Tout un programme…

Les olim de France affirment leur volonté de bien s'établir en Israël.Et cela commence par un challenge de taille : la bonne intégration de leur progéniture dans le système éducatif israélien.

Tout un programme… (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Tout un programme…
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Sur fond de trêve, entre le stress du dépaysement et l’excitation pour la nouveauté, les enfants des nouveaux arrivants de France, avec leurs premiers pas dans le système scolaire israélien, sont venus grossir les rangs des deux millions d’élèves qui ont pris le chemin de l’école le lundi 1er septembre. « Apprenez la Bible, les mathématiques, l’informatique, les sciences et apprenez à connaître notre patrimoine. Patrimoine et avenir vont de pair. Ayez une soif de connaissances pour le bien d’Israël, pour Israël, pour la terre d’Israël, pour vous et pour vos familles. Nous allons vous donner les connaissances et vous donner confiance ». C’est en ces termes que le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou a donné le coup d’envoi de cette année scolaire aux côtés du ministre de l’Education le rabbin Shaï Piron. Une rentrée placée sous le signe des valeurs de tolérance, d’ouverture, d’altruisme et de solidarité. En portant l’excellence morale en tête des priorités, c’est toute la société israélienne qui est mise au défi.

Les Français dans le rang

  

Selon les premières estimations du ministère de l’Intégration, quelque 14 000 enfants immigrants arrivés en 2014 de France, d’Ukraine, des Etats-Unis et de Russie font leur entrée dans le système éducatif israélien cette année. Parmi eux, quelque 1 900 arrivés de France. « C’est la première fois qu’ils se comptent par milliers », se félicite Avi Zana, responsable de l’association AMI de Jérusalem.

Natanya est en tête, qui accueille environ 700 nouveaux enfants du primaire au secondaire. Un problème pour les établissements scolaires de la ville : les Français choisissent souvent d’habiter les mêmes quartiers et par conséquent leurs enfants se retrouvent à fréquenter les mêmes écoles. « Ça génère de véritables embouteillages, car les directeurs d’établissement n’étaient pas toujours préparés en amont à cette arrivée en nombre à laquelle il va falloir répondre », constate Avi Zana, « la plus grande difficulté étant d’intégrer les élèves de primaire, car leur intégration demande davantage d’efforts », précise-t-il. « Jérusalem est une ville plus vaste ou l’absorption se fait plus aisément, car le choix d’établissements est plus grand », souligne Zana.

Elias est un jeune olé que ses parents ont inscrit à « Miqveh Israël » à Holon. Ici, les effectifs sont en hausse, boostés par les nouveaux émigrants. « L’an dernier, il n’y avait que 12 élèves par classe en moyenne, mais cette année on est 24 à peu près et la moitié sont des nouveaux olim », s’étonne Elias. A Ashdod, même afflux massif. Rien qu’à l’école Ariel, par exemple, c’est une bonne trentaine d’enfants qui sont scolarisés dans les classes, d’Aleph à Vav. « Malgré la guerre, tous les inscrits de mars à juin, ont fait leur rentrée, pas un seul désistement », se réjouit Ilana Or’hayon, la directrice de l’établissement.

 

Quelle école pour quel avenir

 

Choisir le bon établissement, avec réussite scolaire et épanouissement à la clé, n’est pas une mince affaire pour des parents : ils mesurent avec inquiétude la lourde responsabilité qui leur incombe.

Myriam est harédit. Avec son mari et ses deux enfants, Sarah 12 ans et Orel 9 ans, elle est arrivée en Israël cet été en pleine guerre. La famille s’est établie à Jérusalem. « Dès notre arrivée, nous avons été épaulés par les services de l’immigration. Ils nous ont aidés à choisir les écoles de nos enfants qui correspondent au mieux à nos attentes », note-t-elle. « Sarah est inscrite à Horev à Bayit Vegan et Orel à Dougma à Rehavia », confie-t-elle. « Ce sont des établissements différents de ceux qu’ils fréquentaient en France. Mais là aussi les mitsvot et les midot sont d’importance et c’est l’essentiel », précise la mère de famille.

