Six décennies de création

Le Musée d’Israël consacre une rétrospective au designer Dan Reisinger qui a façonné l’identité visuelle d’Israël

Quelques unes des créations de Dan Reisinger (photo credit: ELIE POSNER)
Quelques unes des créations de Dan Reisinger
(photo credit: ELIE POSNER)
Il est fort rare que le grand public connaisse bien l’œuvre d’un créateur en ignorant quasiment tout de l’artiste lui-même. Tel est le cas avec le graphiste Dan Reisinger, dont la carrière longue de soixante ans se superpose avec la vie des entreprises emblématiques du pays.
Cet originaire de Serbie né dans une famille d’artistes a conçu nombre d’affiches, calendriers, logos, peintures et chartes graphiques de sociétés. Son père a péri dans la Shoah, comme la majeure partie de sa famille. Dan Reisinger, caché par des familles serbes, a réussi à échapper aux persécutions nazies. En 1949, à l’âge de 15 ans, il immigre en Israël avec sa mère. Diplômé de l’Institut Betsalel, il effectue son service militaire dans les forces aériennes de Tsahal dont il devient par la suite directeur du département des publications. Ce premier poste est le point de départ d’un parcours professionnel tout au long duquel il continuera à servir et représenter Israël, à travers ses créations.
Des œuvres familières
L’œuvre du designer, qui a déjà fait l’objet de nombreuses expositions internationales, est maintenant présentée au Musée d’Israël dans le cadre d’une rétrospective intitulée Tout en couleur, 60 ans de création par Dan Reisinger, qui dévoile également des travaux qui n’ont jamais été montrés au grand public.
A l’origine de cet événement culturel, la récente décision du graphiste de remettre au musée sa collection personnelle, soit six décennies d’archives et documents de travail. Un livre (en hébreu) complète l’exposition. Il comprend des entretiens avec le graphiste, ce qui donne pour la première fois un aperçu global de sa carrière et de sa perspective artistique. Dan Handel, commissaire de l’exposition, souligne que cet ouvrage n’est pas un catalogue, mais plutôt un projet complexe qui inclut également une liste exhaustive des œuvres. Avant cette parution dans laquelle l’artiste lui-même s’est impliqué, seuls des catalogues mineurs avaient été publiés.
« Cette exposition n’a rien à voir avec les précédentes », explique Handel. « Nous avons décidé de nous concentrer sur le produit final. Reisinger est un graphiste, ses réalisations sont donc généralement très agréables du point de vue esthétique. Nous avons souhaité approfondir les processus qui président à la création artistique. Le deuxième aspect sur lequel nous mettons l’accent, est le côté familier des œuvres de Reisinger pour les Israéliens, même s’ils ignorent qui les a créées. Il a conçu tant de symboles emblématiques du paysage visuel national ! »
Parmi la longue liste des logos dessinés par Reisinger, on trouve ceux du laboratoire pharmaceutique Teva et des stations-service Delek, bien connus de tous les Israéliens. L’exposition, souligne Handel, a suscité beaucoup de commentaires de visiteurs stupéfaits de découvrir qu’une seule personne était à l’origine de toutes ces images emblématiques. D’une certaine manière, le design de Reisinger a façonné la communication visuelle de l’Etat d’Israël durant ses premières décennies d’existence.
Un pionnier
Pour Handel, l’autre point important était de mettre sur pied une exposition accessible également aux non-Israéliens, vu le nombre de touristes étrangers qui visitent le musée. Il a ainsi organisé la présentation de celle-ci de manière à relater une histoire du design et de refléter les transformations de la société israélienne, des thèmes qui intéressent le plus
grand nombre.
Au cours des deux premières décennies de l’Etat d’Israël, les entreprises tentaient de définir un langage visuel approprié. Comme il n’y avait pas encore de tradition graphique, Reisinger était véritablement un pionnier. « Si vous vous intéressez à l’œuvre sous cet angle, vous comprenez la façon dont le design est lié plus généralement au contexte culturel, social et même politique », ajoute Handel. « Regardez ses premiers travaux : il est dans une phase de recherche pour définir le design national, tenter d’inventer à quoi les produits israéliens pourraient ressembler et comment se présentera la publicité israélienne. Tous ces éléments n’existaient pas auparavant ; c’est pourquoi lorsqu’il conçoit ses premières affiches, on assiste à sa recherche d’une identité nationale à travers une identité visuelle. »
Les affiches que Reisinger a créées pour Yom Haatsmaout ou pour des événements internationaux comme l’Exposition universelle de Montréal en 1967, représentent un exemple parlant de ce processus. L’artiste était responsable de la façon dont Israël a communiqué, en particulier durant les années 1950 et 1960. Vers la fin des années 1970, Reisinger a conçu pour Yad Vashem un moulage en aluminium de 50 mètres de long, présentant une citation biblique pour évoquer l’histoire et la souffrance de sa famille, et celles du peuple juif dans son ensemble.
