La fronde, la flèche et le dôme

Après Arrow et Dôme de fer, la Fronde de David est le dernier volet d’un système élaboré de défense antimissile à trois niveaux qui frôle parfois la science-fiction

Test réussi pour la fronde de David (photo credit: REUTERS)
Test réussi pour la fronde de David
(photo credit: REUTERS)
Une menace existentielle pèse sur l’Etat d’Israël : celle d’une attaque massive à la roquette, simultanément menée par le Hamas, le Hezbollah et l’Iran. Une telle offensive aurait pour cible les villes et les civils israéliens et ravagerait l’économie et les infrastructures de l’Etat juif. Car grâce à la République islamique, le Hamas et le Hezbollah possèdent désormais des roquettes longue portée qui peuvent atteindre la quasi-totalité du territoire israélien.
Selon le ministre de la Défense Moshé Yaalon, Israël aurait détruit 80 % des missiles du Hamas au cours de l’opération Bordure protectrice, l’été dernier. Mais, si l’on en croit la récente vidéo qu’elle a récemment fait circuler sur le net, l’organisation terroriste a déjà renouvelé ses stocks, et teste régulièrement ses tirs de roquettes sur la mer.
Les renseignements israéliens estiment que le Hezbollah pourrait quant à lui tirer plus de 1 000 missiles par jour au cours d’un futur conflit. Tsahal confirme que 200 000 roquettes sont actuellement pointées sur Israël depuis la Syrie, le Liban, Gaza et l’Iran.
Les nuits blanches de Tsahal
« Le Hezbollah détient désormais des missiles dont la portée et la précision pourraient lui permettre de frapper aérodromes, quartiers généraux militaires et centrales électriques », affirme Jeffrey White, ancien officier supérieur du renseignement américain. « Une opération de cette envergure pourrait submerger le système anti-roquettes israélien », prévient-il.
Une opinion corroborée par Dana Stuster, sur le site Foreign Policy : « De source américaine, les forces syriennes ont réussi à faire passer en contrebande à leurs alliés libanais des missiles téléguidés… une nouvelle arme qui fait passer des nuits blanches aux responsables israéliens. »
Il s’agit en effet des missiles longue portée Yakhont, de fabrication russe. Précis et guidés par radar, ils sont généralement destinés à atteindre des cibles navales, mais pourraient aussi bien frapper des cibles terrestres dans tout le pays. Les médias étrangers affirment que les forces aériennes israéliennes ont attaqué à plusieurs reprises des convois censés transporter ces missiles de la Syrie au Liban. Mais les contrebandiers syriens ont réussi à contourner ces raids, en livrant au Hezbollah des pièces détachées.
Et ce n’est pas tout. Tapis dans l’ombre : les Shahab, missiles balistiques longue portée de fabrication iranienne. Sans oublier les S-300, ces missiles de défense antiaérienne considérés comme les plus avancés au monde que la Russie s’apprête à fournir à l’Iran d’ici la fin de l’année.
Au cours d’une longue conversation téléphonique, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a prévenu le chef du Kremlin que si l’Iran se croit à l’abri d’une attaque aérienne israélienne, sa position militaire envers ses voisins en général, et l’Etat juif en particulier, deviendra beaucoup plus agressive. Mais Moscou n’a pas changé d’avis, et l’aviation israélienne s’entraîne désormais à déjouer les S-300.
Parmi l’arsenal de roquettes auquel Israël est confronté, il y a aussi les M-302 (avec une portée de 160 km) et les M-75 (75 km) du Hamas ; les Fajr-5 (75 km), les Zelzal 2 ou M-600 (jusqu’à 400 km) du Hezbollah.
Si l’arsenal de la milice chiite est principalement composé de Katiouchas primitives de 122 mm, elle reçoit également de l’Iran des roquettes munies d’ogives guidées d’une redoutable efficacité. Selon le colonel Aviram Hasson, responsable de la défense antimissile au ministère de la Défense, l’Iran convertirait les roquettes Zelzal non guidées en missiles M-600 guidés.
Lors de la récente Conférence sur la défense antiaérienne et antimissile d’Herzliya, Hasson décrivait l’Iran comme une « locomotive qui ne s’arrête jamais ». La République islamique fabrique de nouveaux missiles balistiques et missiles de croisière, et transforme les roquettes non guidées – dont la précision est de plusieurs kilomètres – en armes de pointe – avec une précision réduite à quelques mètres seulement. « Le Hezbollah », expliquait-il, « est en train d’engranger un grand nombre d’armes de haute précision de provenance iranienne. Sa position est très différente de ce qu’elle était lors de la seconde guerre du Liban en 2006. »
La Fronde de David
Face à toutes ces menaces, comment Tsahal peut-il protéger les citoyens israéliens ? La réponse : par un système élaboré de défense à trois niveaux, qui frôle parfois la science-fiction.
Le 1er avril, un missile Black Sparrow israélien, conçu pour simuler des missiles balistiques à courte portée et tiré par un avion de chasse F-15I, a été intercepté avec succès et détruit par la Fronde de David. Il s’agit d’un nouveau système conçu pour intercepter des roquettes d’une portée de 100 à 200 km ainsi que des missiles de croisière. Son missile intercepteur est un missile à deux étages. Le système de guidage et de ciblage est placé dans le nez du missile qui contient un radar et un capteur opto-électronique. Ce petit bijou de technologie a été développé et fabriqué conjointement par l’entreprise israélienne Rafael Advanced Defense Systems et la firme de défense américaine Raytheon.
