Les bienfaits de l’ambiguïté

Israël n’a jamais confirmé ni infirmé posséder des armes nucléaires. Une politique que certains récusent aujourd’hui. Ils ont tort.

P15 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P15 JFR 370
(photo credit: Reuters)

MeravZafary-Odiz. C’est le nom de la nouvelle ambassadrice israélienne à l’Agenceinternationale de l’énergie atomique (AIEA) de Vienne. Membre éminent de laCommission pour l’énergie nucléaire israélienne, la mission de Zafary-Odiz enAutriche sera triple. Tout d’abord, se faire les yeux et les oreilles de l’Etathébreu à l’AIEA, où il se partage d’importantes informations sur le programmenucléaire iranien. Ensuite, continuer de mobiliser la communauté internationaleafin de maintenir la pression sur Téhéran et empêcher le régime islamisted’obtenir la bombe atomique. Enfin, et c’est là sans doute sa tâche la plusdélicate, contrer les appels qui vont croissants pour qu’Israël signe le traitésur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ainsi que les effortsdiplomatiques pour établir un Proche-Orient dénucléarisé.

« Nous ne serons pas les premiers »

Sur fond de débat international, de plus enplus de commentateurs et analystes israéliens appellent à changer la politiquenucléaire de l’Etat juif, largement connue sous le nom « d’ambiguïté nucléaire». Une politique officiellement définie en avril 1963 par Shimon Peres, alorsvice-directeur du ministère de la Défense et ce, 3 ans après que la France aitachevé de construire le réacteur nucléaire de Dimona.

En visite à la Maison Blanche, Peres est pris par surprise lorsque le présidentaméricain John Kennedy lui déclare être très inquiet du potentiel nucléaireisraélien. Et l’Israélien de répondre du tac au tac : « Je peux clairement vousassurer que nous ne serons pas ceux qui introduiront les armes nucléaires dansla région. Nous ne serons pas les premiers à le faire », déclare-t-il alors.Face à ce coup de génie rhétorique, Kennedy recule.
La phrase est restée emblématique de l’approche israélienne depuis lors. Voilàen effet plus de 50 ans que Jérusalem s’en sert pour échapper à la pressioninternationale. Reste qu’en 1966, soit 3 ans après l’échange entre Kennedy etPeres, Israël fabrique sa première bombe atomique (selon les rapportsétrangers).
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute pour la communauté internationale quel’Etat hébreu possède des armes nucléaires, entre 80 et 200 ogives selon lesestimations. Mais les responsables israéliens s’entêtent à ne jamais confirmerni infirmer ces rapports. Et dernièrement, il a même été estimé, d’après des documentsissus des archives de l’Etat d’Israël, ainsi que d’anciens hauts gradés et despublications étrangères, qu’à deux reprises les dirigeants israéliens ont été àdeux doigts de faire usage de « la bombe ».
Juin 1967

Hasard ou coïncidence, les progrès scientifiques et technologiquesqui permettent à l’Etat hébreu de fabriquer une bombe atomique surviennentjuste avant la guerre des Six Jours, en juin 1967. Date à laquelle le paysdevient la 6e nation à posséder l’arme nucléaire, rejoignant le club très fermédes Etats-Unis, de l’Union soviétique, la France, la Grande-Bretagne et laChine.

