Un conflit qui s'enlise

Le président égyptien voit grand pour son pays. Mais la menace terroriste compromet ses plans, tandis que l’Occident tarde à lui porter main-forte

Le président égyptien al-Sissi (photo credit: REUTERS)
Le président égyptien al-Sissi
(photo credit: REUTERS)
Le terrorisme islamique menace de réduire à néant les efforts considérables qu’a déployés Le Caire pour améliorer le sort des Egyptiens, développer l’économie et ramener la stabilité politique. Le président Sissi se bat pour sauver son pays et son propre avenir. C’est une véritable lutte contre la montre : sans résultats tangibles, l’Egypte retomberait dans l’anarchie et le chaos.
Seulement voilà : l’armée a beau être énergiquement engagée dans la lutte contre la rébellion islamique dans la péninsule du Sinaï, elle ne parvient pas à venir à bout de l’insurrection. Les chasseurs F16, les hélicoptères de combat Apache et les unités d’élite ont été mobilisés dans cet effort ; des centaines de terroristes ont été éliminés ou arrêtés, leurs campements et leurs terrains d’entraînement détruits. Pourtant, le flot de combattants ne tarit pas. Le groupe Ansar Beit al-Maqdis, qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, poursuit ses raids contre des postes de police et d’autres objectifs sécuritaires, faisant de nombreuses victimes et d’importants dégâts matériels. Le 14 avril dernier, des assaillants ont attaqué le principal poste de police d’El-Arish et ont grièvement blessé son commandant – avant de prendre la fuite, malgré les échanges de tirs nourris entre les deux camps.
Certes, le conflit reste confiné au nord de la péninsule. L’armée a réussi à empêcher les terroristes d’envahir la région sud et la zone du canal de Suez et d’y détruire des infrastructures stratégiques – ce qui aurait eu des conséquences néfastes tant sur l’économie que sur le moral de la population. Mais le pays, et en particulier sa capitale, sont le théâtre d’attentats sporadiques. Bombes et voitures piégées font des victimes civiles et militaires ; de nombreux pylônes à haute tension sont également détruits.
Plusieurs groupes terroristes sont à l’origine de ces attaques : Ansar Beit al-Maqdis, les soi-disant « Soldats de l’Egypte », et bien entendu les Frères musulmans. Leurs membres ont été arrêtés par centaines, leurs chefs emprisonnés et certains condamnés à mort – bien qu’aucun n’ait été exécuté – mais ils continuent à manifester. Même s’ils ont du mal à mobiliser les foules.
Une menace à l’échelle de la région
Pendant ce temps au Yémen, des tribus houthies soutenues par l’Iran cherchent à prendre le contrôle de l’accès à la mer Rouge et menacent le libre passage vers le canal de Suez, rappelant au monde que le terrorisme islamique n’a pas de frontières. Pourtant, c’est en vain que le président égyptien a conjuré la coalition contre l’Etat islamique conduite par les Etats-Unis d’étendre son champ d’action à l’ensemble du Moyen-Orient. Car Barack Obama ne veut pas admettre la dimension régionale et internationale de l’organisation terroriste, qui continue de fournir à Ansar Beit al-Maqdis au Sinaï des hommes et des armes en provenance de la Libye. L’armée égyptienne a beau tuer des terroristes par centaines, d’autres les remplacent. Ils s’infiltrent à travers les 1 200 kilomètres de frontière désertique entre les deux pays.
