Prêcher l’exemple

Alors que l’antisémitisme reprend du galon dans une France qui peine à gérer ses extrêmes, Hassen Chalghoumi, l’imam qui dérange, confirme son discours pacifié

Chalghoumi (photo credit: Reuters)
Chalghoumi
(photo credit: Reuters)
Agression dansun train, plaque médicale taguée, ces derniers temps, la France enregistre unerecrudescence des actes antisémites. Plus 46 % entre janvier et avril 2012 par rapport à 2011. Si elle n’est pasnouvelle, cette haine du Juif semble trouver sa source dans un racismeprimaire, essentiellement confessionnel. Le 12 juillet dernier, le Grand Rabbinde France faisait ainsi part de son inquiétude au nouveau président de laRépublique. Certes, “la très grande majorité de la communauté musulmane vit en bonneentente avec la communauté juive”, déclarait le leader cultuel, qui avait toutefoistenu à dénoncer “certains propos qui tentent de mythifier la personne deMerah”. Mohammed Merah. L’assassin de Jonathan Sandler et ses deux garçonnets, de lajeune Myriam Montenegro et de trois gendarmes. Merah, la brute meurtrière, néesur le sol français, qui semble bien faire des émules. Suite à ses actesbarbares de mars dernier, le ministère de l’Intérieur a relevé “un pic” desagressions antisémites. 
Récemment, à l’occasion des 70 ans de la Rafle du Vel’ d’Hiv, François Hollandeprononçait un discours symbolique et largement salué, hormis quelques voixdiscordantes. Mais la demande du Grand Rabbin de France reste plus actuelle que jamais : ilappelle la communauté musulmane à témoigner haut et fort “sa prise de distance,sa récusation pleine et entière de tout ce qui peut de près ou de loin rappelerl’intégrisme, le fondamentalisme et la violence que portent certains courantsde l’islam”.
S’il est un homme qui remplit précisément cette mission, c’est bien HassenChalghoumi, l’imam solitaire, le prêcheur de Drancy. Celui qui incarneaujourd’hui un islam modéré et se bat depuis des années pour favoriser ledialogue entre jeunes des banlieues, musulmans et juifs.
“On n’est pas français” 
En 1997, quand il pose ses valises en France, à Bobignyoù son frère réside, il sonde sa communauté : “connaissezvous d’autresreligions ?” La réponse est non. Chalghoumi n’aura alors de cesse que de créerdes ponts inter-confessionnels. Aller à la rencontre des hommes d’Eglises et de synagogues. Trois ans plus tard, il fait l’acquisition d’un petit pavillon de banlieue ets’installe à Drancy. En 2002, à la recherche d’un lieu de prière pour sesfidèles qui se comptent en milliers, il reçoit l’aide du maire de l’époque,Jean- Christophe Lagarde. Objectif : créer un foyer musulman pour les jeunes duquartier à la dérive. Leur proposer une alternative aux sirènes du fanatisme etqu’ils évitent d’aller gonfler les rangs de l’islamisme radical. Avant tout, martèle Chalghoumi, leur donner envie d’être français. Très vite,ce Tunisien d’origine qui a embrassé une nationalité française revendiquée,constate un malaise dans sa banlieue. Un blocage identitaire et social qui faitle lit, selon lui, des recruteurs d’Al-Qaïda.
Au sein de cette communauté maghrébine, d’origine algérienne pour une bonnepart, l’allégeance à la patrie de Voltaire n’est pas systématique. “On n’estpas français”, disent-ils. Beaucoup ont un père, un frère moudjahidin,assassiné par soldats de l’armée française. Comment alors, pour eux, honorer ce pays d’adoption sans avoir le sentiment detrahir leur famille ? Chalghoumi parle aussi de ces Maliens, ou autresSénégalais qui ne se retrouvent pas dans la culture française. Des immigrés sans repères, en manque de reconnaissance. “Il faut les valoriser”, pointe l’imam, “leur rappeler que le chiffre zéro aété inventé par les Arabes”.
Et cette jeunesse à l’identité multiple et complexe se caractérise aussi parune méconnaissance totale de l’islam, note Chalghoumi. Elle constitue alors uneproie facile pour les rabatteurs des mouvances radicales, qui viennent recruterleurs combattants de Dieu dans les zones urbaines sensibles. En France, maisaussi en Europe. “C’est plus simple qu’avec les jeunes des pays arabes, et ce sont eux qui sontensuite les auteurs de la majorité des attentats commis”. Chalghoumi s’échine, lui, à leur rappeler que la religion n’a rien à voir avecle pays d’adoption. “Aimez votre patrie”, clame l’imam au discours républicainqui se déclare en faveur de l’éducation dans les écoles publiques, “on peuts’intégrer en gardant ses valeurs”.
Fermez ces sites, pour l’amour du Ciel ! 
Chaque vendredi, son prêche attirequelque 4 000 Musulmans : 2 000 dans l’édifice, et autant dans les jardins dece qu’il appelle la “mosquée de la paix”. Chalghoumi parle d’amour, entre les hommes et envers Dieu. Ses fidèles ? “Lamajorité silencieuse, celle qu’on ne voit jamais à la télévision. On ne montreque les barbus”, déplore-t-il, “les fanatiques, ceux qui affirment que je suisisolé et font régner un climat de peur”. En 2010, alors qu’il cristallise les passions par ses prises de position enfaveur de l’interdiction du niqab, les caméras accourent à Drancy. Et nemontrent à l’écran que cette minorité visible que Chalghoumi dénonce pourtant.Les fils de Ouma.com, qu’il rebaptise “Haine.com”. Ou ceux du Collectif CheikhYassine.
