Les durs lendemains de la victoire

Après avoir été sacré grand prêtre de la politique, Netanyahou conduira finalement une coalition étroite. Entouré de rivaux plus hostiles que jamais, son leadership est menacé

Netanyahou dans l'embarras (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Netanyahou dans l'embarras
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Rien ne s’est passé comme prévu. Quand il a provoqué des élections anticipées à l’automne dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahou était convaincu que les satellites du Likoud resteraient dans son orbite, quelle que soit l’issue du scrutin. Il en avait toujours été ainsi par le passé, à une exception près, celle qui confirme la règle : en 1992, le Shas entrait dans le gouvernement d’Itzhak Rabin, revenu au pouvoir à une époque où le rabbin Ovadia Yossef épousait encore les idées travaillistes en matière de politique étrangère. Un arrangement qui devait durer deux ans, avant que le Shas, conscient des réticences de ses électeurs vis-à-vis des accords d’Oslo, ne quitte le navire. Les observateurs politiques avaient, depuis, établi que la droite, bien qu’elle soit plus divisée que la gauche, reste soudée au moment de former des coalitions, car les électeurs des petits partis tiennent à voir leurs dirigeants rester aux côtés du Likoud.
Cette règle d’or a volé en éclats la semaine dernière, quand Avigdor Liberman a annoncé, après six semaines de négociations intermittentes, qu’il renonçait au ministère des Affaires étrangères pour rejoindre l’opposition. Sa décision a eu l’effet d’une bombe au sein du système politique israélien, car personne n’avait su prédire un tel dénouement, surtout pas le principal intéressé : Benjamin Netanyahou.
Le chef de file d’Israël Beiteinou a changé la donne, rebattu les cartes, et retiré certains atouts d’entre les mains du Premier ministre. Politiquement assiégé, le vainqueur des élections préside aujourd’hui la majorité la plus faible qui soit : 61 députés. Il va devoir garder à l’œil un corps législatif hostile qui guettera la moindre de ses déconvenues. Une menace qui pèsera sur son mandat, plus encore que le dossier iranien. Du jour au lendemain, six semaines de célébrations ont ainsi cédé la place à une terrible gueule de bois.
Un réveil difficile
Le camp Netanyahou avait pourtant toutes les raisons de se réjouir. En appelant aux élections anticipées les plus précoces de l’histoire politique de ces 25 dernières années, le chef du Likoud a prouvé qu’il était un stratège à la fois téméraire et visionnaire. Les élections de 2013 l’avaient affublé de partenaires centristes qu’il ne portait pas dans son cœur, et voilà qu’il les remplaçait soudain par ses partenaires naturels. Les commentateurs politiques, sans être tous à la fête, ne pouvaient s’empêcher d’admirer l’exploit accompli. Chacun étant convaincu que le bloc de droite resterait intact, le chef du Likoud se faisait sacrer grand prêtre de la politique.
Les oiseaux de mauvais augure n’ont cessé de rappeler que, depuis 1961, tous ceux qui ont provoqué des élections anticipées en Israël s’en sont finalement mordu les doigts et semblaient s’être trompés. Jusqu’à la semaine dernière, tout indiquait que le vent avait tourné. Mais aujourd’hui, il apparaît que Netanyahou a emprunté ce même chemin qui a conduit d’autres politiciens avant lui à regretter leur impétuosité, et qui a même parfois signé leur arrêt de mort politique.
Le Premier ministre n’est pas encore condamné à mort. Cette élection anticipée n’est pas tout à fait semblable à celle des travaillistes de 1977, qui a entraîné leur première défaite électorale dans l’histoire d’Israël, ni à celle de Shimon Peres en 1996, à l’issue de laquelle le jeune Netanyahou a pris les manettes. Le chef du Likoud n’en émerge pas moins au milieu d’un paysage politique qui lui est nettement moins favorable, et bien plus hostile, que celui qu’il devait affronter avant l’automne dernier. De chaque côté de la division politique, Netanyahou se retrouve désormais confronté à des rivaux plus redoutables que jamais.
Des adversaires féroces
Dans l’opposition, il va devoir faire face à la grande victime de ces élections anticipées : Yaïr Lapid. Netanyahou a manœuvré le chef de file de Yesh Atid à trois reprises : quand il l’a nommé ministre des Finances, un portefeuille qui ne convenait pas réellement à un ancien journaliste fraîchement entré en politique, quand il n’a rien fait pour l’aider à réussir dans ses nouvelles fonctions, et enfin, quand il l’a poussé par-dessus bord. Autant de coups bas qui laissent supposer que la confiance sera difficile à rétablir entre les deux adversaires.
Et puis il y a la nouvelle star de l’opposition : Avigdor Liberman. Les deux hommes se sont côtoyés 23 années durant, étant successivement patron et assistant, chefs de partis rivaux, chefs de partis alliés et partenaires de coalition forcés. 23 années qui culminent aujourd’hui en une inimitié débridée. Liberman vient d’asséner au Likoud et à son chef un coup dévastateur, qu’ils ne sont pas près de lui pardonner. Car le parti au pouvoir n’est guère convaincu par le prétexte énoncé : la trop grande ouverture de Netanyahou aux partis religieux. Celui qui, l’an dernier encore, était considéré comme le futur dirigeant du Likoud passe maintenant pour un traître qui a prémédité son départ, le réservant astucieusement pour le dernier moment, afin que Netanyahou se retrouve acculé et contraint, faute de temps, à se contenter d’une coalition étroite.
