« Maître du monde, nos ennemis sont (aussi) Tes ennemis »

« L’arche d’Alliance de l’Eternel marchait à la tête des enfants d’Israël l’espace de trois journées, tandis que la nuée divine planait au-dessus d’eux » (Nombres X, 33)

La victoire de Josue sur les Amalecites, par Nicolas Poussin (photo credit: Wikimedia Commons)
La victoire de Josue sur les Amalecites, par Nicolas Poussin
(photo credit: Wikimedia Commons)
 A défaut de l’arche d’Alliance, aujourd’hui, dans toutes les synagogues, au moment où nous faisons sortir le Sefer Torah pour le porter du Hekhal à la Teva, nous entonnons « Vayehi binessoa Aaron ». Il s’agit précisément des paroles solennelles que Moshé déclamait en présence de son peuple et qui méritaient, selon le Talmud, de constituer un livre supplémentaire, indépendamment des autres livres de la Torah. « Lève-Toi Eternel », dit Moshé, « afin que Tes ennemis soient dispersés, que Tes adversaires s’enfuient de devant Ta face ». Et lorsque l’arche sainte faisait halte, il disait : « Reviens siéger, Eternel, parmi les myriades des familles d’Israël » (X, 35-36).
 Commentant ces paroles de Moshé, Rachi se demande qui peuvent bien être ces ennemis de Dieu et répond : « Ce sont ceux qui haïssent Israël car celui qui est animé de haine contre Israël déteste Dieu qui a créé le monde, comme il est dit dans les Psaumes (LXXXIII, 3-5) : “Voilà, tes adversaires relèvent la tête” ». De qui s’agit-il ? « Ce sont ceux qui ourdissent des complots contre ton peuple, ceux qui disent : allons, rayons-les du nombre des nations et que le nom d’Israël ne soit plus mentionné ».
Lorsque nous nous heurtons aujourd’hui à la haine des antisémites, nous nous demandons : « Mais pourquoi nous haïssent-ils alors que nous ne leur faisons aucun mal ». Il n’y a aucune raison logique, bien au contraire. Les Juifs pendant des générations ont œuvré pour le bien-être de l’humanité, et cela dans tous les domaines.
 Il faut croire que c’est justement la lumière que nous apportons au monde qui les dérange. A l’image de ces bêtes féroces qui ne fondent sur leur proie que dans l’obscurité. La lumière les gêne dans leur entreprise. Haine éternelle contre un peuple éternel. Et cela, depuis la nuit des temps.
Déjà, du temps des patriarches, avec Abraham que Nimrod précipita dans une fournaise ardente. Ensuite, c’est le tour d’Ishmaël qui « s’amusait » avec le jeune Itzhak. Le Midrash explique : lorsqu’ils étaient dans les champs, Ishmaël se saisissait de son arc et tirait des flèches sur son frère. C’est la vigilance de Sarah qui a permis d’éviter le pire. Dans le Psaume XXXIII, nous lisons : « L’œil de l’Eternel est sur ceux qui Le craignent ». C’est Itzhak, dit le Midrash Tanhouma. Il poursuit « pour le sauver de la mort » que lui préparait Ishmaël. Nous retrouvons le même scénario concernant le troisième patriarche Yaacov face à son frère. « Essav prit Yaacov en haine à cause de la bénédiction que son père lui avait donnée. Et Essav se dit en lui-même : “le temps du deuil de mon père approche, je ferai périr Yaacov mon frère” » (Genèse XXVII, 41).
Ancrage dans l’Histoire
 Dès lors, les tentatives des nations de nous annihiler n’ont pas cessé. Maassé Avot Siman Labanim. Les manifestations d’antisémitisme dont nous faisons aujourd’hui l’objet sont à l’image des événements qui hier concernaient nos ancêtres.
 Rien de bien nouveau sous le soleil, avait dit le roi Salomon dans sa grande sagesse. Notre génération a, plus que toute autre, subi, notamment avec la Shoah, les ravages causés par cette maladie endémique qui a pour nom antisémitisme. C’est la seule maladie au monde dont ne meurt pas. Celui qui en est atteint tue par millions des victimes innocentes. Un fléau qui hier frappait les communautés juives de diaspora, comme nous l’avons vu récemment au Musée juif de Bruxelles, et qui tente de délégitimer l’existence d’Israël sur sa terre.
 Dans un élan prophétique, à travers une diatribe qui rappelle le J’accuse d’Emile Zola, le roi David s’écrie : « D’un commun accord, ils prennent des résolutions, ils contractent un pacte, les tentes d’Edom et les Ismaélites, Amon et Amalek, les Philistins ainsi que les habitants de Tyr ». Dans un esprit de vengeance non dissimulé, David implore le Tout-Puissant et lui dit : « Mon Dieu, fais d’eux comme un tourbillon de poussière, comme du chaume emporté par le vent. De même que le feu dévore les forêts, que la flamme embrase les montagnes, pourchasse-les par la tempête, jette-les dans une fuite éperdue par ton ouragan » (Psaume LXXXIII).
 La prophétesse Déborah, quelques siècles avant le roi David, s’était exclamée dans le même sens, après sa victoire contre Sissera : « Ainsi périront tous Tes ennemis, Eternel, et tes amis rayonneront comme le soleil dans sa gloire » (Juges V, 31).
 Dans la guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, le peuple d’Israël sortira vainqueur, comme l’avait prédit Moshé notre maître et comme nous en sommes convaincus lorsque tous les matins nous disons à Dieu avant la lecture du Shema : « Vite, fais venir sur nous bénédictions et paix des quatre coins de la terre, brise le joug des nations de notre cou et conduis-nous victorieusement vers (et dans) notre pays ». Le terme utilisé « komemiyout » fait allusion à une victoire à deux étages, deux komot, une victoire sur le plan physique, d’ordre économique et militaire, et une victoire au niveau moral, qui renforce l’unité dans le peuple et son attachement au patrimoine spirituel. Ainsi se réalisera le vœu de Moshé disant à Dieu : « Reviens siéger, Eternel, parmi les myriades des familles d’Israël » (Nombres X, 36).
 Au hasard de mes lectures, je suis tombé sur un texte d’Albert Memmi datant de 1974 qui n’a pas perdu une ride, et je n’ai pas résisté à la tentation de vous en faire part. Dans une lettre adressée au président Kadhafi, tirée de son livre Juifs et Arabes, Memmi proclame : « Est-il exact que vous ayez déclaré que si les Juifs voulaient absolument un Etat, ils n’avaient qu’à le fonder en Europe ou en Amérique ? Pourquoi, nous, Juifs de ces pays à majorité arabe dont je faisais partie, irions-nous fonder un Etat en Europe, pourquoi pas au pôle Nord, alors que nous sommes nés sur les bords de la Méditerranée. Pourquoi cette terre que vous appelez arabe parce que vous y êtes en majorité ne serait-elle pas partiellement à nous ? Suffit-il d’être né arabe pour avoir droit à tout et d’être né juif pour n’avoir droit à rien, sinon à être condamné à rester éternellement des citoyens de seconde zone, exposés à l’humiliation et aux massacres périodiques ? Et si vous vouliez éviter sérieusement que nous nous groupions dans ce coin de terre que nous avons appelé Israël pour renouer avec une très vieille tradition, pourquoi nous avoir traqués, chassés, dans toutes les régions où votre pouvoir s’étend ? »