France-Israël : les affaires reprennent

Avec de beaux contrats à la clé, le voyage présidentiel a pleinement atteint ses objectifs économiques.

P9 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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La ruée versl’or ? Israël, au 4e rang mondial du dépôt de brevets par habitant et avec 5 %de son PIB investi dans la recherche et le développement, a tout pour fairerêver l’Hexagone. L’Etat hébreu se classe également 2e sur l’index global dedynamisme (GDI) dans la catégorie Science et Technologie, compilé par GrantThornton. Ce qui situe son économie parmi les plus développées sur les planséconomique, scientifique et technologique, financier et humain. Le dynamismeétudié par Thornton est défini en fonction de la puissance économique d’unenation et sa capacité à développer de nouvelles entreprises. « Israël est l’undes seuls pays au monde à avoir mis en place un écosystème de sociétésinnovantes, qui sont à l’origine de percées technologiques », relève PierreMourlevat, conseiller économique de l’ambassade de France à Tel-Aviv. Selon unrapport de l’OCDE publié ces jours-ci, pour gagner en compétitivité, la Francedoit renforcer sa concurrence. La visite du président François Hollande tombaitdonc à pic ; quoi de mieux, en effet, que d’aller se frotter à l’espritpionnier israélien et à son marché florissant ? Ce qu’il faut à la France pouraller plus loin et soutenir l’innovation, pouvait-on lire dans le dossier depresse diffusé par le ministère de l’Economie hexagonal, c’est « lever desbarrières dans les entreprises, les laboratoires, les administrations et lesmentalités : une politique globale de transformation de la société pourconstruire le nouveau modèle français ». Interpellés par le miracle de lastart-up nation, et le désir de relancer la coopération entre les deux pays, leprésident, la délégation du Medef, le patronat français et une centaine dechefs d’entreprises ont donc tout naturellement tourné leurs regards vers laSilicon Valley israélienne.

L’innovationau cœur de la croissance

Mardi 19novembre, « la délégation française s’est rendue à l’université de Tel-Aviv,centre d’excellence des nanotechnologies, de la recherche médicale, de lacyber-défense et de l’informatique, fort de 15 000 étudiants et chercheurs dansles domaines scientifiques. Elle a pu visiter l’incubateur Ramot, destiné àfinancer la recherche et ses applications et apprécier ce cercle vertueux de lacroissance israélienne », se réjouit François Heilbronn, professeur à SciencesPo Paris en stratégie de l’entreprise. Développer sa capacité à se réinventeret trouver la bonne idée qui fait mouche passe par le dépassement de soi,explique-t-il. Mais il ne suffit pas d’être le premier à imaginer un produitqui n’existe pas encore pour devenir champion de sa catégorie. Pour êtreinnovant, il faut courir en tête, être le meilleur, mais aussi arriver au bonmoment sur un marché concurrentiel et acquérir une frappe commercialecompétente, développe l’expert. Et c’est là justement que le bât blesse enFrance. « Ce qui a retenu leur attention et fait la spécificité d’Israël, c’estla mise en place de structures de financement en amont, qui permettent auxchercheurs et à leurs brevets un accès rapide aux marchés », fait remarquerHeilbronn. Et d’ajouter, « en France, les chercheurs se retrouvent souventseuls avec leur découverte et peinent à trouver des financements pour lesmettre en œuvre. Ramot, à l’interface entre le chercheur et l’entrepreneur,fait breveter l’invention, puis cherche des financements dans le mondeentier ».