« Il exprime le pouvoir du design, qui façonne la manière dont vous comprenez le temps et l’espace », explique Handel. « J’habite près de Tel-Aviv, et quand je rentre chez moi en voiture, je vois sur mon chemin beaucoup de choses que Reisinger a conçues – de la station-service Delek au gigantesque logo El Al à l’aéroport Ben-Gourion. Preuve que le design doit toujours construire un langage visuel, et que la responsabilité du designer peut être étendue. »
« Si vous suivez les projets de Reisinger, vous constatez souvent qu’on lui a demandé de faire une chose et qu’il en a proposé une autre. Et dans de nombreux cas, ce qu’il a soumis a été finalement retenu. On lui a commandé par exemple un simple logo, et au final, c’est la couleur de 200 stations-service du pays qui a changé. Ou bien il a commencé par un calendrier, et terminé avec une refonte complète d’identité visuelle. Il est remarquablement intelligent dans sa façon de définir – et redéfinir – son rôle. C’est une grande leçon pour les graphistes d’aujourd’hui. »
Réflexion globale
« En suivant l’exemple de Reisinger, les graphistes ne se contentent pas d’être des prestataires de services ou des créateurs de logos. Ils savent transformer l’image d’une entreprise auprès du public pour qu’il interagisse différemment avec la compagnie. Pour Delek, Reisinger a conçu la typographie et les agencements de couleurs des stations elles-mêmes, en plus du logo. Dans le cas d’El Al, il a créé le design à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des avions, ainsi que le logo et les brochures de la société. Il y a chez lui un mode de réflexion croisée sur la création avec des possibilités illimitées. Cette conception multi-dimensionnelle est manifeste dans les travaux présentés dans le cadre de l’exposition. Le visiteur peut suivre un projet spécifique avec ce type de réflexion globale. »
« Nous présentons dans cette rétrospective de nombreux documents inédits, comme les croquis de travail qui habituellement ne sont pas montrés », poursuit Handel. « Ce n’est pas Reisinger qui a conçu l’exposition, il n’a pas demandé à contrôler chaque objet, mais il nous a donné son accord. Il nous a fourni du matériel en abondance pour établir la trame du récit, et nous lui en sommes reconnaissants. »
Charmer les visiteurs
Parmi les travaux les plus connus, on remarque les calendriers de Reisinger, toute une gamme qu’il a créée pour différentes sociétés, à partir des années 1960. Il avait imaginé un modèle innovant que les compagnies envoyaient à leur clientèle. Le calendrier, en couleur, avec des découpes mettant en valeur les marchandises, semblait quasiment interactif. Le Musée d’Israël a produit spécialement pour l’exposition des vidéos qui montrent comment on peut manipuler ces calendriers. Ces films, selon Handel, ont été très appréciés des visiteurs.
Une autre création recueille les faveurs du public : le projet El Al, sur lequel Reisinger a travaillé pendant 30 ans, marqué par de nombreuses étapes. Ses premiers travaux, comme les affiches des années 1950, possèdent un charme empreint de nostalgie qui attire les visiteurs. Toutes ces œuvres, autrefois familières parce que liées aux compagnies qu’elles représentaient, trouvent avec la rétrospective une nouvelle signification ; elles se mettent à revivre sous les yeux du public, qui a envie de pénétrer dans les coulisses du studio de création d’un des artistes graphiques les plus influents du pays.
« Reisinger a connu de beaux succès, mais il travaillait tellement qu’il n’avait pas le loisir de s’exprimer sur ses créations », explique Handel. « Il faut absolument que les étudiants d’aujourd’hui découvrent son œuvre si particulière. C’est un des meilleurs dans le domaine de la création graphique en Israël, et j’espère que l’exposition contribuera à renforcer sa renommée. » 
Tout en couleur, 60 ans de création
au Musée d’Israël jusqu’en novembre
www.imj.org.il
www.danreisinger.com
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