Les nouveaux pionniers ?

Des juifs pratiquants de toutes tendances font revivre un moshav du Néguev

p12 JFR 370 (photo credit: DR)
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Les nouveauxpionniers ? Des juifs pratiquants de toutes tendances font revivre un moshav duNéguev Ariel Zilber Daniel Fuks plante du maïs devant sa caravane. Le lienparticulier qui le rattache à ce petit lopin de terre est né durant son servicemilitaire dans une unité de parachutistes. « J’étais basé à côté d’ici »,racontet- il. « Une semaine après mon mariage, on m’a rappelé pour participer àl’opération Plomb fondu qui débutait. » Fuks a 28 ans, il est né à Miami etporte une kippa crochetée.

Ex-membre du kibboutz Sa’ad, situé non loin de là, il s’est mis en quête, unefois libéré de l’armée, d’un cadre pour fonder sa famille. Il a alors entenduparler d’un mouvement de pionniers rassemblant tous les courants du judaïsmereligieux et qui souhaitait relancer l’esprit du sionisme pionnier dans leNéguev et en Galilée.
Et c’est bien cet esprit pionnier que l’on retrouve ici, sur ce terrain assezquelconque cultivé par ce jeune membre du moshav Shouva. Nous sommes à moinsd’une heure de route de la frénésie citadine du centre d’Israël.
Il n’y a pas si longtemps, Shouva était un moshav rustique à la populationvieillissante et connaissait un net déclin, surtout comparé à ses voisins, deskibboutzim et des villages qui réussissaient à attirer le tourisme etdégageaient de beaux profits. Aujourd’hui, 20 familles juives pratiquantes sontvenues former un noyau (garine, en hébreu) dans ce moshav créé dans les années1950 par des juifs orientaux. Si la demande était faible au départ, 90 famillessont aujourd’hui en liste d’attente pour s’y installer. En effet, cetteexpérience, qui s’inscrit dans un mouvement plus large visant à attirer dejeunes familles religieuses dans des zones encore sousdéveloppées à l’intérieurde la Ligne verte, remporte un franc succès.
« Je me suis toujours intéressé à l’agriculture et à la terre d’Israël »,explique Fuks. « J’ai appris l’existence d’un garine ici, à Shouva. En lerejoignant, je pouvais combiner mes deux passions. Ce qui m’attirait, cen’était pas seulement la perspective de vivre ici : c’était aussi l’idée defaire partie d’une communauté qui travaillerait à améliorer le monde ! » 

Serendre utile à sa communauté

Pour Aharon Ariel Levi, Shouva est une «communauté intentionnelle », un groupe qui s’est donné une mission, et non unassemblage de familles de toutes sortes qui vivraient là par hasard.

Après une enfance laïque à Kiryat Tivon, Levi découvre la religion vers l’âgede vingt ans. Lorsqu’il fonde le garine de Shouva avec d’autres jeunes, iln’imagine pas que son idée suscitera un tel engouement. Aujourd’hui, 13communautés similaires ont également vu le jour dans le Néguev et en Galilée,attirant des juifs pratiquants résolus à améliorer les choses.
« Nous voulions intégrer la Torah à la vie de tous les jours », explique-t-il.« Nous ne nous intéressons pas tellement à la politique, mais nous cherchons àretrouver ce que l’on pourrait appeler “l’israélisme”, c’est-à-direl’intégration du monde de la Torah et de la Halacha avec tous les autresaspects de la vie. » Après l’opération Plomb fondu, Levi et son ami Itaï YossefLachman cherchent ensemble un lieu pour non seulement vivre avec leurs famillesrespectives et gagner leur vie, mais aussi se rendre utiles à la communauté. Aleur grand étonnement, ce qui débute comme un projet réunissant 3 familles vasoudain fructifier dans des proportions inattendues.
« Si nous étions parvenus à réunir ne serait-ce que 15 familles, nous aurionsconsidéré cela comme une belle réussite », affirme Levi.
Ainsi est né Nettiot, vaste réseau fondé sur le modèle du noyau de Shouva etqui réunit des centaines de familles religieuses réparties dans 14 communautésdu Néguev et de Galilée. Chacun de ses membres a deux ambitions : gagner sa vieet contribuer au développement du pays.
« En venant nous installer ici, nous savions qu’il y avait une manqued’activités informelles dans les petites localités proches de Gaza », raconteLevi. « Nous avons donc décidé de leur en apporter. » Pour les jeunes et lesmoins jeunes Aujourd’hui, les membres du garine ont ouvert des crèches et desateliers de loisirs pour les enfants après l’école ; ils organisent en outredes activités pour les personnes âgées et du soutien scolaire. Ils ont créé un« centre communautaire mobile » ; le projet Hitzim, itinérant, propose auxenfants des cours de kung-fu, d’arts plastiques, de yoga ou de danse.
Durant les périodes de tension, ils se chargent de distraire les enfantscontraints de passer de longs moments dans les abris.
Ils mettent par ailleurs l’accent sur la protection de la nature et préconisentun mode de vie allant dans ce sens. Un thème qu’ils ont puisé dans la Torah,qui commande de respecter la terre et de la préserver. Leurs maisons etcaravanes sont d’ailleurs, pour la plupart, construites sur un mode écologique: ce sont des habitations à base de matériaux non polluants.
« Quand nous sommes devenus religieux, nous avions deux options », expliqueLevi : « soit oublier tout ce qui nous passionnait quand nous étions laïcs etnous enfermer dans une yeshiva à Bné Brak ou à Jérusalem, soit prendre leschoses qui nous tenaient à coeur, comme l’écologie et la protection de lanature, et les fusionner avec le monde de la Torah. » Le garine est composé defamilles d’horizons si variés qu’il est difficile de les ranger dans unecatégorie déterminée. Il y a des harédim, des sionistes du courantnational-religieux venus des implantations et des hassidim des mouvementsBreslev et Habad.
A la périphérie 

« C’est bien ce qui fait la particularité de ce noyau », sefélicite Mikey Linial, ancien habitant laïc de Ramat Hasharon.

