Vert, le sionisme ?

Force est de constater que les partis écologiques n’ont pas la côte en Israël. Un paradoxe pour ce pays qui n’a eu de cesse de faire fleurir le désert

P1617 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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Hayeroukim ? Le parti des Verts en hébreu dans le texte. Relativement inconnue en Israël, cette formation politique fondée en 1997 n’a jamais dépassé le seuil des 2 % aux élections législatives, lui permettant de siéger au sein de la Knesset. Créé plus récemment en 2008, le « Green Movement » a lui aussi tenté sa chance dans le pays, sans succès. L’écologie israélienne serait-elle condamnée à l’échec politique ?

Selon Jonathan Aikhenbaum, militant vert israélien et chercheur en politique de l’environnement à l’université Bar-Ilan, la réponse est avant tout d’ordre idéologique. « En Israël, l’électorat s’intéresse en priorité aux questions sociales et sécuritaires. L’écologie n’est qu’un sujet secondaire. Mais on remarque malgré tout que la population s’y intéresse quand elle comprend les tenants et les aboutissants de cet enjeu pour son avenir et pour son quotidien ».

Le tableau n’est en effet pas si noir. Malgré ses échecs cuisants aux législatives (0,29 % des voix en 2013), le parti des Verts a rencontré un certain nombre de succès lors de plusieurs élections municipales, avec notamment 50 sièges dans 22 municipalités lors des élections de 2008. Les exemples de Yona Yahav, élu maire de Haïfa en 2003 sur un ticket avec les Verts ou de Peer Visner, ténor du parti, adjoint au maire de Tel-Aviv jusque récemment, sont également à souligner. Ces succès aux élections locales s’expliquant sûrement par leurs ancrages plus concrets dans la vie quotidienne des administrés.

Absence de lisibilité

Mais quelle est la réelle identité politique de ces mouvements écologistes ? Pour Jonathan Aikhenbaum, cette question est centrale pour expliquer la faiblesse de ce courant : « Ces échecs s’expliquent par le fait que le parti Vert manque cruellement d’une vision sociale forte. C’est l’écologie pour l’écologie. Les Verts israéliens ont totalement copié la structure des autres partis écologistes dans le monde, sans se soucier des spécificités d’Israël – c’est une grave erreur. L’écologie ne doit pas être un sujet de niche, il faut aller aux racines de la crise environnementale. C’est un tout. Quand je pense qu’ils ont voulu alerter la population sur les dangers de l’aliya en raison de l’empreinte carbone de la croissance démographique, quelle erreur ! Israël n’est pas un pays comme les autres. Il ne faut pas oublier que les électeurs votent par intérêt et par identité. La clef, c’est la création d’un parti écologiste, social, juif et sioniste. Le parti Vert reste un parti très superficiel et trop sectoriel. »

L’affiliation politique du parti pose en effet question. Les Verts ont déjà collaboré avec le parti Shinouï (centre-droit) pour ensuite chercher à se rapprocher d’Avoda. Une formation acceptable tant par la droite que par la gauche, essentiellement utile pour aider à consolider des coalitions trop fragiles à la Knesset. Mais de son côté, le Green Movement semble plus clair. Formé il y a 6 ans par l’activiste Alon Tal, après des différends personnels avec le parti Vert, cette plateforme avait prouvé son intérêt dans l’élaboration d’un projet social, notamment en prônant une vaste réforme des transports en commun, un New-Deal vert ou encore une décentralisation accrue des institutions. Elle avait même formé une alliance avec le parti Meimad (sionistes religieux socialistes) lors des élections législatives de 2009, après que celui-ci ait rompu son entente avec le parti travailliste. Mais son virage social trop à gauche fut son principal fardeau lors des élections législatives de 2013, auprès d’un électorat israélien en pleine droitisation, malgré sa présence sur les listes de la formation de centre-droit de Tzipi Livni, Hatnouah. Cette dernière alliance pouvait de toutes façons difficilement passer pour cohérente et lisible, après que l’actuelle ministre de la Justice ait dévoilé son parti et sa liste, formée de rapatriés politiques de toutes parts, moins de deux semaines avant l’échéance électorale.

