’armée veut en effet contrôlerde près cette zone ultrasensible, éviter les infiltrations terroristes etsuperviser les tunnels de contrebande. La mesure a provoqué une levée deboucliers chez les Bédouins qui ont agité la menace d’une campagne dedésobéissance civile si elle n’était pas annulée.
Les négociations en cours pour résoudre le problème se prolongent sans apporterde solution. C’est le moment qu’a choisi Mohammed Mehadi Akef, l’ancien guidesuprême de la confrérie des Frères musulmans, pour lancer un brûlot.
Dans une interview la semaine dernière au quotidien du Koweït Al-Jarida, ilaccuse les Bédouins d’être tous des collaborateurs : un tiers avec les servicesde sécurité du ministère de l’Intérieur ; un tiers avec les services secrets etle renseignement militaire ; et le troisième tiers avec Israël (il n’a pasévoqué la collaboration avec le Hamas ou le Djihad). Furieux, les Bédouins ontmanifesté devant le siège du mouvement au Sinaï et ont menacé de le réduire enpoussière si Akef ne leur présentait pas des excuses. D’autres manifestationssont prévues et certains chefs veulent porter plainte pour diffamation.
Inutile de dire qu’il ne faut pas s’attendre dans cette ambiance à voir lesBédouins aider le gouvernement central à combattre les groupes terroristes ;d’autant que nombre d’entre eux font vivre leurs familles avec l’argent gagné àfaire passer armes, drogues et personnes en quête d’asile.
Et Israël dans tout cela ? 
Des dizaines de groupes terroristes lourdement armésne cachent pas leur intention de porter atteinte à sa sécurité ; mais legouvernement a les mains liées. Les échanges d’informations avec l’armée et lerenseignement se poursuivent, certes, mais sans la coopération au plus hautniveau qui existait à l’époque Moubarak, ils ne sont pas vraiment efficaces. Ily a quelques mois, l’armée égyptienne avait annoncé qu’elle lançait une vasteopération contre le terrorisme au Sinaï. Malheureusement, aujourd’hui encore lesterroristes agissent en plein jour, attaquant des postes de police, mettant enplace leurs barrages routiers et ne craignant pas de tirer sur les patrouillesmilitaires. La semaine dernière, ils ont pris pour cible un poste de police,tuant un officier et en blessant un autre.
Sans une étroite collaboration de part et d’autre de la frontière la situationne peut qu’empirer. Or, on ne voit pas très bien comment cette collaborationpourra se faire alors que les Frères musulmans sont à la barre du pays.
L’auteur est un ancien ambassadeur d’Israël en Egypte, analyste et membre duCAPE (Jerusalem Center for Public Affairs).