Va vers toi-même

Un Hassid Habad de Safed aide les élèves de Yeshiva à s’exprimer et sortir de leurs zones d’ombre émotionnelles

Des eleves de la Yeshiva Hanoch Lenaar improvisent une partie de foot dans le cadre d'un cours de judaisme (photo credit: RONEN GRIDISH)
Des eleves de la Yeshiva Hanoch Lenaar improvisent une partie de foot dans le cadre d'un cours de judaisme
(photo credit: RONEN GRIDISH)
 Au centre d’un cercle, à la Yeshiva Hanoch Lenaar de Safed, un jeune garçon danse avec aisance, entouré de ses camarades de classe qui font de leur mieux pour imiter ses mouvements. Ronen Gridish dirige la scène, animé d’une intense sensibilité. Il encourage les protagonistes des yeux, et chacun de ses gestes exprime une empathie naturelle.
 Aucune Guemara en vue pour l’instant. Les cahiers ont été temporairement rangés, et les étudiants s’investissent à fond dans cette activité inhabituelle de la Yeshiva.
 Celle-ci fait partie du programme Lekh Lekha (« vas vers toi-même »), que Gridish, un Hassid Habad de Safed, a élaboré pour aider les enfants à sortir de leurs zones d’ombre émotionnelles, développer leur force intérieure et leur confiance en soi, et leur permettre de s’exprimer en toute liberté.
Il commente la scène qui vient de se dérouler sous nos yeux et évoque le programme dans sa globalité. Il se réfère pour cela à une déclaration du Talmud dans Brakhot (58a) : « Tout comme les visages des gens sont différents, de même leurs points de vue diffèrent ». Et d’ajouter : « De la même manière, leurs personnalités et leurs talents sont multiples. »
 Enfant, il a lui-même souffert d’un mode parental qu’il trouvait très contraignant et par trop restrictif. Il perd sa mère brusquement à l’âge de 20 ans. Depuis, Gridish s’est fixé pour objectif d’apporter un soutien affectif aux jeunes qui souffrent eux-mêmes d’une éducation à l’emporte-pièce, ou se débattent dans un environnement instable à la maison ou à l’école. Vétéran de l’armée israélienne, revenu à la pratique de la Torah à 23 ans, il découvre très jeune les ateliers de théâtre pour panser ses blessures et l’aider à surmonter les obstacles qui ont jalonné le cours de ses premiers printemps.
L’apport hassidique mêlé à l’art dramatique lui a permis de grandir, et aujourd’hui, il les combine ensemble pour permettre aux autres de remonter la pente.
Expression et créativité
 « La question fondamentale qui empêche les enfants de s’épanouir est leur incapacité à exprimer ce qu’ils ont à l’intérieur. Le même problème auquel j’ai dû me confronter enfant », explique-t-il. « Je rencontre des enfants tristes, en rupture, incapables d’utiliser leurs capacités et leurs talents, car leur entourage ne les y encourage nullement. »
 La technique spécifique utilisée à Hanoch Lenaar est un dérivé du psychodrame – la méthode psychothérapeutique développée par le thérapeute Jacob Levy au début des années 1930.
La version mise au point par Ronen Gridish, qu’il a surnommée « Hassidrame », mélange les enseignements ésotériques de la Torah avec le modèle de thérapie de groupe de Levy, afin d’aider les jeunes à trouver leur voie et résoudre leurs problèmes de façon créative.
Jusqu’à présent, la plupart des activités se déroulent dans les écoles, ou après les cours, dans les centres socioculturels de la communauté hassidique.
 A Safed, Ronen Gridish a introduit le Hassidrame et des séances de coaching de groupe régulières à l’école primaire Ohr Menahem, à Hanoch Lenaar et au Centre communautaire « le Foyer et le Cœur ». Il vient de commencer un nouveau programme à la Yeshiva-collège Loubavitch de l’Institut technologique.
Ces activités ont reçu l’aval des parents et des psychologues.