Le développementde la coopération universitaire était aussi à l’honneur en cette journéetelavivienne. Hollande a salué les professeurs et les quelque 30 000 étudiants,et en particulier le département de culture française. Il a également encouragéles partenariats entre les facultés françaises et israéliennes, initiés par lesAmis français de l’université de Tel-Aviv. Cette association, dont Heilbronnest également président, a pour vocation de lever des fonds substantiels pourla recherche, l’éducation et l’infrastructure physique dans les domaines lesplus divers. Dans la foulée de l’allocution présidentielle, un partenariatrenforcé entre Polytechnique et l’université de Tel-Aviv a été annoncé, venants’ajouter aux liens déjà établis avec Sciences Po, la Sorbonne Paris IV et leCNRS. Plus original, le ministère français des Affaires étrangères a nommé unreprésentant qui siégera à l’université israélienne afin de promouvoir lacollaboration scientifique entre l’Hexagone et l’Etat juif, et soutenir lesinitiatives et les projets les plus novateurs. « Ces entrepreneurs quis’intéressent à l’innovation comme source de croissance, ont pu apprécier ladensité du tissu économique et universitaire d’Israël et d’un avis unanime, lesretombées économiques de ce voyage sont exceptionnelles », se félicite encoreFrançois Heilbronn.

La moisson estbelle

Et de fait,plusieurs gros contrats et partenariats d’avenir dans les domaines destransports, du traitement de l’eau et de l’énergie ont été annoncés. Alstom etla SNCF ont signé avec Boaz Zafrir, directeur général des Chemins de ferisraéliens (Israel Railways ISR). Développement, modernisation des chemins defer et des gares, formation des conducteurs de trains, information despassagers et matériel roulant destiné au fret… tout est mis en place pourl’objectif israélien : 70 millions de passagers en 2020, contre 12 millions en2000. « C’est un partenariat important pour nous », a affirmé à l’AFP GuillaumePepy, patron de la SNCF, qui a évoqué « un partage de technologies avec Israëlqui est très en avance dans le domaine technologique, mais pas dans les transportspublics ».

Egalementattendue, la signature d’un accord permettant aux entreprises françaises definancer, construire et exploiter deux nouvelles lignes de tramway dans laVille blanche. Coût estimé : 5,5 milliards d’euros.

Du côté desénergies propres, une nouvelle entreprise devrait voir le jour d’ici la fin del’année, « Ennesys Israël & Ennesys Territoires », développée localementpar deux franco-israéliens Jeremy Brabet et Rony Sarfaty (voir encadré).Première coopération franco-israélienne du genre, Antoine Cahuzac, directeurgénéral d’EDF Energies nouvelles, a conclu un premier projet de ferme solairephotovoltaïque, coproduit par la filiale d’énergies renouvelables d’EDF aukibboutz Gvoulot, dans le sud du désert du Néguev.

Quant à Alcatel-Lucent,suite à l’inauguration, début octobre, d’un centre de recherche etdéveloppement dédié au cloud computing (gestion de données), il s’estpositionné en Israël dans les solutions optiques et l’équipementier en yinvestissant 40 millions d’euros.

Enfin, on peut seréjouir de voir les investisseurs français, tels les fonds Kima ou Iris(Publicis et Orange), financer de jeunes pousses israéliennes. FrançoisHollande a ainsi annoncé le lancement d’un fonds souverain en partenariat avecl’Etat hébreu de la BPI, la Banque publique d’investissement française, dansles nouvelles technologies. Denis Jacquet, fondateur de l’association Parrainerla croissance, a, de son côté fait part de la création d’un fondsd’investissement franco-israélien. Enfin, les territoires sous contrôle del’Autorité palestinienne ne sont pas en reste. Au cours de la visiteprésidentielle,

5 accordsbilatéraux ont été signés, dont une convention d’aide budgétaire pour 2013 d’unmontant de 9 millions d’euros. Cerise sur le gâteau : un lycée français devraitbientôt le jour à Ramallah.

Et puis, il y atous les rapprochements en gestation et que l’on espère voir se réaliser.François Hollande n’a-t-il pas ouvertement courtisé Israël, en disant vouloirfaire de la cyber-sécurité une de ses priorités ?

