Les visages d’Israël

Grâce à des clichés pris sur le vif et des photos peu complaisantes, Axel Saxe palpe le pouls d’une société israélienne aux mille visages

Cliche tire du livre Les Israeliens (photo credit: DR)
Cliche tire du livre Les Israeliens
(photo credit: DR)

 Huit ans de vadrouille, appareil photo à la main, ont permis au photographe professionnel de présenter un Israël sans filtre, grâce à des scènes de vie du quotidien local. Axel Saxe est photographe depuis 1985. Il a travaillé pour l’agence de presse Sygma, les groupes de presse Expansion et Prima, dont le magazine Géo compte publier les clichés du livre Israéliens l’été prochain. Il avait besoin de cette errance photographique pour produire ce travail avec maturité, explique-t-il, sans « tomber dans les travers occidentaux » de la presse internationale. « Quand on voit une masse de photographes face à deux jeunes  qui lancent des pierres, on se dit que ce n’est pas sain », explique-t-il sur un ton franc.

 L’ouvrage visuel est rythmé par la plume du poète et metteur en scène Serge Ouaknine, qui décrit en français et en hébreu la vie de ce « peuple qui ne sait pas mourir ». Et des morceaux de vie israélienne deviennent alors des poèmes sur la guerre sans fin, le grouillement de la Tahana merkazit ou la résilience d’Israël.

Un regard différent

 Le photographe est venu pour la première fois en Terre promise en 2005, après des années de « passion incroyable » pour l’Etat juif. « La première fois que j’ai entendu parler d’Israël, c’était en 1967, au moment de la guerre des Six Jours. Je devais avoir 8 ans, et j’ai découvert ceux qui vivaient dans ce pays : je regardais sur les photos, les visages fascinants des soldats toujours très jeunes, hirsutes, qui riaient », confie Saxe qui se demande à l’époque comment une telle nation peut se dresser face au monde. « Juste avant j’avais appris ce qu’était la Shoah, et j’ai fait très jeune le rapprochement entre les Juifs qui avaient été massacrés en Europe, et les jeunes qui avaient gagné cette guerre ; cette revanche et cette fierté d’avoir un pays à défendre. Les choses se lient entre elles dans l’Histoire », explique-t-il.

En 1991, il prépare des reportages au Liban, dans les camps palestiniens, en Jordanie. C’est depuis les montagnes libanaises du Chouf, d’où sont lancées les roquettes du Hezbollah, qu’il verra pour la première fois les terres israéliennes.
 En 2005, il finit par poser le pied en Israël, qu’il décrit comme « un pays difficile à photographier : il faut regarder les détails, la finesse, les regards ». Mais surtout, il ne voulait pas suivre la ligne que définissent depuis trop longtemps les médias européens, « avec toujours des photos à sensation sur la guerre, au détriment d’Israël ». « Toute cette espèce de fausse histoire ne m’attirait pas. Je savais ce que je ne voulais pas faire pour aborder ce pays, mais pas encore ce que je pouvais faire », avoue-t-il.
 Le photographe a pourtant réussi à proposer un album original. Sa lecture d’Israël transparait dans des photos qui montrent une réalité souvent crue, celle que les Israéliens connaissent, mais à laquelle ils ne prêtent plus attention. Ses photos ne mentent pas. On n’y distingue pas le Tel Aviv hyperactif ou plongé dans un bleu mer, mais plutôt les plages dénudées de Hadera. Saxe aime pourtant beaucoup la « Bulle israélienne », mais pas la façon dont elle est traitée en Europe : « La ville qui ne dort jamais, qui fait la fête jour et nuit, qui travaille tout le temps, moi ça m’énerve, je ne la ressens pas comme ça ». Le photographe affectionne autant les quartiers luxueux d’Azrieli en plein centre-ville, que ceux défavorisés de Skhounat HaTikva en périphérie. « C’est une vraie cité occidentale, extrêmement puissante, comme les grandes métropoles que l’on connait, et il est ridicule de ne voir que le côté ‘paillettes’ » de la ville blanche, considère-t-il.

Zoom sur la « colonne vertébrale » d’Israël

 Lorsque Saxe commence ce travail, il ne veut photographier « ni les soldats, ni le conflit, ni les religieux », parce que l’image d’Israël est selon lui composée de militaires et d’orthodoxes. « Mais je me suis aperçu que même si je ne voulais pas les prendre en photo, ils étaient quand même toujours présents. Il est impossible de ne pas traiter ces sujets : la société israélienne balance entre le laïc et le religieux, il est impossible de faire l’impasse ». L’ouvrage témoigne de l’importance des soldats en Israël, qui font partie intégrante du paysage. Et l’auteur l’a bien compris : « On ne peut pas comprendre le pays si on ne comprend pas que l’armée est la colonne vertébrale de la société », affirme-t-il.

 Comme ce couple en uniforme dans le train qui, un jeudi soir, rentre enfin à la maison pour shabbat : « J’ai pris cette photo accidentellement, très vite, en me rendant à l’aéroport pour rejoindre Paris : j’étais avec ma sacoche, et ce couple s’est posé devant moi, j’ai juste eu le temps d’attraper mon appareil photo au fond de mon sac ». Ou encore ce parachutiste qui appartient à un corps d’élite, debout au milieu de la foule de la Tahana merkazit, un milk-shake à la main : « Il a un regard d’une douceur impressionnante. C’est pour moi exactement ça l’armée israélienne ».
 Selon le photographe, « Tsahal n’est pas une armée guerrière. J’ai approché les soldats au Liban, au Pérou, des armées guerrières je sais ce que c’est. Mais Tsahal est une armée citoyenne. Il y a l’idée que c’est une chose absolument essentielle à la vie et à la sécurité de chacun », explique Saxe, qui ne peut s’empêcher de faire référence à son expérience bien différente au sein de l’armée française. « Ce n’était pas du tout le même état d’esprit. Ici, il y a un sentiment d’utilité et un rôle indispensable. Il existe chez les Israéliens en général, une responsabilité individuelle que chacun se donne : la responsabilité n’est pas seulement collective, mais aussi individuelle, chacun fait attention à ce qu’il est, à ce qu’il fait, à ce qu’il y a autour de lui, et c’est grâce à cela que le pays fonctionne ».
Un ouvrage sans concession, qui ne tolère que la réalité israélienne. Crue, poignante, douce et diversifiée. 

Les Israéliens, Photographies d’Axel Saxe/ Poèmes de Serge Ouaknine, Edition Steimatzky