L’enseignement difficile de la Shoah

Les enseignants à travers le monde font face à des difficultés de taille quant à l’instruction de la Shoah dans les écoles

600 enfants survivants du camp d'Auschwitz II-Birkenau (photo credit: REUTERS)
600 enfants survivants du camp d'Auschwitz II-Birkenau
(photo credit: REUTERS)

C’est la conclusion à laquelle est arrivé un chercheur israélien qui a initié et dirigé une étude ciblant plusieurs pays, pour l’organisation pédagogique, scientifique et culturelle des Nations unies, le Bureau international pour l’éducation (BIE). Zehavit Gross, professeur d’Education à l’école Churgin de l’université Bar-Ilan a, en collaboration avec le professeur Doyle Stevick de l’université de Caroline du Sud, recruté et dirigé des chercheurs du monde entier pour un nouveau projet portant sur la Shoah. Ils se sont penchés sur l’éducation en Allemagne, Autriche, Suisse, Pologne, Etats-Unis, Estonie, Australie et Canada.

Selon Gross, l’antisémitisme, le refus de la part de nombreux jeunes européens de concevoir leur continent autrement que comme le berceau de la civilisation éclairée, et plusieurs autres facteurs, entraveraient l’enseignement de la Shoah. « Il est nécessaire de former les enseignants à faire face aux vagues de violence et aux propos racistes lorsqu’ils font référence au sujet dans les écoles non juives », explique-t-elle.
Les professeurs Gross et Stevick ont entamé cette étude en 2007, dans le cadre d’un numéro spécial pour la revue de l’Unesco BIE. Gross a proposé à Doyle Stevick de coéditer ce numéro spécial consacré à l’enseignement de la Shoah, afin d’y ajouter une perspective non juive. La publication lancera plus tard un projet international, auquel des spécialistes du monde entier se joindront pour effectuer des recherches dans leurs pays respectifs, et fournir de nouvelles données qui seront intégrées dans la publication. Ce numéro spécial a été traduit récemment en chinois et en arabe, et l’Unesco a créé un bureau spécial dédié à l’enseignement de la Shoah au sein de l’organisation.
Les deux pProfesseurs à l’origine du projet comptent bientôt publier un livre L’enseignement de Holocauste au XXIe siècle : La Shoah dans la pratique, les politiques et les programmes d’études, sur l’enseignement de la Shoah dans la sphère mondiale.
Les amalgames
de la Shoah
Pour Gross, si « toutes les institutions officielles du monde portent un réel intérêt à la Shoah, les enseignants sont effectivement confrontés à d’importantes difficultés dans la pratique ». Dans de nombreuses classes, en particulier celles comportant un nombre conséquent de populations musulmanes issues de l’immigration, explique-t-elle, les enseignants doivent faire face à des commentaires antisémites et racistes. Les élèves montrent à la fois un « antisémitisme classique » et « moderne ». La haine classique du Juif prend la forme d’accusations de complicité dans la mort de Jésus, alors que l’antisémitisme moderne, observé habituellement chez les étudiants musulmans, prend celle d’accusations d’apartheid israélien, allant jusqu’à des phrases assassines comme « Hitler aurait dû terminer » le massacre des Juifs. Les enseignants, selon Zehavit Gross, sont « parfois tellement gênés qu’ils envisagent de cesser d’enseigner la Shoah ». De nombreux étudiants « peuvent vous dire beaucoup de choses sur les Juifs, même s’ils n’en ont jamais vu de leur vie », ajoute-t-elle.
La question de la négation douce et passive de la Shoah, qui relativise ou décontextualise ce sombre épisode de l’Histoire, est au cœur des préoccupations du Professeur. « En Estonie, où la Shoah est enseignée, les professeurs identifient cette période au stalinisme », déclare Gross, qui regrette l’amalgame : « Il est vrai que sous le régime stalinien, des choses terribles se sont produites, mais sans aucun rapport avec la Solution finale ».
« Un autre aspect très récurrent aujourd’hui consiste à présenter les Allemands comme des victimes de la Shoah », poursuit-elle. « Ainsi, les nazis incarnent le mal étranger, mais les Allemands, eux, sont les pauvres victimes ; ce genre de discours est à mes yeux extrêmement dangereux ».
La dichotomie entre la façon dont les étudiants européens considèrent leur continent en tant que berceau de la civilisation moderne, et la brutalité des crimes commis sur leur sol, est également un obstacle majeur à l’enseignement de la Shoah, affirme-t-elle. La dissonance cognitive apparente, créée par ce paradoxe flagrant, rend difficile tout engagement de la part des étudiants. « Les adolescents en Europe ont contesté des cérémonies du souvenir », regrette-t-elle. « C’est vraiment quelque chose qui doit être pris en compte ».
Enseigner autrement
Dans le cadre de ses recherches, Gross aurait mis à jour plusieurs solutions aux problèmes rencontrés par les éducateurs dans le monde. La première : mettre l’accent sur le vécu plutôt que sur l’enseignement effectué entre les quatre murs d’une classe, « par la visite de lieux commémoratifs ». Il a de plus été constaté que « l’enseignement de la Shoah est plus efficace dans le cadre de l’éducation civique que dans le cadre de l’enseignement de l’Histoire », affirme-t-elle, « car cela permettrait de créer un espace de discussion sur les questions actuelles, comme la xénophobie et le racisme ». « Je pense que l’enseignement de la Shoah doit être accompagné d’un enseignement approfondi contre le racisme », grâce à des formations soutenues offertes aux enseignants, propose-t-elle.
Gross prend pour exemple une classe observée en Australie, où une enseignante déplorait le fait que ses élèves immigrants musulmans « ne la laissent même pas ouvrir la bouche », scandant des slogans pro-hitlériens. L’enseignante a réussi à surmonter la violence verbale et idéologique, et enseigner la Shoah à ses élèves grâce à un séminaire auquel elle a assisté à l’Ecole internationale des études de la Shoah de Yad Vashem en Israël.
Les voies sont ainsi ouvertes pour un enseignement de la Shoah repensé.