La révolutionverte en marche

L’or noir et legaz pourraient également s’avérer des outils économiques et diplomatiques depoids afin d’établir de nouveaux partenariats ; ils imposent d’ores et déjà deschoix industriels et d’infrastructure très importants. A terme, un gazoduc pourl’Europe ne peut qu’intéresser la France soucieuse de diversifier sonapprovisionnement. Mais Paris et Jérusalem se retrouvent surtout ensemble surle seuil de la révolution verte en marche. Comme l’avait déjà affirmé AlainBaruc, directeur du développement de Vinci lors de la conférence d’affairesGo4Europe, « la coopération entre les différents pays qui travaillent sur lesmêmes domaines technologiques est extrêmement importante, afin de ne pas perdredu temps et des informations. » L’enjeu est de taille donc, puisqu’il ne s’agitpas moins que de faire face ensemble à la nécessité de s’affranchir desressources énergétiques fossiles par la mise en œuvre de solutionsalternatives, et de protéger la planète pour les générations futures.

Comme lesembrassades, accolades et sourires généreux qui ont ponctué ce séjour lelaissaient entendre et les objectifs atteints le confirment, on s’attend à ceque la part de marché de la France en Israël augmente et les flux commerciauxentre les deux pays enflent. Un sans-faute pour François Hollande àl’initiative de cette visite qui s’est révélée à la hauteur de ses promesses.100 % de réussite, pour un président en mal de popularité dans l’Hexagone,voilà qui vient à point nommé.

« Nous sommesrepartis avec l’enthousiasme israélien »

Benoît Thieulin,président du Conseil national du numérique, revient sur le succès des Journéesde l’innovation.

Benoît Thieulinest directeur de La Netscouade, une agence spécialisée dans l’innovation etpréside également le Conseil national du numérique en France. Il a répondu ànos questions après avoir accompagné le président François Hollande en Israël.

JerusalemPost : Qu’attendiez-vous de ces Journées de l’innovation en Israël ?

Benoît Thieulin : Je fais partie, en France, de ce que l’on appelle les geeks,de ces personnes qui pensent que nous vivons une révolution inédite, qui est àla fois industrielle, technologique, cognitive, sociale et politique. Lenumérique dévore le monde et, au fur et à mesure, le transforme en profondeur.Et il s’agit d’un saut majeur : plus importante que la révolution industrielleou même que l’invention de l’imprimerie, cette révolution n’a probablementd’équivalent, dans l’histoire de l’humanité, que le passage de la culture oraleà celle de l’écrit ! En clair, nous changeons de civilisation. Tout estimpacté, sans exception : les médias bien sûr, les industries culturellesd’évidence, mais aussi aujourd’hui la santé, l’éducation, les relationssociales, et même de plus en plus notre façon de penser. Dans ce mouvement,Israël occupe une place qui est longtemps restée méconnue. Le livre Thestart-up Nation nous l’a fait connaître. Le grand public finira par lecomprendre.
L’objectif de cette visite était, pour moi, de venir observer et mieuxcomprendre sur le terrain ce qu’Israël a réussi : faire éclore et investirautant de start-up que toute l’Europe ; susciter massivement les vocationstechnologiques et scientifiques à l’université ; croiser les disciplines académiquespour les fertiliser ; rapprocher fortement le monde de l’entreprise avecl’université. Bref, Israël a mis en place depuis longtemps déjà, une vraiepolitique industrielle sur ces sujets dont le succès, des années après, estimpressionnant et inspirant ; pour nos chefs d’entreprises (surtout lesgrandes) comme pour nos politiques.

Quelsbénéfices retirez-vous de ce voyage, en termes de retombées économiques etd’expérience ?

Des contrats ont été signés, notamment avec les grandes entreprises françaises.Mais j’aurais tendance à penser qu’Israël doit davantage être considéré commeun laboratoire où l’on innove, que comme un marché solvable. Ça ne veut pasdire que la France ne doit pas tenter de mieux vendre ici, et vice versa. Maisle point majeur me paraît surtout résider dans les partenariats qui peuventêtre noués entre nos universités, nos chercheurs et bien sûr nos entreprises !Il s’agit donc d’abord d’une histoire de rapprochements sur le plan humain. Etje crois que nous sommes tous repartis avec des idées de partenariats, desopportunités de business, avec d’excellents contacts, et peut-être surtout avecl’enthousiasme que nos interlocuteurs ont su parfaitement nous transmettre. Jecrois aussi que nous reviendrons nombreux à la prochaine 3e journée del’innovation Israël France !

