Elections américaines : le choix des Américains d’Israël

Donald Trump ou Hillary Clinton ? Pour qui voteront les Israélo-Américains ?

Une campagne en hébreu pour inciter les futurs votants à soutenir Trump (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Une campagne en hébreu pour inciter les futurs votants à soutenir Trump
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Yael Kaner a grandi au sein d’une famille démocrate, dans le Massachusetts des années soixante. Aujourd’hui âgée de 57 ans, elle a émigré en Israël depuis Baltimore en 2011. Elevée avec une sensibilité de gauche, Kaner explique avoir pris un virage à droite alors qu’elle se rapprochait de la religion, devenant au fil des années une fervente républicaine. C’était au milieu des années quatre-vingt-dix, se souvient-elle, sous la présidence de Bill Clinton. « Je crois que c’était pendant l’affaire Lewinsky. J’ai pris mon annuaire téléphonique, j’ai cherché “Républicain”, et j’ai adhéré à toutes les associations que j’ai pu trouver », explique la nouvelle immigrante désormais installée à Maalé Adoumim, une grande implantation juive proche de Jérusalem.
Depuis, Yael Kaner a donné sa voix au Grand Old Party (GOP) à toutes les élections présidentielles. Le 8 novembre prochain, elle votera donc pour Donald Trump, même s’il semble que son aversion à l’égard de la candidate démocrate motive cette décision, plus qu’un réel attrait pour le candidat républicain. « Je ne l’aime pas », dit-elle. « Elle fait de très mauvais choix. Regardez ce qu’il s’est passé à Benghazi. »
Les Américains d’Israël, plus à droite que par le passé
En Israël, beaucoup de concitoyens de Yael Kaner semblent partager son avis. D’après certains experts, une majorité des 200 000 Américains électeurs dans l’Etat hébreu soutient le Parti républicain. Pourtant aux Etats-Unis, les juifs votent majoritairement Démocrate. Dahlia Scheindlin, experte en sondages et consultante politique, explique que la communauté juive américaine en Israël est souvent en décalage par rapport à la communauté juive aux Etats-Unis. Un sondage dirigé par iVoteIsrael – un groupe officiellement non partisan qui appelle les citoyens israélo-américains à s’enregistrer pour voter depuis Israël – a révélé qu’en 2012, 85 % des votants par procuration ont choisi Mitt Romney et seulement 14 % Barack Obama.
Première explication de la préférence pour le GOP : la religion. « Le niveau de pratique religieuse est généralement un bon indicateur des opinions politiques en Israël », explique Scheindlin. Mitchell Barak, un autre consultant politique israélo-américain, est du même avis : plus les gens sont religieux, plus ils ont tendance à voter Républicain et à se retrouver autour des valeurs conservatrices. Deuxième élément à prendre en compte : la politique étrangère, tout particulièrement vis-à-vis d’Israël. « Les Américains qui arrivent en Israël sont aussi bien démocrates que républicains. Mais une fois sur place, beaucoup rejoignent le GOP », explique Abe Katsman, conseiller pour Republicans Overseas Israel, une association représentant les Républicains en Israël. « Je suppose que lorsque vous vous retrouvez au cœur de la politique américaine au Moyen-Orient, vous voyez les choses un peu différemment. »
Au cours de ces derniers mois, Republicans Overseas Israel a organisé de nombreux événements afin de persuader encore plus d’Israélo-Américains de voter pour Donald Trump, lançant même une campagne en hébreu. Une première en Israël. L’objectif était de convaincre ceux qui s’identifient d’abord comme Israéliens bien qu’ils aient la nationalité américaine. « Je pense qu’au cours des huit dernières années, faire le bon choix pour la présidence est devenu important pour beaucoup d’Israélo-Américains. Aussi bien pour les Etats-Unis que pour Israël », lance Abe Katsman dans une allusion à peine voilée aux deux mandats d’Obama. Et de confier que les politiciens américains, aussi bien les candidats au Congrès qu’à la présidence, investissent du temps et des ressources pour faire campagne dans l’Etat juif. Pas seulement pour gagner les voix locales, mais aussi pour des questions de relations publiques. La campagne de Trump en Israël aurait ainsi plus visé le public américain que les expatriés locaux. « On dirait qu’ils ont essayé de rendre Trump “cacher’’ en montrant son soutien à Israël. Une façon de dire : “Regardez, les Américains vivant en Israël votent pour moi, c’est que je ne dois pas être si mauvais” », explique Barak.