La Fronde de David tire son nom de l’histoire biblique (Samuel XVII, 40-49), qui raconte comment David, alors jeune berger, réussit à abattre le géant Goliath avec une pierre tirée de sa fronde. Le nom a probablement été choisi en raison de la haute précision du nouveau système. La Bible raconte, par exemple, que la tribu de Benjamin possédait un corps d’élite de 700 frondeurs, dont beaucoup étaient gauchers, capables chacun de « viser un cheveu avec leur fronde et ne pas le manquer » (Juges XX, 16). Frapper et détruire un missile balistique entrant à 5 000 mètres/seconde est autrement plus difficile que de frapper le large front de Goliath.
La Fronde de David, appelée également en hébreu « Charvit Ksamim » (baguette magique), comble l’écart opérationnel entre le système Dôme de fer, qui protège uniquement contre les roquettes de courte portée, et Arrow 3, capable d’intercepter des missiles balistiques de longue portée, dont certains pourraient un jour transporter des ogives nucléaires. L’intercepteur Arrow 3 agit bien au-dessus de l’atmosphère – littéralement hors de ce monde, où il ne risque pas de blesser des civils.
Cette défense antimissile israélienne à trois niveaux s’est avérée très efficace. Elle est surtout passée de l’idée au mode opérationnel avec une rapidité exceptionnelle. Le secret de cette réussite : de petites équipes créatives d’ingénieurs qui travaillent d’arrache-pied, utilisent de façon intelligente des composants existants, le tout dans un fort sentiment d’urgence.
Rafael Advanced Defense Systems a décroché le contrat pour développer la Fronde de David en 2006. Le système a été testé avec succès en novembre 2012. Un délai entre l’esquisse et le premier test extrêmement bref, pour un système aussi complexe. Et l’avenir est encore plus prometteur.
L’année dernière, Rafael a annoncé les premiers succès d’Iron Beam (faisceau de fer), un bouclier laser à la Star Wars, qui pulvérise les roquettes avec un puissant rayon laser. Les rayons laser étant beaucoup moins coûteux que les missiles intercepteurs. Iron Beam a été mis au point par une équipe de seulement 15 ingénieurs de Rafael – un effectif minuscule par rapport au budget colossal et aux larges équipes du malheureux projet Star Wars de l’ancien président américain Ronald Reagan.
Les deniers de la guerre
La Fronde de David devrait être opérationnelle l’an prochain. Israël disposera alors, grâce à une étroite coopération avec les Etats-Unis, d’un système de défense antimissile très efficace, capable d’intercepter tous les types de roquettes ennemies. Même avec l’aide américaine, aucun autre pays de moins de 10 millions d’habitants ne peut rêver de développer et mettre en œuvre un tel système, à l’exception peut-être de la Suède.
« Nous observons avec grand intérêt les performances de Magic Wand, pour nos besoins personnels », a déclaré l’ancien directeur de l’Agence de défense antimissile américaine. Israël est en effet l’un des rares pays capables de fournir aux Etats-Unis une technologie de pointe en matière de défense.
Le programme antimissile israélien a donc été généreusement financé par l’Oncle Sam. En 2014 seulement, le système du Dôme de fer a reçu 351 millions de dollars et le système Arrow environ 120 millions de dollars de fonds américains. Quant à la Fronde de David, le programme a été budgétisé à 150 millions de dollars, en plus des 3,1 milliards de dollars d’aide militaire américaine.
Le coût opérationnel des intercepteurs reste le talon d’Achille du système. Chaque missile de Dôme de fer coûte environ 50 000 dollars. Le coût d’une Fronde de David se situe entre 700 000 et 1 million de dollars l’unité. Il faut compter 2,7 millions de dollars pour un intercepteur Arrow 2 et 2,2 millions de dollars pour un Arrow 3.
Les vies sauvées et les dommages civils épargnés par chaque antimissile n’ont, cependant, pas de prix. Mais un assaut de milliers de roquettes ennemies pourrait rapidement épuiser le stock de ces chers intercepteurs. Le système de défense anti-roquettes à trois niveaux offrira donc essentiellement aux forces terrestres et aériennes israéliennes un délai de quelques jours pour neutraliser les tirs ennemis.
Qui perd gagne
Israël produit des missiles depuis plus de 60 ans. Tout a commencé en 1953, quand le tout jeune Etat juif, fort de moins de deux millions d’habitants, et en butte aux énormes difficultés de l’absorption de millions de réfugiés et d’immigrants, a créé Israel Aircraft Industries (devenu aujourd’hui Israel Aerospace Industries, IAI). Les premiers pas de la défense antimissile ont commencé par un croquis du général Amos Horev, dans les années 1950. Il dessinait un missile mer-mer devenu le Gabriel. Produit par IAI, il a remporté un grand succès en 1973, lors de son utilisation par les navires lance-missiles de la marine israélienne.
Des deux côtés du conflit israélo-arabe, des sommes énormes ont été dépensées en matériel militaire. Des ressources qui, dans un monde idéal, auraient pu être affectées au bien-être de la population civile. Les habitants de Gaza ont besoin d’abris, de médicaments et de nourriture. Au lieu de cela, le Hamas investit des ressources considérables en roquettes et lance-roquettes.
La futilité de tout cela n’a pas échappé à Amos Oz, qui s’en est fait l’écho lors d’une récente interview télévisée. « Si le Hamas nous tue, il sort vainqueur », explique-t-il. « Si nous les tuons, c’est aussi lui le vainqueur, car son capital sympathie ne fait qu’augmenter en proportion. Nous perdons sur tous les tableaux. »
Nous sommes pris dans l’engrenage d’une véritable marche folle, selon la description de l’historienne Barbara Tuchman. Mais jusqu’à ce que les deux parties trouvent un terrain d’entente, Israël n’a pas d’autre choix que d’utiliser ses meilleurs cerveaux et ses ressources limitées pour se défendre.
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