Sous le soleil exactement

Martin Weyl, ancien directeur du Musée d’Israël, présente une nouvelle exposition photo qui explore les dangers du soleil

Aire de jeux à Kiriat Gat (photo credit: DR)
Aire de jeux à Kiriat Gat
(photo credit: DR)
Martin Weyl est d’origine néerlandaise. Si dans sa Rotterdam natale, il guettait les rares rayons du soleil, ces dernières années, l’ancien directeur du Musée d’Israël n’a qu’une idée en tête : protéger les Israéliens des impitoyables UV. Car Weyl a fait un constat ahurissant : en Israël il n’y a pas d’ombre !
A 74 ans, Martin Weyl ne se contente pas de rester assis les bras croisés, à maugréer contre le manque d’ombre qui caractérise les espaces publics du pays. Lancé corps et âme dans son nouveau combat, il planche sur le sujet depuis plusieurs mois. A partir du 4 juillet et jusqu’en novembre, les fruits picturaux de ses travaux seront présentés au musée du Design de Holon, dans le cadre d’une exposition qui s’intitule : Ombre urbaine en Israël. Plus de 100 photographies, prises pour la plupart par Benny Gam Zou Letova, y sont exposées. Elles véhiculent un seul et même message : nous ne nous protégeons pas assez des effets potentiellement nocifs du soleil.
« C’est ridicule, quand vous y pensez », note Weyl, incrédule. « Dans un pays aussi ensoleillé qu’Israël, vous auriez pu attendre des autorités qu’elles prévoient des zones d’ombre dans les espaces publics. C’est vraiment la base. »
Martin Weyl est investi dans les questions écologiques depuis de nombreuses années déjà. Après avoir quitté le Musée d’Israël en 1996, il a été approché par plusieurs associations, avant de choisir la Fondation Beracha, une œuvre philanthropique qui encourage, entre autres, les projets environnementaux. Une seule condition à son engagement : qu’il puisse consacrer l’essentiel de ses heures de travail à des sujets dits verts. A commencer par les déchetteries.
« A l’époque, j’ai concentré mes efforts sur la Hiriya », rappelle Weyl, en référence à l’ancienne colline qui servait de décharge dans les environs de Tel-Aviv. « L’accès principal à Tel-Aviv et toutes les routes qui traversent le pays du nord au sud, passent à proximité de la Hiriya. Cet endroit est en quelque sorte le cœur du pays. Et l’une des premières choses que voyaient tous ceux qui arrivaient en Israël par les airs n’était autre qu’un immense dépotoir à ciel ouvert. Il fallait absolument faire quelque chose ! Nous avons décidé de changer la décharge en un parc magnifique. » Et de fait, Weyl a réalisé là un travail formidable : les déchets de la vie urbaine moderne sont devenus une tache de beauté qui porte désormais le nom de parc Ariel Sharon.
Les questions écologiques trouvant peu à peu leur place en Israël, Weyl a poursuivi son travail avec la Fondation Beracha, encouragé par l’idée que le pays devrait y investir plus d’efforts. « Nous sommes très en retard dans le domaine de l’environnement en Israël », regrette-t-il.
Sauver les espaces publics
« Je me suis toujours intéressé aux espaces publics. C’est moi qui ai conçu la Mifletset, le monstre », se souvient-il, à propos de l’emblématique aire de jeux pour enfants de Kiryat Yovel, à Jérusalem.
« J’ai toujours trouvé étrange que les gens ne vivent pas plus à l’extérieur. Je me suis toujours dit qu’il y avait quelque chose d’anormal à cela. Après m’être penché sur la question, je suis parvenu à la conclusion que la raison est tout simplement le manque d’ombre dans les espaces publics. » Un constat criant de vérité, mis en images dans le cadre de l’exposition Ombre urbaine en Israël.