Le vote par procuration peut-être déterminant
Eitan Charnoff, directeur national d’iVoteIsrael, affirme que le vote israélien peut influencer l’issue de l’élection présidentielle. « Il y a beaucoup d’idées fausses sur le vote par procuration depuis l’étranger. En vérité, il y a un nombre suffisant de votants ici pour éventuellement décider du résultat. Souvenez-vous, en 2000, l’élection s’est jouée à 537 votes. »
En 2012, 7 500 Israéliens ont voté en Floride et 3 500 dans l’Ohio, deux Etats clés, qui peuvent passer d’un camp à l’autre grâce à quelques centaines de voix seulement. Les Américains d’Israël auront une influence s’ils votent. Et ils le feront. Ils sont généralement assez enthousiastes à l’idée de participer aux élections, bien plus que les expatriés dans d’autres pays comme le Canada, le Mexique ou le Royaume-Uni. « Lors des deux dernières élections, le pays depuis lequel le plus d’Américains ont voté par procuration était Israël », indique Charnoff.
De l’autre côté, aux Etats-Unis, il y a un intérêt disproportionné pour ce que pensent les Israéliens des élections américaines. « Les gens veulent savoir comment on perçoit les choses d’ici », explique Katsman. Or Trump s’est souvent montré incohérent sur l’implication des Etats-Unis au Moyen-Orient. A plusieurs reprises, il a tenu des propos isolationnistes. Mais il a aussi plaidé pour des interventions militaires massives à l’étranger. Par exemple, lors d’un débat pour la primaire républicaine au mois de mars, Trump a suggéré que les Etats-Unis envoient des troupes au sol, 20 000 à 30 000 soldats, en Syrie et en Irak pour vaincre l’Etat islamique. Lors du deuxième débat présidentiel le 9 octobre, il a à nouveau exprimé son intention de détruire Daesh, et affirmé que le groupe terroriste a pris racine sur le « vide » laissé par Obama et Clinton. En ce qui concerne Israël, Trump a dans un premier temps alarmé les conservateurs en disant qu’il serait « neutre » sur le conflit israélo-palestinien. Puis le candidat républicain s’est rétracté et a depuis déclaré son soutien sans limites à l’Etat juif, expliquant au quotidien Israël Hayom, qu’il était « fortement engagé en faveur d’Israël » et qu’il « fera en sorte qu’Israël soit le plus fort pour toujours »
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A travers des entretiens avec une dizaine de citoyens américains vivant en Israël, il apparaît clairement que la majorité préfère les positions de Trump sur Israël à celles de Clinton, bien que la candidate démocrate ait souvent exprimé sa volonté de préserver le lien unique entre les deux pays. « Les Etats-Unis et Israël doivent être plus proches que jamais, plus forts que jamais et plus déterminés que jamais pour vaincre nos adversaires et continuer à promouvoir nos valeurs communes » a déclaré Hillary Clinton à l’AIPAC en mars dernier. Dans le même temps, elle n’a pas caché son soutien à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie. Et pour beaucoup de juifs de droite, donner des terres et une autonomie aux Palestiniens est perçue comme une menace existentielle.
« Je vois ça comme une menace directe pour ma vie », explique Yael Kaner, qui vit dans la zone E1 – petit territoire situé à l’est de la Ligne verte, allant de Maalé Adoumim à Jérusalem-Est – que le gouvernement israélien entend développer contre l’avis de la communauté internationale, Etats-Unis compris. Yael Kaner est donc plus à l’aise avec la plateforme du Parti républicain, qui mentionne Israël dix-neuf fois et confirme son opposition « à toutes les mesures qui permettraient d’imposer un accord ou de définir des frontières sans négociations préalables ». Le document du Parti démocrate ne fait référence à Israël que neuf fois et affirme que « les Palestiniens devraient être libres de se gouverner eux-mêmes dans leur propre Etat viable ».
Il n’y a pas de statistiques fiables sur les Israélo-Américains, car les sondages à la sortie des urnes sont impossibles à réaliser pour les votes par procuration. Par le passé, les résultats en Israël correspondaient bien à ceux des Etats-Unis : environ 72 à 78 % votaient Démocrate. Mais cela a changé il y a 10 ou 15 ans lorsque de plus en plus de juifs américains, sionistes et religieux, se sont installés en Israël, beaucoup dans les implantations de Judée-Samarie. Ces nouveaux immigrants n’étaient pas en phase avec le soutien démocrate à une solution à deux Etats. Leur arrivée massive au cours des deux dernières décennies a donc changé la sensibilité politique de la communauté israélo-américaine. Pourtant, d’après Sheldon Schorer, ancien porte-parole des Démocrates en Israël, aujourd’hui encore, malgré les nombreux Américains sionistes religieux et conservateurs qui vivent désormais ici, une majorité d’Israélo-Américains supporte le parti de l’Ane.