« Il y a ceux qui ont grandi dans la laïcité et sont devenus des sionistesreligieux, il y a ceux qui ont aussi grandi dans la laïcité, mais sontaujourd’hui orthodoxes ou hassidim. La population est très variée ici ! Pour mapart, je suis venu il y a 18 mois pour faire plaisir à ma femme. Elle avaitbeaucoup d’amis ici. Elle est très douée en matière d’éducation, en particulierauprès des très jeunes enfants. Elle travaillait dans une crèche, où elle avaitintroduit des méthodes qui ont été acceptées par la communauté religieuse. Pourgrandir et se développer, le noyau avait besoin d’éducateurs, alors nous sommesvenus. Il y a beaucoup à faire ici. Nous sommes à la périphérie dans le sensplein du terme, et nous souhaitons transformer cette périphérie en centre. Iln’y a pas de meilleur endroit pour le faire qu’ici. » Les merveilles de latechnologie moderne permettent à Linial de continuer à exercer son métierd’informaticien spécialiste de l’animation et de la programmation internet.Linial a le parfait profil du jeune cadre supérieur moderne appelé à fairerevivre un Israël rural sur le déclin après le départ de ses jeunes, attiréspar l’herbe plus verte du centre du pays.
« Notre idée, c’est de renforcer la périphérie », expliquet- il. « Il ne s’agitpas de faire venir les gens du centre ici pour qu’ils fassent partie de lapériphérie, mais pour que la périphérie fasse un peu partie du centre. Ils’agit de mettre deux mondes en relation. Nous ne sommes pas venus ici pourréaliser un fantasme de “petite maison dans la prairie”, avec une belle maisonet un jardin. Ce n’est pas cela que cet endroit a à nous offrir. C’est unesérie de grands défis, et il y a beaucoup à faire ! » 

En Judée-Samarie, lesprix sont bas

Aussi prospère que ce soit révélée cette initiative, elle nes’est pas vue épargner les douleurs de l’enfantement : l’arrivée de jeunesjuifs religieux dans un vieux moshav a créé d’inévitables tensions, que Linialqualifie de « générationnelles, culturelles et religieuses ». Des divergencesexistent aussi dans le domaine de l’éducation.

Aucun membre du comité du moshav n’a d’ailleurs accepté de parler des apportsdu garine et de son impact sur Shouva.
« Les gens d’ici n’ont pas la même mentalité que ceux qui viennent du centre »,explique Linial. « Ils se comportent différemment, n’ont pas les mêmes codes.Cela transparaît à tous les niveaux. Nous devons en tenir compte les uns et lesautres, et nous efforcer de nous adapter. Cela prendra plusieurs années, maison finira tôt ou tard par oublier ces tensions. » Levi prend donc bien soin dene pas jeter d’huile sur le feu. Il se garde de proclamer que son noyau a « sauvé» le moshav, malgré les résultats sur le terrain. « Il est certain que, depuisnotre arrivée, beaucoup de jeunes nous ont imités en venant vivre au moshav »,dit-il. « Et de nombreuses autres familles sont en liste d’attente. » « Pendant15 ans, le moshav a cherché à vendre ses terrains à des prix dérisoires »,rappelle Lachman. « On pouvait en obtenir pour 60 000 shekels. Il n’y a qu’enJudée-Samarie que les prix sont aussi bas. A l’intérieur de la Ligne verte, çane se trouve pas. Et pourtant, personne ne voulait les acheter, même lesenfants des familles qui habitent là, parce que ce moshav avait mauvaiseréputation. Mais quand le bruit a couru que nous commencions à arriver, cesjeunes qui étaient partis se sont tous mis à acheter des terrains.
Maintenant, tout s’est inversé : il y a beaucoup de demande et très peud’offre. Deux autres garinim se sont créés dans la région et depuis, les prixont monté. » Lachman et sa femme Esther sont des graines d’entrepreneur.
Ils ont créé une petite société de produits cosmétiques naturels et s’occupenten outre de promouvoir le travail des femmes des communautés voisines de Gaza.Lachman espère qu’une intense campagne publicitaire via internet permettrad’engranger des profits et de faire démarrer l’économie de cette régiontraditionnellement pauvre.
« Jusque-là, les moshavim se consacraient exclusivement à l’agriculture »,indique Esther Lachman. « Aujourd’hui, avec l’arrivée des jeunes couples, lesfemmes montent des entreprises et il est très important de les aider à prendreleur essor. » « Nous sommes venus nous installer dans la périphérie du paysafin de créer un pôle d’attraction », conclut Itaï Yossef Lachman. « Nousvoulons que les touristes viennent nous voir et nous voulons faire fructifierl’économie, afin de consolider ces régions de la terre d’Israël. »