Ce statut informel de Jérusalem sera très près de jouer un rôle crucial lorsdes 3 semaines de crise qui précèdent la déclaration de guerre du 5 juin.L’expulsion des gardiens de la paix de la péninsule égyptienne du Sinaïinquiète alors beaucoup les dirigeants et généraux israéliens.
Il est également impossible d’ignorer la bruyante campagne menée par Le Caire,qui crie sur tous les toits que les armées arabes s’en vont écraser Tsahal etjeter les Juifs à la mer. La peur d’une nouvelle Shoah est d’autant plusalimentée que le régime égyptien vient de faire usage de la bombe dans laguerre civile au Yémen.
Au ministère de la Défense, la stratégie nucléaire est alors ouvertementdébattue. Le premier Premier ministre israélien, David Ben Gourion, avaitinsisté pour fabriquer l’arme la plus dangereuse au monde, mais aucunepolitique définissant clairement son usage n’avait été adoptée. Plus de 46 ansplus tard, la conclusion de ces débats en 1967 reste classée et, selon dessources proches des participants, étonnamment vague. Il apparaît cependant queRafael, l’entreprise qui a développé les armes de pointe, a mobilisé sesmeilleurs ingénieurs et techniciens dans les semaines qui ont précédé leconflit.
Selon le général-lieutenant Tzvi Tzour, ancien chef d’état-major de Tsahal etconseiller spécial du ministère de la Défense au moment des faits, ces hommeset femmes ont « travaillé jour et nuit, frôlant l’effondrement total », afin defabriquer la première arme nucléaire israélienne.
A peu près au même moment, le lieutenant-colonel Dov Tamari, commandant del’unité d’élite Sayeret Matkal, est convoqué aux quartiers généraux pourrencontrer un haut gradé. On lui ordonne de préparer une équipe de soldats quiseront envoyés par hélicoptère dans le Sinaï. « Ils transporteront quelquechose », indique le général, sans plus de précisions.
Objectif de la mission : positionner la première bombe atomique israélienne surle mont Sinaï, sommet où, selon la Torah, Moïse a reçu les Dix Commandements,et qui a peut-être été choisi pour sa portée symbolique. Si l’armée égyptienne,massée dans le désert, s’avise à franchir la frontière israélienne et à menacerles grandes villes de l’Etat hébreu, Tsahal se tient prêt à la réduire enmiettes et, avec elle, le désert tout entier. Le plan est abandonné,principalement parce qu’Israël gagne aisément la guerre.
Octobre 1973

La seconde occasion se présente quelques années plus tard, lors dela guerre de Kippour. L’Egypte et la Syrie, dans une attaque coordonnée surdeux fronts séparés, prennent l’armée israélienne par surprise, cette arméefêtée de toutes parts et si sûre d’elle-même. Le légendaire Moshé Dayan, alorsministre de la Défense, est saisi de panique. L’élu, diront plus tard certainshauts gradés, entrevoit la possibilité de perdre la guerre. Une défaite quisignerait à coup sûr l’arrêt de mort d’Israël. Pour lui, « la fin du TroisièmeTemple » est proche.

40 ans plus tard, la récente publication de documents classés montre que Dayanet le général de division Rehavam Zeevi font tous deux allusion à l’usagenécessaire « d’armes stratégiques ». Si le terme n’apparaît jamais clairement,il est évident que l’idée est d’avoir recours à une arme restée secrète jusquelors, afin d’arrêter l’invasion ennemie qui progresse de jour en jour.Heureusement, le Premier ministre Golda Méïr et le chef d’état-major DavidElazar rejettent l’idée de dégainer « les armes stratégiques ».
« Ni vu, ni connu »

Il n’en demeure pas moins aujourd’hui que mettre un terme àl’ambiguïté israélienne en matière de nucléaire ne serait pas sage. Celapourrait grandement nuire aux intérêts nationaux, en particulier à l’heure oùl’Etat juif et la communauté internationale veulent forcer l’Iran à démantelerson programme nucléaire. Qu’Israël se déclare comme une puissance nucléaire encette délicate période et Téhéran se montrera d’autant plus obstiné à obtenirla bombe.

L’ambiguïté nucléaire est une des stratégies les plus intelligentes,sophistiquées et imaginatives jamais conçues dans l’Etat hébreu. Elle a permisà Jérusalem de développer une force de dissuasion face à ses ennemis,amoindrissant leurs désirs d’annihiler l’Etat juif tout en les forçant àreconnaître qu’ils n’y parviendraient probablement jamais.
De façon tout aussi importante, cette politique contribue à maintenirl’alliance stratégique unique avec les Etats-Unis. Après tant de rencontresentre dirigeants israéliens et américains, Jérusalem a passé de nombreuxaccords tacites et verbaux avec Washington. Une entente qui peut se résumer enseule phrase : « ni vu, ni connu ». Qu’Israël n’évoque pas ses capacitésnucléaires, et les Etats-Unis ne poseront pas de question.
Dans les faits, aujourd’hui, Washington ne pousse pas Jérusalem à rejoindre leTNP, n’enjoint pas non plus aux Israéliens de démanteler leur arsenal nucléaireet empêche la communauté internationale de se montrer trop pressante. Unsoutien précieux dont il serait fort peu judicieux de se priver.