Les cyber combattants de Tsahal

Visite à l’académie d’élite en cyber défense de Tsahal qui forme les soldats aux guerres du futur

Yaniv Ossi, commandant de l’école militaire d’élite cyber informatique de l’IDF (photo credit: IDF)
Yaniv Ossi, commandant de l’école militaire d’élite cyber informatique de l’IDF
(photo credit: IDF)

En 1958, l’armée israélienne décidait d’acquérir son premier ordinateur, un Philco 200 modèle 211. Celui-ci occupait une pièce entière. « Il y avait eu débat pour savoir s’il fallait acheter une telle machine ou bien construire une nouvelle piste d’atterrissage pour les jets de l’armée de l’Air », raconte le Lieutenant-colonel Yaniv Ossi, qui dirige l’école d’élite de l’armée en cyber espionnage. A l’époque, l’informatique était une science nouvelle. Philco, une société basée à San Francisco, affirmait que l’ordinateur qu’elle produisait pouvait classer et traiter l’équivalent en documents d’une rame de papier en 18 minutes. Yitzhak Rabin et Shimon Peres, alors respectivement vice-chef du personnel et directeur général du ministère de la Défense, ont tous deux soutenu l’acquisition de la machine, percevant que l’avenir se trouvait dans l’informatique. A ce moment, les capacités informatiques de Tsahal se trouvaient aux mains d’une poignée de soldats qui devaient souvent faire des allers-retours en transportant la très lourde carte mère de l’engin entre le département informatique à Ramat Gan, et la Kiria de Tel-Aviv où se trouvent les quartiers généraux de l’armée.