Schorer remet fortement en question la crédibilité du sondage iVoteIsrael de 2012. Pour lui, l’échantillon de personnes interrogées n’était pas représentatif. iVoteIsrael rétorque que le sondage s’appuyait sur un large panel de 1 700 personnes et a été mené plusieurs fois par Internet et par téléphone. De toute façon, ce sondage ne concernait qu’une seule élection et ne reflète pas nécessairement l’état de la fracture entre Républicains et Démocrates au sein des citoyens Israélo-Américains, plaide Schorer. L’impopularité d’Obama est telle en Israël qu’en 2012 les binationaux ont sans doute plus voté contre lui qu’en faveur de Romney.
Trump, un candidat inhabituel et clivant
Mais 2017 pourrait faire la différence. En effet, Donald Trump est tellement atypique qu’il est loin d’être sûr qu’une majorité de juifs américains en Israël votent pour lui. Pour Eitan Charnoff, cette élection est totalement imprévisible, à l’image du candidat républicain, capable de changer radicalement d’opinion sur des sujets importants. « Tous mes amis républicains ont peur de Trump. Tous », affirme Arielle Adler, une Américaine de 27 ans habitant à Jérusalem qui a immigré en Israël après ses études et compte voter pour Clinton. « Il ne pense pas avant de parler. C’est terrifiant. »
Les olim originaires des Etats-Unis ont souvent fait le choix de l’aliya pour des raisons purement idéologiques, ne fuyant ni une mauvaise situation économique, ni l’antisémitisme. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont majoritairement de droite. « On a la fausse impression que les Américains sont principalement des sionistes religieux habitant dans les implantations juives, mais il y en a aussi énormément dans les cercles laïques et de gauche », défend Dahlia Scheindlin. Arielle Adler, par exemple, soutient une solution à deux Etats et une plus grande autonomie pour les Palestiniens. « Nous devons penser à eux aussi. Toute autre solution qu’une solution à deux Etats ou à trois Etats est effrayante pour les juifs, que ce soit au niveau démographique ou sécuritaire », explique-t-elle, ajoutant que Clinton ferait un meilleur intermédiaire que Trump pour des négociations de paix.
Il y a également ceux qui voteront Clinton par dépit. Pour David Ross, 34 ans, entrepreneur à Jérusalem, Trump n’est pas digne de confiance. Ce nouvel immigrant qui a fait l’aliya il y a trois ans doute que le candidat républicain soit le « meilleur ami d’Israël ». « George W. Bush aussi était considéré comme un ami et pourtant il a mis une pagaille incroyable dans la région avec la guerre en Irak. Aujourd’hui encore, le Moyen-Orient est en flammes. Donc je préfère ne pas trop m’avancer sur qui est un ami ou pas. » D’autres Israélo-Américains s’inquiètent des propos de Trump sur les minorités et les musulmans. Pour Gabriel Avner, 31 ans, originaire du Maryland, installé à Ramat Gan, les Israéliens et les juifs devraient faire attention aux alliés qu’ils choisissent. « Je ne pense pas qu’un candidat à la présidentielle puisse tenir ce genre de propos. Je veux un chef d’Etat qui soutienne Israël, mais un véritable ami est aussi celui qui vous parle franchement quand vous faites une erreur. » Sans compter que depuis le début de la campagne, Trump est soupçonné d’antisémitisme à cause de commentaires directs ou indirects faisant allusion au rapport des juifs avec l’argent. En outre, le soutien que lui ont apporté certains mouvements racistes et antisémites a créé un malaise chez certains électeurs juifs.
Et puis il y a ceux qui en cette veille d’élections s’inquiètent tout simplement pour l’avenir des Etats-Unis. « Je pense que Trump a une mauvaise vision de l’Amérique », estime Gabriel Avner. « Ce pays a un rôle à jouer dans le monde, ça doit être une société ouverte. Trump rejette cela. Cette élection est un moment important pour les Américains. Il est temps pour nous de dire qui nous sommes et en quelles valeurs nous croyons. »
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