Globalement les établissements les plus fréquentés par les olim sont les écoles gouvernementales religieuses appelées Mamlakhti Dati, ou les écoles privées et indépendantes (Hinoukh Atsmai) qui proposent une approche religieuse, « Mamlakhti Dati Torani ». Et enfin en troisième position, les écoles gouvernementales appelées Mamlakhti, ou laïques.

Mais bon nombre de parents ont choisi de privilégier une scolarité en français pour leurs enfants et opté pour des établissements franco-israéliens. C’est le cas d’Elias qui fréquentait l’école publique à Paris. Il ne parle pas l’hébreu et, pour cette raison, ses parents ont souhaité qu’il suive une scolarité en français jusqu’au bac. Leur priorité étant que leur fils conserve son bon niveau d’études et que le dépaysement ne soit pas trop brutal. Parallèlement, Elias se met à l’hébreu, 3 heures par semaine et il pourra choisir l’option LV3 à tout moment qui lui en offrira davantage. La tendance de l’établissement est à la laïcité, « mais il y a des élèves qui portent la kippa », souligne Elias « et garçons et filles sont séparés », ce qui est nouveau pour lui.

 

L’indispensable hébraïsation

 

Quel que soit l’établissement choisi, ces olim vont devoir rompre avec leurs habitudes ; ils parlent plus ou moins bien hébreu, voire pas du tout, et se confrontent à un nouveau système scolaire et de nouveaux camarades. Un stress qui s’ajoute à celui de la guerre, encore vif dans leurs jeunes mémoires. « Pour l’instant, mon principal souci, c’est la langue. J’ai peur qu’ils prennent du retard dans leurs études », confie Deborah. Ses enfants bénéficient pendant le premier trimestre d’un oulpan intensif, au terme duquel ils intégreront leurs classes respectives. « Ils fréquentent déjà l’école occasionnellement, quand ils ne sont pas à l’oulpan. Pas pour suivre le programme, je sais bien que ce n’est pas encore possible, mais pour qu’ils pratiquent l’hébreu et se fassent des amis », espère cette jeune mère de famille un peu soucieuse.

« C’est vrai que les traditionalistes qui ont fréquenté l’école juive en France ont des bases d’hébreu », concède Avi Zana. « Mais sachant que l’hébreu moderne n’est pas une matière obligatoire dans ces établissements et que les études de Kodesh dans les écoles israéliennes sont très poussées, mis à part l’élite, c’est-à-dire les meilleurs éléments des écoles juives de France, les élèves devront faire des efforts pour rattraper le niveau », prévient Avi Zana.

Le ministère de l’Education accorde du soutien scolaire aux olim à raison d’une heure et demie par semaine principalement pour les renforcer en hébreu. C’est insuffisant. Et tous les établissements n’ont pas les moyens de dispenser ces cours supplémentaires. « L’association AMI organise des séances de soutien scolaire, l’après-midi, à raison de 3 heures, 3 fois par semaine », explique Avi Zana. Cela présente l’avantage d’occuper les enfants les après-midi puisqu’ils n’ont pas classe après 13 heures, et de les aider à faire leurs devoirs, ce que les parents ne peuvent faire s’ils ne parlent pas hébreu suffisamment », se félicite-t-il.

« La formation Wolfson, notre partenaire principal, nous apporte un financement et fait pression sur l’Etat pour que nous obtenions des fonds », explique Avi Zana. Mais les budgets se font attendre. « Notre compétence, notre professionnalisme finiront par l’emporter. C’est un combat bureaucratique, mais nous sommes incontournables, nous sommes proches des olim, nous connaissons leurs besoins et sommes à même d’y répondre » affirme-t-il.

 

La rentrée en douceur

 

 L’école Ariel, à Ashdod, a concocté un programme sur mesure pour les petits Français fraîchement débarqués. Cette école Dati-Leoumi (obédience sioniste religieuse) mixte compte deux enseignantes francophones en charge de l’enseignement des nouveaux et de leur oulpan. « Après les cours du matin, on leur sert un repas chaud et l’après-midi, cours d’hébreu et soutien scolaire, à raison de 3 à 4 heures par jour, 4 fois par semaine », confie la directrice Ilana Or’hayon.