Les nouveaux champs de bataille
Le temps a bien passé depuis, et Tsahal est aujourd’hui l’une des armées les plus informatisées du monde. Une caractéristique qui attire souvent l’attention des médias, curieux de comprendre dans quelle mesure cela a pu influencer la vocation d’Israël à devenir la « nation start-up ». Plus personne ne s’interroge au sein de Tsahal pour savoir s’il vaut mieux construire de nouvelles pistes d’atterrissage ou acquérir de nouvelles technologies. Un choix judicieux, comme l’a encore prouvé l’attaque de type ransomware du virus WannaCry qui a infecté plus de 200 000 ordinateurs à travers le monde début mai. A la différence de nombreux autres pays, Israël a parfaitement paré la cyber attaque et n’a pas été touché par le virus.
C’est dans une rue résidentielle de Tel-Aviv que se trouve la Basmach, l’académie d’élite de l’armée en informatique et cyber défense. Derrière la façade discrète d’un bâtiment qui semble dater des années quatre-vingt, se trouve le centre névralgique des investissements de Tsahal afin de développer la cyber technologie. « Pour faire face à ce qui menace le pays, le chef d’état-major Gadi Eizenkot a décidé que de la même manière qu’il existe des champs de bataille dans les airs, dans l’eau et sur terre, le cyber espace constitue un nouveau front », explique Yaniv Ossi.
Il s’agit toutefois d’une frontière particulière car, à la différence des airs, des eaux ou de la terre, qui sont des éléments qui ne changent pas, la technologie, elle, est en constante évolution. Tel est le mantra de Tsahal qui investit des ressources significatives pour former des programmateurs informatiques, des experts en cyber sécurité et des administrateurs réseau. A l’instar des Etats-Unis qui ont créé un commandement cyber en 2009, l’armée israélienne a réalisé que le front cyber et toutes les applications technologiques qui en découlent et dont profitent les autres fronts traditionnels, étaient la clé de l’avenir.
« Notre école n’est pas une entité isolée. Notre armée est très orientée vers la technologie et notre centre s’inscrit dans une idée plus large », affirme Ossi. Il explique que Tsahal a connu une véritable révolution durant la dernière décennie, qui affecte tous les aspects de la défense.
La place faite par Tsahal à la technologie rappelle la dernière grande révolution qu’a connue l’armée, souvent appelée « révolution dans les affaires militaires ». Celle-ci est devenue particulièrement importante après la guerre du Golfe en 1991, lorsque la technologie de l’armée américaine a permis d’écraser l’armée irakienne sans causer trop de pertes humaines côté américain. Les Irakiens ont perdu quelque 3 700 tanks alors que la coalition menée par les Etats-Unis n’en a perdu que 31.
L’idée retenue de cette guerre était que la technologie ne changerait pas seulement la précision du ciblage et le guidage d’armes comme les missiles et les bombes intelligentes, mais qu’elle révolutionnerait également les communications, la logistique et fournirait aux soldats des drones, des outils robotiques, l’imagerie satellite et d’autres armes avancées. « La technologie modifie radicalement la manière dont nos soldats se battent, c’est pourquoi elle est devenue incontournable sur le front. Certains robots, les drones, les tablettes et autres supports sont devenus indispensables car ils permettent notamment aux commandants de localiser leurs soldats », explique Yaniv Ossi. Pour le lieutenant-colonel, cette révolution technologique a été vraiment perçue pour la première fois lors de l’opération Bordure protectrice à Gaza en 2014. Aidés par un éventail d’outils sophistiqués, les commandants savaient par exemple beaucoup plus précisément où et quand détruire le véhicule d’où étaient lancées les roquettes et cibler la personne responsable.
La crème de la crème
Faire de l’armée une pionnière en nouvelles technologies nécessite un grand nombre d’experts en informatique. La priorité pour l’académie est de trouver des soldats capables de programmer et de développer des codes informatiques. Ceux qui ont étudié l’informatique au lycée ou qui possèdent de fortes compétences cognitives sont sélectionnés pour un cours de six mois. « Ils doivent être à même de gérer des situations et des informations complexes par eux-mêmes ou en équipe. Ils doivent faire preuve d’autonomie et être capables de travailler sous pression », indique Yaniv Ossi. Ils ne sont que 15 % à 20 % sur plusieurs milliers de candidats à réussir les tests de sélection, particulièrement rigoureux.
Les cours de l’académie démarrent à 7 heures 30 le matin et se terminent à 22 heures. Les élèves passent la journée à étudier et à travailler sur différents projets. L’unique pause, celle du déjeuner, ne s’éternise pas. « Notre enseignement est uniquement pratique », explique Yaniv Ossi. L’idée étant de former les recrues aux outils précis dont ils auront besoin lors de leur première mission, en l’occurrence pas à la Silicon Valley mais au sein de l’armée de l’air, de terre, de la marine ou des unités de renseignement comme le bataillon 8 200.
L’académie fonctionne avec des plateformes de logiciels libres en Internet des objets. Elle ne réinvente rien et se contente d’utiliser ce qui marche. « Je prends ce qui existe déjà en dehors de l’armée et nous l’adaptons à nos besoins », indique le lieutenant-colonel. Permettre à la technologie d’avancer nécessite également des administrateurs systèmes et réseaux également formés à l’académie, qui ont pour mission de veiller à la bonne marche du système informatique. Yaniv Ossi compare cela au fait de s’asseoir chez soi et de s’apercevoir tout d’un coup que les arbres dans le jardin bougent de manière anormale. Quelqu’un doit surveiller les arbres autour du réseau, dit-il. Ces soldats chargés de relever les faiblesses dans le système de Tsahal sont formés durant quatre mois. Tous les cursus de l’académie exigent des militaires qu’ils signent pour un service prolongé pouvant aller jusqu’à deux ans demi supplémentaires.
L’armée investit des ressources considérables dans ces programmes. C’est pourquoi voir ensuite ces militaires opter pour une carrière civile dans le hi-tech plutôt que de conserver l’uniforme, représente pour elle une perte majeure. L’académie cherche donc à séduire et propose des programmes de reconversion et des formations continues pour ceux qui sont passés par ses bancs.
Le major Cohen, qui travaille également au sein de l’académie, me reçoit dans son bureau. « La nation construit l’armée qui construit la nation », me dit-il. A l’instar de Yaniv Ossi, il décrit Tsahal comme faisant partie de l’« écosystème » de la société israélienne. Il me montre une infographie faisant état de la progression des élèves dans leur apprentissage, depuis l’acquisition du langage C, le langage basique de programmation, jusqu’aux paradigmes de programmation comme OOP, en passant par d’autres langages tels Java, CSS, HTML ou Python. Il est clair que l’école vise à être systématiquement à la pointe des connaissances et des nouveautés. Le major montre ensuite plusieurs jeux élaborés par les élèves en se basant sur certaines réalités. L’un d’entre eux figure des roquettes tirées depuis Gaza et leur interception par l’armée. Un jeu qui a eu l’occasion d’évoluer : ainsi, depuis la mise en place du système anti missiles Dôme de Fer, qui n’intercepte pas les roquettes qui ne sont pas susceptibles de tomber dans des zones habitées, le jeu met au défi d’intercepter celles qui font courir un danger à la population.
Lorsque les gens entendent parler de technologie et d’armée, ils s’imaginent souvent des opérations sous couvert de secret d’Etat. Ils ont sans doute en tête le documentaire Zero Days réalisé en 2016 à propos du virus Stuxnet, qui tendait à prouver qu’Israël était derrière la création et la propagation de ce virus destiné à ralentir le programme nucléaire iranien en 2010. Sur ces images, il est souvent question de la fameuse unité 8 200. Le magazine Forbes qualifie celle-ci de « machine à startup secrète d’Israël », du fait que ses vétérans ont souvent créé des entreprises à succès, notamment des sociétés de capital-risque.
A l’académie, on insiste également sur les valeurs morales que sont la pureté des armes et l’éthique professionnelle. « Cela signifie que nous ne prenons pas les choses que nous ne sommes pas censés prendre ou que nous ne les utilisons pas dans un autre but que celui qui leur est assigné », dit Yaniv Ossi. Nous n’en saurons pas plus sur les applications offensives secrètes développées par les cyber unités de Tsahal.
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