Et puis il y a la bande de Gaza. Là, les terroristes peuvent se réfugier, se réorganiser, s’entraîner et tester de nouvelles armes. Le Caire ne ménage pas ses efforts pour couper Gaza du Sinaï : le poste frontière de Rafah est la plupart du temps fermé – s’il est ouvert, c’est sous la stricte supervision des autorités égyptiennes ; plus de 2 000 tunnels servant à la contrebande ont été détruits ; une zone tampon d’un kilomètre de large a été instaurée, entraînant le départ forcé de milliers de familles. Malgré les compensations accordées à ces dernières, la mesure a provoqué de vifs ressentiments au sein de la population et a été condamnée par des organisations de droits de l’homme. Pourtant le gouvernement égyptien envisage d’élargir la zone tampon à cinq kilomètres et de punir la construction de tunnels de peines d’emprisonnement à vie. Un tribunal du Caire a interdit les activités du Hamas en Egypte, un autre a qualifié le mouvement d’« organisation terroriste. » Mais le gouvernement a fait appel, pour ne pas porter atteinte au dialogue en cours avec les dirigeants de Gaza sur la question palestinienne.
Face à la menace iranienne et à l’insurrection houthie, Sissi a proposé la création d’une « force arabe d’intervention rapide ». Réunis lors d’un sommet d’urgence à Charm el-Cheikh le mois dernier, les pays membres de la Ligue arabe se sont entendus sur le principe de la formation de cette force ; mais la décision ne sera pas facile à appliquer. Si certains, notamment la Jordanie et certains pays du Golfe, se sont montrés favorables, et que déjà, des rencontres entre commandants en chef sont programmées, d’autres, comme l’Irak et le Liban, ont immédiatement fait savoir qu’ils n’accepteraient aucune atteinte à leur souveraineté. Certes, aucun de ces pays ne tient à envoyer ses troupes se battre loin de ses frontières, car l’armée est le rempart traditionnel des régimes arabes, et des revers militaires pourraient causer leur perte. Toutefois, comme l’Occident continue à se désintéresser de ce qui se passe, Sissi et ses alliés du Golfe n’ont pas vraiment le choix et doivent s’unir contre la menace commune du terrorisme, qu’il soit sunnite ou chiite.
Des projets pharaoniques
En dépit des menaces qui pèsent sur son territoire, le président égyptien a lancé une série de grands projets économiques. Parmi eux, celui d’un second canal de Suez, ou plus exactement du doublement de sa voie navigable ; le but étant évidemment de doubler les revenus. Il envisage également le développement d’une zone industrielle, commerciale et touristique entre les deux canaux ; la construction de 3 000 kilomètres de routes modernes ; et surtout l’établissement d’une nouvelle capitale administrative à l’est du Caire, une entreprise gigantesque dont le coût dépassera les 45 milliards de dollars. Pour réaliser ses ambitions, Sissi a réussi à mobiliser les pays arabes. Lors du sommet du mois de mars, ces derniers se sont engagés à hauteur de plusieurs milliards de dollars. De grands groupes multinationaux ont également indiqué leur intérêt. Un succès remarquable à l’actif du président égyptien.
Mais dans ses rêves de grandeur, Sissi reste confronté aux problèmes endémiques de son pays : explosion démographique, analphabétisme, chômage et pauvreté, sans parler d’une corruption généralisée. Le président entend également réformer l’islam et le purger des éléments extrémistes de son discours. Dans cet effort, il a ordonné au ministère de l’Education de supprimer les textes de certains manuels scolaires qui appelaient au Djihad et encourageaient les attaques contre les autres religions.
En outre, la scène politique interne est encore instable. Les élections législatives ont été repoussées après qu’un tribunal a jugé anticonstitutionnelle la nouvelle loi électorale, censée régir le prochain scrutin. Mais en réalité, il semble que le président n’a pas encore réussi à former un bloc capable de lui assurer la victoire aux urnes. D’autant que la Confrérie, bien qu’interdite, ainsi que d’autres partis islamiques, est toujours en mesure de mobiliser les électeurs.
Abdel Fattah al-Sissi sera-t-il en mesure de remporter toutes ces batailles ? Combien de temps le peuple égyptien sera-t-il prêt à attendre que son sort s’améliore ? Pour l’instant, l’Egypte se bat seule et attend le soutien de l’Occident. Ce dernier n’a pas encore compris que Le Caire est son meilleur allié contre la marée montante du terrorisme qui atteint déjà ses côtes. 
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