On dit souventque les Israéliens sont encouragés à penser en dehors des sentiers battus.N’est-ce pas un atout majeur ?

L’intelligence, l’innovation, et donc la compétitivité de nos économies selogent aujourd’hui dans les fertilisations croisées, dans l’hybridation descultures et des idées, dans l’innovation ascendante, dans les « courtscircuits ». La France a coupé la tête de son roi, les Français sont desfrondeurs, ils ont fait d’innombrables révolutions depuis 1789, et même avant…Les Français sont presque des « hackers » dans l’âme, ce sont des créatifs etdes râleurs qui n’aiment pas suivre le courant. Parfois ça pose problème. Mais,dans le monde qui vient, ce sera de plus en plus un atout. Je crois qu’ils sonttout autant que les Israéliens des gens qui pensent en dehors des sentiersbattus.

Le problème dela France n’est-il pas plutôt le financement et la culture du risque, quel’innovation ?

Les structures de notreéconomie sont encore dominées par la génération précédente. Même si c’est entrain de changer. Notre pays, vous avez raison, n’encourage pas assez laculture du risque et, comme tout le reste de l’Europe continue de voir sonéconomie pieds et poings liés par le financement bancaire : 20 % aux Etats-Uniscontre 80 % en Europe. Ces chantiers doivent être ouverts. La ministre del’Economie numérique, Fleur Pellerin, a ouvert la voie au déverrouillage de laproduction participative. C’est un début. Le goût d’entreprendre devrait aussidavantage être diffusé à l’école.

On dit ausside la France qu’elle est essoufflée…

Par rapport au reste de l’Europe, la France s’en sort particulièrement bien. Lasociété française est l’une des plus connectée du monde. L’Hexagone est leadermondial de la télévision sur IP, Xavier Niel, fondateur de Free, a inventé letriple play (offre unique d’accès à Internet, téléphonie fixe et télévision) etla box (terminal électronique à usage des abonnés au triple play). Grâce àcela, le marché français de la connexion internet est l’un des plus compétitifsde la planète : lorsque je voyage aux Etats-Unis, je constate à chaque foiscombien le débit internet est souvent très lent. Critéo, une start-upfrançaise, vient de lever 1,7 milliard de dollars au Nasdaq. Egalement fondéepar un Français, la société Lending club s’apprête peut-être à faire encoremieux sur un autre secteur. Tous les pays du monde ne peuvent pas en direautant. Et dans leurs usages quotidiens du numérique, les petits Français n’ontrien à envier à leurs amis américains. Bien au contraire. Certes, noustraversons une crise économique très dure. Beaucoup de modèles économiques sonten pleine disruption. La transition est douloureuse pour un vieux pays comme lenôtre, attaché à ses traditions et à sa protection sociale. Mais ces états defait empêchent de voir combien la société française évolue et est profondémenten phase avec la révolution numérique à laquelle ma génération entendcontribuer.

Qu’est-ce quivous a particulièrement frappé au cours de cette visite ?

Ce qui m’a frappé, c’est ce point de ressemblance entre Israël et la France :vous êtes un pays de réfugiés, nous sommes une terre d’immigration. Et ce,depuis longtemps. Promenez-vous à Paris dans le métro et vous le constaterezvous-même : les Français sont à l’image du monde d’aujourd’hui, métissé etouvert. On peut constater exactement la même chose à Jérusalem ou Tel-Aviv.Cela ne va pas sans poser son lot de problèmes d’intégration, de culture.L’extrême-droite est assez présente, malheureusement, dans notre pays, commedans de nombreux pays occidentaux. Mais avec leur démographie forte, avec leurdynamisme, avec les liens profonds noués avec de nombreux pays du sud (et jepense notamment à l’Afrique en pleine transition numérique), les jeunesFrançais ont aujourd’hui le visage d’un monde global. Un peu comme vous, Israéliens.

Proposrecueillis par Kathie Kriegel