 « Il permet aux enfants de pénétrer au plus profond de leur moi intérieur, pour exprimer non seulement leurs pensées, mais aussi leurs sentiments. Ils prennent ainsi conscience d’eux-mêmes et apprennent à mieux se comprendre les uns les autres », déclare Yonatan Hamo, le père d’un élève de Hanoch Lenaar. « J’ai parlé à un psychologue à ce sujet, et il m’a expliqué que ce processus aide les adolescents à surmonter les obstacles qui se présentent à eux dans deux domaines majeurs, celui de la confiance en soi et de l’expression personnelle. »
 L’exercice qui met en scène un jeune dansant au centre d’un cercle, par exemple, est conçu pour renforcer la confiance et la créativité du danseur, mais aussi l’unité au sein du groupe, explique Gridish. Un autre exercice demande à la personne d’interpréter ou de mimer un verset de la Torah ou une idée chuchotée par Gridish dans l’oreille du protagoniste. A charge pour les autres de deviner de quoi il s’agit. Ou encore d’imaginer un âne au milieu de la pièce et de jouer les tenants et aboutissants d’une solution pour le faire sortir.
 « Tous les exercices ont pour but de les aider à créer quelque chose qui n’existe pas », souligne Gridish. « L’objectif est de les amener à utiliser leur créativité et leur imagination pour leur faire comprendre qu’ils possèdent des capacités dont ils ignoraient jusqu’à présent l’existence. »
Acteur de sa propre vie
 Ohr Atsmi présente un autre aspect du programme Lekh Lekha : des ateliers de coaching pour les jeunes, qui traitent de problèmes plus profonds, par exemple leur donner des outils pour leur permettre de se prémunir contre un environnement hostile à la maison ou à l’école.
 « Ils ont parfois été exposés aux disputes entre leurs parents, ou pire encore, et ils se disent : « Je n’ai pas le pouvoir de changer la situation, et par conséquent, je me sens mal dans ma peau, je ne vaux pas grand-chose », explique Gridish. « Mon boulot avec eux consiste à les aider à séparer leur vie de leur environnement, à travailler sur eux-mêmes afin de se sentir bien dans leurs baskets, peu importe ce qui se passe autour. » Une autre facette du programme, très prisée par les élèves : leur participation à la réalisation de films, via la société de production de films religieux Nitsotsot Shel Kedousha (Etincelles de sainteté), en droite ligne avec les activités de Hassidrame.
 Depuis sa création, les jeunes de Lekh Lekha ont collaboré en tant qu’acteurs à la production de plus de 20 films, ce qui représente pour les élèves l’expérience de toute une vie, affirme Gridish. Le lien s’est établi avec la compagnie cinématographique quand Nitsotsot est venu frapper à la porte de Hanoch Lenaar, à la recherche de jeunes talents. Ils ont alors découvert que Gridish était déjà impliqué avec les élèves sur place, ce qui constituait la meilleure préparation d’acteurs pour leurs futurs films.
L’Institut technologique propose un programme de Yeshiva adapté aux besoins d’élèves de niveau bac parfois difficiles à intéresser, ou incapables de rester assis des heures devant un cahier ; Gridish dirige des ateliers de coaching de groupe approfondis, qui ont reçu des critiques dithyrambiques de la part de l’administration.
 « Il sait comment toucher les étudiants de façon très efficace. Il arrive à leur faire faire passer les notions-mêmes que nous nous efforçons de leur inculquer », affirme le directeur de la Yeshiva, le Rav Shlomo Azeroff.
 « Il a choisi les étudiants hyperactifs les plus difficiles à gérer et a réussi à les intéresser. Vous les voyez complètement fascinés à chaque instant. Il leur enseigne comment faire face à la vie, de manière hassidique et tout à fait réaliste. Il les invite à partager leurs opinions, il les écoute, pose des questions et mène des débats et discussions qui les mettent sur la bonne voie. »
 En quatre ans et demi d’existence, de nombreux élèves ont bénéficié avec succès de l’une ou l’autre des activités de Lekh Lekha. Gridish souhaite maintenant étendre son programme afin d’inclure les écoles de filles avec l’aide d’une animatrice, et aussi démarrer un travail avec les adultes.
Il se penche également sur la possibilité d’obtenir des bourses ou des subventions pour permettre un travail de fond sur le plan individuel, qui se focaliserait essentiellement sur les jeunes en difficulté, et espère étendre ses activités en dehors de la communauté hassidique.
« La formule peut porter ses fruits auprès de n’importe qui. Il suffit en premier lieu que la personne se sente capable de prendre des décisions importantes dans sa vie, qu’elle croie en ses propres forces », insiste-t-il. « Je les aide simplement à se focaliser sur ce qui ne fonctionne pas, puis à abandonner ces comportements néfastes ; enfin je leur demande de construire quelque chose de nouveau. Tout le monde peut y trouver son compte. »