Cette division politique entre les Verts et le Green Movement est un frein supplémentaire à un succès de l’écologie politique israélienne. Censé contrecarrer « l’immobilisme des Verts », il semblerait peu probable que le Green Movement accepte une fusion entre ces deux formations lors des prochaines échéances électorales, surtout que les deux mouvements ont bel et bien l’intention de tenter leur chance.

Un impact sur le pouvoir d’achat ?

Reste-il cependant des véritables enjeux environnementaux en Israël ? Pour Jonathan Aikhenbaum, cela ne fait aucun doute : « La pollution de l’air engendre près de 5 500 morts par an en Israël, c’est un véritable problème de santé publique. Surtout qu’il est difficile de mener quelqu’un en justice dans ce genre de dossier. Sans parler du problème du réseau routier, de plus en plus dense, qui porte considérablement atteinte à notre écosystème. Enfin, il ne faudrait pas oublier le problème des déchets, dont les places disponibles pour les enterrer se font de plus en plus rares. Et je ne parle même pas du problème de la désertification ».

L’écologie est également un facteur de pouvoir d’achat selon ce chercheur : « Aujourd’hui, beaucoup d’Israéliens sont obligés d’avoir deux véhicules. Développer les transports en commun permettra de considérablement augmenter le pouvoir d’achat des ménages. C’est aussi ça l’intérêt de voter pour un parti écolo ».

La question écologique se pose également après la découverte récente de ressources gazières au large de l’Etat juif. Même si cette solution énergétique reste moins polluante que le charbon et le pétrole, Israël est extrêmement en retard sur l’énergie solaire, à la différence d’un pays comme l’Allemagne qui en a fait une de ses principales source d’énergie, qui de surcroît permet à ses utilisateurs d’économiser d’importantes sommes d’argent. Une véritable aubaine non exploitée pour Israël où les dernières élections se sont jouées sur les difficultés de la classe moyenne. Le recyclage reste lui aussi un sujet majeur, l’Etat hébreu ne dépassant pas le seuil des 20 % pour le recyclage de ses ordures, alors qu’il atteint les 80 % dans certains pays européens.

« Le ministère délivre même des permis pour polluer la mer »

Quid alors de l’action du ministère de la Protection de l’environnement, actuellement dirigé par Amir Peretz (parti de Tzipi Livni) ? Pour Jonathan Aikhenbaum, ce n’est qu’une institution vitrine : « En Israël, ce ministère est vraiment, à la différence de la France, considéré comme un poste de seconde zone, sans prestige. Il souffre d’une réelle faiblesse structurelle et le gouvernement lui accorde peu de moyens. Et le comble, c’est qu’en ce moment, il délivre même des permis pour polluer la mer ! Il accorde des permissions pour dépasser les quantités de polluants. Puis de toute façon, les entreprises fautives ne sont jamais punies. En fait, il nous faudrait un ministre avec une véritable position morale. »

Tout n’est cependant pas à jeter dans cette action ministérielle : « On doit quand même accorder à ce ministère le mérite d’avoir commencé à faire des visites surprises dans les entreprises pour vérifier le respect des normes écologiques, tout en ayant fait un travail important au niveau de l’information. Son rapport sur la préparation d’Israël au changement climatique est de très bonne qualité, même si le gouvernement de Binyamin Netanyahou a annulé le budget réservé aux enjeux de cette crise environnementale… »

Le véritable avenir de l’entreprise sioniste serait-il donc écolo ? La question se pose pour un projet qui a toujours mis l’accent sur la terre. C’est d’ailleurs ce que préconise l’organisation de la « Green Zionist Alliance », particulièrement populaire aux Etats-Unis.

Dans un pays qui a vu naître le KKL, à l’origine de la plantation de nombreuses forêts, et qui reste à la pointe dans des domaines tels que la récupération de l’eau de pluie et des panneaux solaires, il semblerait étrange que l’écologie ne trouve pas le moindre écho sur le long terme. Au vu des enjeux à venir, une véritable formation politique en faveur de l’environnement saura-t-elle émerger tout en restant ancrée dans un discours juif et sioniste ? C’est en tout cas le souhait d’Aikhenbaum : « C’est ça, le vrai projet sioniste de demain » conclut-il. 

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