Regardez ces deux clichés : des vues de terrains de jeux pour enfants, à Jérusalem et à Kiryat Gat, avec leurs variations colorées et leurs installations sur mesure, censées permettre aux plus jeunes de dépenser leur énergie. Sur la photo prise dans les jardins du Gan Hapaamon de la capitale, un enfant s’amuse sur une balançoire, sous le lourd soleil de midi. Sur celle de Kiryat Gat, l’aire de jeux est complètement désertée.
Et ce ne sont pas les seuls manquements. A Jérusalem, explique Weyl, « la municipalité a investi énormément d’argent pour créer un espace réservé aux skateboards. L’endroit est fabuleux, mais c’est un enfer, il y fait tellement chaud. La journée, les enfants ne peuvent pas y jouer », déplore-t-il. Et si c’était la faute de l’Internet et de la télévision ? Non, rétorque Weyl sans hésiter. Pour lui, la seule raison pour laquelle les enfants restent confinés devant leurs écrans est l’absence de protection naturelle ou artificielle contre le soleil qui tape.
« Si vous regardez les autres pays méditerranéens, comme l’Espagne ou le Portugal, les gens passent la journée assis sur les places centrales de leurs villes et villages. Ils ont une esplanade, avec de beaux arbres qui créent de l’ombre, et c’est là qu’ils vont. »
Encore une photographie. Celle d’une table de pique-nique dans un parc de Yerouham : pas vraiment le lieu le plus frais du pays. Les arbres sont majestueux et l’herbe est tentante. Seul problème : la table est située au centre de la pelouse, loin de toute zone ombragée.
Ou cette aire de repos sur l’autoroute de la Arava. L’endroit est censé offrir un répit bienvenu au conducteur fatigué de la longue route qui serpente entre soleil et désert. On y trouve, en effet, des arbres – mais seule une table de pique-nique bénéficie de leur ombre rafraîchissante.
Des arbres qui ne donnent pas d’ombre
Depuis plusieurs années, Weyl martèle ses arguments et harcèle tous ceux qui pourraient avoir le pouvoir et les moyens de remédier à la situation. En vain.
« Une fois, je devais rencontrer le maire de Beersheva qui cherchait des idées pour sa ville. Je lui ai alors dit sans hésiter : “Savez-vous qu’il ne fait pas bon y vivre ?”. Je lui ai expliqué que Beersheva devrait être une oasis. Et qu’est-ce qu’une oasis ? De l’ombre et de l’eau. Tout ce que Beersheva n’a pas. Il m’a alors répondu : “Je n’ai jamais pensé en ces termes.” La majeure partie de la journée, vous ne pouvez pas marcher dans les rues de Beersheva, car il fait trop chaud. »
Le conseil de Weyl a produit son effet. En quelque sorte. « Le maire a bien planté des arbres, mais des palmiers, c’est-à-dire des arbres qui ne donnent pas d’ombre. » « Et plus je m’intéressais au sujet, plus je découvrais qu’il n’y a pas la moindre ombre dans ce pays. Comme si c’était le dernier des soucis des architectes et des paysagistes. »
Quand on y pense, ce manque est crucial, alors que l’ombre devrait être un élément fondamental de toute conception architecturale, en particulier des espaces ouverts. Et pour ceux qui tenteraient d’imputer cette lacune aux mentalités dépassées du passé, prenez note : ces dernières années, les questions de planification ne se sont pas améliorées.
Prenez l’exemple de la place Habima, onéreusement redessinée au cours de travaux achevés en 2011. « Nous avions déjà la place Rabin à Tel-Aviv et Kikar Safra à Jérusalem. Et maintenant, le pire, c’est Habima. Dans le courant de la journée, personne ne peut y venir », note Weyl, « vous ne voyez des gens que dans la partie ombragée, juste à côté du théâtre, là où le bâtiment protège du soleil. En été, il vaut encore mieux rester dans le parking souterrain », ajoute-t-il, dans un petit rire ironique.
