Quand le judaisme soigne

Sigmund Freud, fondateur de la psychologie moderne et de la psychanalyse, était profondément athée. Il a pourtant ouvert la voie à la guérison par la parole.

P19 JFR 370 (photo credit: JERUSALEM POST)
P19 JFR 370
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Soigner l’esprit par le langage. Les psychothérapies se basent sur la parole pour guérir les troubles psychiques. Chaque mot prononcé a une signification. Ce poids du verbe se trouve de la même manière dans la Torah, qui donne à chaque mot inscrit une signification profonde.

Selon les textes juifs sacrés, chacun des mots transcrits offre une clé vers les réponses et la vérité. Ils incarnent tous un sens exact.
De Freud à la psychologie juive
La démarche des psycho­thérapeutes se rapproche de celle des textes. Ils guérissent par la parole, en portant leur attention sur les mots que leurs patients prononcent, et apportent un éclairage aux interrogations personnelles. Le questionnement lui-même est une notion qui découle du judaïsme. Les problématiques que les fidèles posent à leurs rabbins touchent à la compréhension du monde, des autres et de soi. Les psychothérapies, justement, aident chaque individu à mieux se comprendre soi-même.
Pour Olivier Husson, psychiatre et psychanalyste parisien, « le lien entre judaïsme et thérapie par la parole existe manifestement ». Celui-ci se trouve « d’abord dans l’invention du monothéisme par le judaïsme, car la question monothéiste pose celle de la responsabilité de l’individu face à Dieu et face au sacré ». Freud a toutefois utilisé les mythes grecs pour construire la psychanalyse, comme le complexe d’Œdipe qui est le thème central de sa théorie. Les préceptes juifs ne l’auraient pas influencé, à l’exception de l’humour : « Freud a fondé tout son rapport au langage et à la névrose en se référant à l’humour juif », confie le psychiatre. Là s’arrête cependant la comparaison, selon l’expert, car Freud, qui se déclarait athée, entretenait un rapport assez complexe avec sa judéité.
« Dans la psychothérapie, le patient peut comprendre par les mots. La vérité n’est cependant pas dans le mot lui-même, mais plutôt dans les conditions dans lesquelles les mots ont été prononcés. Pour Freud, il ne faut pas s’arrêter au mot, mais au contexte », explique encore Husson.
En Israël, par contre, beaucoup de psychothérapeutes croyants utilisent leur foi dans le cadre de leurs séances. Aline Bloemhof est une psychologue clinicienne rayonnante et énergique. Elle explique s’inspirer du judaïsme et de ses valeurs dans les thérapies qu’elle mène depuis 24 ans en Terre sainte. Alors qu’elle a suivi un cursus classique de psychologie en France, elle s’est spécialisée en Israël et a adapté ses méthodes à la psychologie juive. Aline explique que « la vision juive du monde précède les outils de fonctionnement de la psychologie. Les deux facettes se marient intimement ». Cette professionnelle de la psychologie affirme appréhender chaque patient « sans l’enfermer dans des stigmates et des maladies sans issues », en se reliant à la partie saine de la personne afin que celle-ci prenne le chemin de l’équilibre mental. Avec un regard clair et bienveillant, elle chasse les amalgames et précise qu’il ne s’agit pas de faire « une religion de la psychologie juive, car nous utilisons, dans notre centre de psychologie juive, les méthodes traditionnelles et les médicaments ».
Nombreux sont ceux qui se sont spécialisés dans cette conception juive de la psychologie. Le célèbre Dr Yaïr Caspi a, par exemple, fondé l’Institut de psychologie et de judaïsme de Tel-Aviv au sein de la très sérieuse université de Tel-Aviv, il y a déjà quinze ans.
Le Pr Mordechai Rotenberg, qui a enseigné de nombreuses années à l’Université hébraïque de Jérusalem, est, lui, considéré comme le père de la psychologie juive. Tout en s’inspirant de la psychologie dite classique, il ajoute des interprétations sacrées et propose l’idée de Techouva – repentir – non pas dans le sens religieux, mais dans celui d’un retour sur le passé. Rotenberg a notamment aboli de ses théories la littérature classique, comme le complexe d’Œdipe. Selon lui, avec ce personnage du mythe grec qui tue son père et épouse sa mère, le passé ne peut pas être corrigé.
Le professeur remplace donc ce modèle par celui d’Abraham et de son fils Isaac : malgré le sacrifice prévu, selon la volonté divine, d’Isaac par son père, celui-ci est épargné et le lien entre les deux protagonistes de la Torah subsiste. Ce modèle juif permettrait, contrairement aux références freudiennes, de corriger le passé.
L’influence juive de la guérison de l’esprit n’inspire pas seulement les psychothérapeutes classiques.
Une nouvelle approche mystique
Une nouvelle tendance apparaît en plein Tel-Aviv. A deux pas des tours Azrieli, Arian Lev, une Israélienne laïque, a découvert une thérapie d’un genre nouveau. A priori, cette telavivienne, qui n’hésite pas à changer de couleurs de cheveux en passant du roux au blond et parfois au brun, semble bien éloignée de l’approche juive des thérapies. Et pourtant. Arian a conçu une méthode originale pour soigner divers troubles, depuis les désordres alimentaires jusqu’aux échecs sentimentaux, en passant par l’anxiété. Baptisée méthode Arian Lev pour l’inconscient, sa thérapie a déjà fait ses preuves auprès de 5 000 personnes.
Petite-fille de rescapés de la Shoah, Arian explique que sa judéité a totalement influencé sa méthode thérapeutique : « Ma famille a connu la Shoah, je ne suis pas religieuse, mais en Israël nous n’avons pas d’alternatives aux fêtes juives. Nous ne savons pas être autre chose que Juifs. J’ai été très influencée par cette éducation ». « C’est sans doute parce que je suis juive que je me suis dirigée vers les icônes juives », ajoute-t-elle.
Elle a découvert, en élaborant sa méthode durant de nombreuses années, le pouvoir des icônes juives et des lettres de l’alphabet hébraïque. « Ces lettres nous protègent ! », rappelle-t-elle.
Après une première phase de conversation intime qui lui permet de localiser le point de blocage chez ses patients, Arian entame une deuxième étape consacrée à la guérison du corps. C’est là qu’elle utilise les symboles juifs afin d’apaiser les douleurs physiques de ses clients, et les reprogrammer pour vivre mieux. « Cette deuxième phase puise directement dans la Torah et la tradition juive », affirme-t-elle. Elle utilise par exemple les vibrations que dégagent les étoiles de David – en hébreu « maguen » David – afin de protéger la personne, comme l’énonce la traduction littérale du mot. Dans son livre La vérité, publié en français en septembre prochain, elle consacre un long chapitre à l’origine et la signification de la douleur physique, selon les parties du corps dans laquelle celle-ci est ressentie. Arian confie s’être inspirée du Rabbi Nahman de Breslev pour élaborer cette liste détaillée, afin de mieux comprendre comment l’âme et le corps travaillent ensemble, et les reconnecter.
De nombreuses thérapies de l’esprit se sont développées sur les bases juives. Rien de vraiment surprenant : l’approche par les mots et la parole est finalement bien logique, venant du peuple du Livre.