L’imam en colère pointe du doigt cinq ou six sites fanatiques, connus de tous,financés par les Frères musulmans ou d’autres mouvances salafistes. Desvecteurs d’intégrisme dont Merah serait le produit direct pour s’y être gavé devidéos, affirme-t-il. “Pourquoi, pour l’amour du Ciel, le gouvernement neferme-t-il pas une fois pour toutes ces plates-formes web ? Par manque decourage politique ?”. La France doit balayer devant sa porte, insiste-t-il. “Il faut arrêter dechercher les coupables en Afghanistan, ils sont chez nous, dans nos prisons”.Les cellules constituent les terres de chasse des Frères musulmans, estimeChalghoumi. Et là encore, il en appelle au gouvernement : “Nous devons protégernotre avenir pour que la France reste la France de Voltaire”. Sa solution : créer un islam de France. Former des imams français. Car,explique-t-il, “on ne veut pas d’ingérence étrangère dans nos villes”. Celle depays arabes, “comme l’Algérie, qui gère la Grande mosquée de Paris”.
Ou celle, surtout, des Frères musulmans, ramifiés, infiltrés, omniprésents dansla capitale et ses zones satellites, mais aussi en province. Et de partir encroisade contre ceux qui se revendiquent de l’islam, “mais ont vendu leur âme àla haine, à l’antisémitisme”. Il faut prendre exemple sur la communauté juive, revendique Chalghoumi. Selonlui, “la communauté musulmane est à la traîne”. Des propos chocs, encensés parles uns, conspués par les siens. Peu importe, l’imam se bat pour ses idées :ôter toute stigmatisation sur les Juifs de la part des jeunes Arabes debanlieue qui exportent le conflit moyen-oriental, une fois encore, en touteméconnaissance du sujet. La Shoah, cela fait près de dix ans qu’il essaie d’en parler auprès desMusulmans de Drancy. Une évidence, selon lui. Par respect, pour contrerl’oubli.
Et celui que d’aucuns taxent “d’islamo-guignol”, de “Sioniste”, “d’imam desJuifs”, a même fait la démarche de venir en Israël, en juin dernier. Invité parl’Institut français, à l’occasion du Forum de la Démocratie, Chalghoumi savaitque son déplacement attiserait les foudres de ses détracteurs. Aux Israéliensvenus le saluer et le remercier de ses prises de position courageuses, ilrépondait, la main sur le coeur, “souhaitez-moi bonne chance pour le retour”.Et de fait, il était attendu par des articles incendiaires dans la pressetunisienne et des insultes de certains groupes propalestiniens français. Celle qui lui fait le plus mal ? “Traître”, répond-il. “Un traître, c’est unhomme politique qui a trahi son parti. Je suis un homme de religion qui n’a jamais trahi sa foi. Le Coran, c’est la paix. Certains le transforment en haine”.
L’ennemi numéro 1 
A ceux qui lui attribuent une période intégriste dans sajeunesse, il rétorque : “Il ne faut pas croire tout ce que vous pouvez lire surInternet. Je suis obligé de payer une société pour remettre à jourrégulièrement ma fiche Wikipédia, hackée par les Frères musulmans”. Certes, il a roulé sa bosse dans les madrasas de Syrie, Turquie, Inde, Iran ouPakistan. Mais ce Tunisien sunnite d’origine, né dans une famille modestetraditionaliste, inscrit dans un lycée alaouite jusqu’au bac, présente celacomme un parcours initiatique. A la recherche de sa foi.
A Damas, il s’immerge pendant deux ans au coeur du nationalisme arabe, évoluede mouvances en mouvements, se familiarise avec les différents courants. Avantde séjourner quelques mois en Turquie, où il sera “très touché par l’islamturc, assez proche de l’islam tunisien”. Puis l’Iran, en 1993. Un passage “terrible” pour celui qui se déclare être endésaccord avec le Régime des Mollahs et leurs manipulations de pouvoir, surtoutdepuis l’avènement de Khomeiny. Il déplore le voile et le sort réservé auxfemmes, les barbus et leur “Islam de l’apparence, fait de provocations”. PourChalghoumi, la religion se porte dans le coeur et s’exprime par les actes. Aujourd’hui, cet imam de 40 ans est régulièrement la cible des intégristesfrançais dont il est devenu l’ennemi numéro 1. Sa vie est périodiquementmenacée.
Sa femme a par deux fois été agressée, victime de crachats au marché. Ses cinqenfants sont inscrits dans une école catholique privée, “par mesure desécurité”. Et lui-même évolue sous protection policière. Dans le camp extrémiste musulman, les appels à sa démission sont légion. Envain, clame-t-il : “rien ne saura me faire taire”. Chalghoumi refuse de céder àl’intimidation. Bien décidé à parler, jusqu’au bout. Pour distiller son message de paix, d’amour et de tolérance, et contrer lesdéviances de l’islam. “Il faut avoir le courage de dire la vérité”, ponctuel’imam, “peutêtre que le courage a manqué en France, en 1940, pour dénoncer cequi était en train de se passer. Aujourd’hui, je suis prêt à parler envers etcontre tout, pour que de telles horreurs, comme la Shoah ou la tragédie deToulouse ne se reproduisent pas”.