Et ce troublant phénomène existe partout. « Il y a des bancs dans les rues, mais personne ne s’y assoit, parce qu’il n’y a pas d’ombre. Les architectes s’appliquent à faire de belles chaussées, ils pensent à ce qu’il y a en dessous de vos pieds, mais se moquent totalement de ce qui se passe au-dessus de vos têtes. Tout est sens dessus dessous. » En clair, selon Weyl : « La planification est mauvaise. »
Encore un exemple : le superbe parc Teddy à Jérusalem. « Là non plus, pas la moindre parcelle ombragée, et pourtant, la municipalité a investi des sommes considérables. Ils ont fabriqué des pergolas, mais elles ne procurent pas d’ombre », se moque encore Weyl.
Il pointe alors la photographie d’une aire de détente avec ses bancs publics, construite laborieusement en haut de la rue Martin Luther King, à Jérusalem, il y a quelques années. Les travaux de construction ont duré une éternité. Résultat : une ossature métallique impressionnante, très symétrique, avec des bancs de tous côtés. « Je n’ai jamais vu personne apprécier les fruits de ce travail. Vous ne verrez jamais âme qui vive là-bas », s’emporte Weyl. « Quand vous construisez une toiture en fer, vous devez examiner attentivement l’exposition pour prévoir des zones ensoleillées et des zones ombragées. Il doit peut-être y avoir un banc ombragé, en tout et pour tout. » Et de fait, il aurait été judicieux d’agrémenter le tout d’une jolie plante grimpante, qui aurait pris ses aises progressivement le long de la structure pour fournir un peu d’ombre, grâce à la générosité de Dame Nature.
A l’échelle régionale
Malheureusement, le problème est national. « J’ai arpenté tout le pays. J’ai pu voir des pergolas interminables, mais pas de végétation », insiste Weyl. Un constat qu’il attribue en partie au manque de discernement des municipalités. « Cela exige un entretien délicat. Les municipalités ont bien des départements paysagers, mais soit ils ne sont pas conscients du problème, soit ils ne se soucient pas de ce genre de choses. Et en règle générale, ils ne sont pas adeptes des arbres qui perdent leurs feuilles ou leurs fruits et salissent le sol. Mais vous pouvez trouver des arbres génétiquement modifiés qui ne font pas de saletés. »
Quant aux problèmes de santé, difficile de faire l’impasse. « Vous pouvez voir des cours de récréation complètement baignées de soleil. Les enfants risquent de se déshydrater et la lumière du soleil les aveugle, en raison de sa réflexion sur les pierres. Cela peut s’avérer dommageable pour les yeux. »
Au cours de son odyssée, qui l’a conduit du nord au sud du pays, Weyl a étudié tous les types d’espaces publics ouverts. « Il y a des monuments, des cimetières où les gens peuvent parfois rester pendant une heure, et qui ne comportent tout simplement pas la moindre zone d’ombre. Pensez aussi aux escaliers extérieurs : ils peuvent s’avérer très pénibles à monter s’ils ne sont pas ombragés ». Un point particulièrement pertinent pour les habitants de villes comme Jérusalem et Haïfa, où la topographie exige souvent d’avoir recours à de tels escaliers.
Pour conclure, selon Weyl, une grande partie de notre logique urbaniste est tout simplement erronée. « Poussés par nos velléités sionistes, nous avons planté des millions d’arbres sur les montagnes. Mais nous ne vivons pas dans les montagnes, nous vivons dans les villes ! », s’exclame-t-il. « C’est une façon très étrange de penser. »
Il aimerait qu’à l’avenir des lignes directrices réglementaires  obligent les architectes à prendre en compte l’ombre et l’ensoleillement dans la construction d’un bâtiment ou d’un espace public.
Mais pour l’heure, il espère que l’exposition Ombre urbaine en Israël éveillera les consciences. « Le but est d’essayer de faire évoluer les mentalités », explique-t-il. « Vous voyez les gens se cacher derrière les arrêts de bus quand ils attendent, à cause du soleil. Car les arbres ombragent la route, pas le trottoir. C’est vraiment ridicule. »
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