Sans doute sa défaite cuisante au dernier scrutin a-t-elle laissé un goût amer à Liberman. Sans parler du fait qu’il est convaincu que Netanyahou est à l’origine des poursuites judiciaires dont font l’objet de nombreux membres de son parti. Difficile d’imaginer ces deux-là dansant à nouveau le tango.
La victoire de Bibi a eu un triple effet : la défaite infligée à Itzhak Herzog, la marginalisation de Liberman, et l’affaiblissement de Naftali Bennett. Ce dernier a perdu un tiers de son électorat, réduit au statut de roue de secours pour la Ferrari que Netanyahou s’apprêtait à piloter. Mais la situation s’est soudainement inversée. Tirant profit du départ de Liberman, le chef de HaBayit HaYehoudi a obtenu le ministère clé de la Justice, en plus de ceux de l’Education et de l’Agriculture, ainsi que deux sièges au cabinet de sécurité du pays. Durant les séances de ce même cabinet, Netanyahou risque bien de regretter le gouvernement qu’il a démantelé avant même de parvenir à la moitié de son mandat.
Et puis il y a Moshé Kahlon. Le ministre des Finances sera une pièce cruciale sur l’échiquier du nouveau gouvernement. Sa détermination à faire adopter d’ambitieuses réformes dans les domaines du logement et du secteur bancaire a toutes les chances de lui valoir bon nombre de gros titres au cours des mois à venir. Un anathème pour le ministre de l’Intérieur Guilad Erdan et le ministre des Transports Israël Katz, qui devront désormais envisager l’éventualité que Kahlon revienne un jour au sein de son Likoud natal pour leur ravir le poste de successeur de Netanyahou, qu’ils convoitent l’un et l’autre.
Une coalition trop étroite
Si Netanyahou avait formé la solide coalition que lui ont offerte les électeurs, son leadership n’aurait pas été ébranlé. A présent, il se voit affaibli, et au sein même de son parti, on commence à mettre en doute sa longévité politique. Sa coalition de 61 sièges oscillera régulièrement entre des votes emportés de justesse aux séances plénières et d’autres tout aussi serrés au sein des 16 commissions de la Knesset.
Il est déjà arrivé qu’Israël ait une coalition de 61 députés. Par exemple, dans le gouvernement dirigé par Menahem Begin après l’élection de 1981. Un héritage traumatisant. Après avoir mené une guerre ambitieuse et très coûteuse au Liban sans le soutien de l’opinion publique, Begin a dû affronter un mouvement de protestation qui a engendré son départ tragique et l’état de solitude dans lequel il s’est éteint.
L’étroite majorité dont il dispose n’offrira pas à Netanyahou une posture publique beaucoup plus confortable. Les chances d’introduire des réformes économiques conséquentes se sont tout à coup réduites comme peau de chagrin. Ce qui n’empêchera pas l’accumulation, sur le plan interne comme dans l’arène diplomatique et sécuritaire, de difficultés réclamant un degré d’autorité impossible à détenir avec une coalition de 61 membres. Il ne reste donc plus qu’une seule et unique solution : embarquer les travaillistes à bord.
Intégrer les travaillistes au sein du gouvernement est bien la dernière chose que Netanyahou avait en tête lorsqu’il s’est affranchi de Yaïr Lapid et de Tzipi Livni ; c’est néanmoins un scénario de plus en plus probable. L’idée a déjà été publiquement soutenue par des personnalités influentes comme le porte-parole de la Knesset Youli Edelstein.
Israël a connu, tout au long de son histoire, plusieurs gouvernements de large coalition. Le moins glorieux a été celui au sein duquel Itzhak Shamir était Premier ministre et Shimon Peres ministre des Finances, de 1988 à 1990. En l’absence d’un objectif commun, le gouvernement est tombé quand Peres a voulu pousser un député à quitter le Likoud pour former avec lui un gouvernement à majorité très étroite.
Mais il s’agit là d’une exception. Les autres gouvernements d’union nationale de l’histoire du pays se sont fixé des objectifs bien définis, qu’ils ont atteints avec une efficacité impressionnante. Ce fut le cas du gouvernement d’urgence de Levi Eshkol, qui a gagné la guerre des Six Jours, du gouvernement de rotation de Shimon Peres, qui est venu à bout d’une inflation effrénée, et du gouvernement d’union nationale d’Ariel Sharon, qui a remporté le combat contre le terrorisme au cours de la précédente décennie. Aujourd’hui, un gouvernement d’union aurait toutes les chances de réussir s’il décidait de se concentrer sur une réforme majeure : celle du système politique.
Likoud et travaillistes partagent la même aversion pour les petits partis qui, ces dernières décennies, paralysent la direction du pays. Dernier exemple en date : Liberman et Bennett, condamnés par leur propre électorat à rester en marge du paysage politique, se sont retrouvés au premier plan lorsqu’il s’est agi de dessiner celui-ci. Ayelet Shaked, 39 ans, dont la carrière publique se résume à deux années sur les bancs de la Knesset, se retrouve propulsée au sein du cabinet de sécurité et présidera la Cour suprême et l’ensemble du système judiciaire. C’est là le genre d’anomalie auxquelles les deux principaux partis auraient aujourd’hui l’occasion de remédier. Tôt ou tard, ils s’uniront pour le faire. A moins que ne survienne un événement extérieur susceptible de créer un sentiment d’urgence, quelque chose de plus important et de plus imprévisible encore qu’Avigdor Liberman.
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