Daniela Danti est professeur de mathématiques et enseigne aussi l’hébreu aux nouveaux arrivants. « Ils ont une certaine appréhension, tout est nouveau pour eux, il faut donc les accompagner. Avec moi ils peuvent se confier. J’ai l’habitude, ça fait 9 ans que je m’occupe d’olim », explique l’enseignante. « De temps en temps, ils viennent me voir et j’établis un contact avec eux. Je parle français ça les rassure », reconnaît-elle. « Cette année ils sont particulièrement nombreux et il faut veiller à ce qu’ils ne restent pas entre Français », prévient-elle. L’équipe pédagogique les pousse à se mélanger et les encourage à se faire de nouveaux camarades israéliens pour qu’ils apprennent la langue et s’intègrent au plus vite. « Au début ils ont toujours peur de se lancer, c’est normal. C’est pourquoi nous n’avons pas encore adopté le rythme scolaire normal ».

Le ministre de l’Education a recommandé qu’au cours des deux premières semaines de la rentrée, l’accent soit mis sur l’importance de l’Etat d’Israël, de la liberté d’expression et la nécessité de maintenir une culture du dialogue. « Pour cette rentrée, nous commençons en douceur avec des réunions où nous parlons avec les enfants du conflit et nous leur proposons beaucoup d’activités périscolaires et des spectacles de musique et de théâtre », explique Ilana Or’hayon.

« A Miqveh Israël, on a expliqué aux nouveaux que faire en cas d’alerte, au cas où ça recommence, et on a beaucoup parlé de la guerre les premiers jours », confie Elias. « Je suis arrivé début août et pour l’instant, la France me manque ; mes amis, le climat. Il va falloir que je prenne des habitudes nouvelles, cela prend du temps, mais ce n’est pas insurmontable. »

Elias apprécie les activités proposées dans son nouvel établissement comme les tiyoulim (excursions) : « On va les faire avec les élèves israéliens qui font un cursus scolaire en hébreu et puis il va y avoir la Gadna ; cinq jours dans un camp militaire pour les jeunes de 16 ans, avec un vrai entraînement », se réjouit-il, « et on va apprendre à manipuler les armes ». Le but est d’orienter les jeunes gens vers le corps d’armée qui correspond à la fois à leurs aspirations et à leurs aptitudes.

 

A l’école des valeurs

 

 

Shaï Piron encourage chaque élève à contribuer au bénéfice de la société, à faire le bien. « Nous allons combattre ensemble le racisme et l’incitation à la haine », a-t-il dit. En les encourageant à faire du bénévolat et à s’engager dans des activités sociales et communautaires, il espère les sensibiliser à l’entraide et à la fraternité. Les élèves israéliens semblent l’avoir entendu. « Ma fille est très contente de son école », se réjouit Myriam soulagée. « Elle a été très bien accueillie par les autres élèves qui ont l’habitude des alyot. Elle a apprécié ces manifestations de solidarité et s’y sent déjà tout à fait à l’aise. »

 

 

Shaï Piron souhaite renforcer le rôle du discours pédagogique et éthique pour amener les enfants israéliens à « construire une société saine et civilisée ». « Ici l’école s’intéresse à notre ressenti », remarque Elias. En Israël, l’individualisme qui règne en maître en France lui semble déjà bien loin. « C’est clair que l’ambiance est différente par rapport à la France, il n’y a pas de petits groupes, on est tous unis », se réjouit-il. Cet établissement accueille aussi des élèves porteurs de visas de touristes et venus seuls en Israël en internat, « il y en a en seconde, première et terminale et il y a aussi des non-juifs », souligne le jeune garçon qui semble apprécier cette diversité.

 

 

« Nous allons préparer nos enfants aux défis du XXIe siècle », affirme Shaï Piron. « Il ne s’agit pas seulement de leur faire acquérir des connaissances, mais de contribuer au développement et à l’approfondissement de leur pensée et de favoriser un dialogue fructueux », pointe le ministre de l’Education. En mettant l’accent sur l’excellence morale, l’objectif est de former des citoyens israéliens solidaires. Tout un programme…

 

 

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