Une question d'éducation

La municipalité de Jérusalem prend des mesures pour améliorer les services éducatifs dans le secteur arabe et minimiser l’influence du Waqf dans les quartiers est de la capitale

Dans une école de Jérusalem-Est (photo credit: DR)
Dans une école de Jérusalem-Est
(photo credit: DR)
Novembre 2002. Lors d’une réunion du conseil municipal, une violente altercation oppose le maire d’alors, Ehoud Olmert, à plusieurs délégués municipaux Meretz conduits par Pepe Alalou. Motif : la décision du parti de gauche de saisir la Cour suprême contre le maire. Alalou accuse Olmert de ne rien faire pour remédier au manque de 1 300 classes dans le secteur arabe de Jérusalem. A l’époque, des milliers d’enfants arabes sont obligés de fréquenter des établissements non officiels, faute de place dans ceux de la municipalité. De nombreux parents envoient leur progéniture dans des écoles privées gérées par des institutions chrétiennes ou dans les établissements scolaires du Waqf, organisation philanthropique musulmane pour la gestion des mosquées et des lieux saints de l’islam.
Plus d’une décennie plus tard, la municipalité a modifié sa politique, le budget 2015 ayant prévu une amélioration significative des conditions de vie dans le secteur arabe. Cependant, dans la plupart des cas, il est déjà trop tard : beaucoup d’habitants ont cessé d’attendre. Le manque de structures a depuis longtemps suscité une prolifération d’écoles privées, où les frais de scolarité ne sont pas exigés : ceux-ci sont pris en charge par l’Autorité palestinienne ou par des pays arabes (en particulier l’Arabie saoudite) via des organisations islamiques.
Le Waqf fixe les programmes
Il en est ainsi de l’école de filles Abou-Bakr, à Sour Bahir, entre les quartiers d’Arnona et de Har Homa. Hatem Abou Asla, ingénieur de la municipalité à la retraite, fait partie de son association de parents d’élèves. « Ce n’est que l’un des établissements ouverts grâce au Waqf », explique-t-il. « Il y en a six dans le village : deux lycées, un pour filles, un pour garçons, et quatre écoles élémentaires, toutes financées et gérées par le Waqf. » En tout, 2 000 élèves étudient dans ces établissements, qui n’entretiennent aucun lien avec la municipalité. Les deux lycées ne font passer que le tawijih [baccalauréat palestinien] et non le bagrout [baccalauréat israélien]. L’hébreu n’y est pas enseigné.
« Les parents soucieux de la bonne scolarité de leurs enfants les inscrivent dans les écoles du Waqf », poursuit Abou Asla. « Elles sont de toute façon bien meilleures que celles de la municipalité… ». Une excellence qu’il explique aisément : « Dans nos écoles, nous sommes attachés à la tradition : l’ordre, la discipline, le respect des professeurs. On y enseigne comme on enseignait à mon époque, pas comme dans les écoles d’aujourd’hui. Mais ne croyez pas que les enfants s’y sentent en prison : ils sont libres, ils peuvent s’exprimer, mais sans sortir du cadre des règles fondamentales de rigueur. Ils savent qu’ils ne sont pas autorisés à transgresser ces règles. »
C’est le Waqf et son équipe pédagogique qui fixent les programmes et les supervisent. Les parents d’élèves, eux, n’ont pas leur mot à dire sur ces questions. Ce qui ne pose pas de problème à Abou Asla : « Il n’y a aucun risque que nos enfants deviennent extrémistes », assure-t-il. « Tout ce qu’ils veulent, c’est terminer leurs études avec les meilleurs résultats possibles. Les élèves qui sortent des établissements du Waqf n’ont aucune difficulté à trouver du travail, même sans le bagrout. »
La municipalité épinglée
Le secteur arabe de la ville compte 185 établissements scolaires, dont 57 écoles publiques (sous la supervision des services éducatifs municipaux), 53 écoles non officielles mais reconnues, 35 écoles privées (pour lesquelles les parents paient), 32 écoles du Waqf (établissements islamiques) et 8 écoles gérées par l’UNRWA, pour la plupart situées dans le camp de réfugiés de Shouafat. Les chiffres de l’almanach de Jérusalem 2012 font état de 88 000 enfants arabes scolarisés, du jardin d’enfants à la terminale : 42 000 fréquentent les écoles publiques officielles, 26 000 les non officielles mais reconnues, et 20 000 celles du Waqf ou de l’UNRWA. Environ 5 000 enfants n’ont été recensés dans aucun système scolaire.
En février 2011, la Cour suprême a entériné une requête de l’ACRI (Association pour les droits civiques en Israël) contraignant l’Etat à payer la scolarité des enfants de Jérusalem-Est, obligés de fréquenter la catégorie des établissements reconnus mais non officiels, en raison du manque de classes dans les écoles publiques. « Les autorités compétentes sont bien conscientes de la grave violation des droits des enfants de Jérusalem-Est pour ce qui est de l’éducation pour tous, et elles s’efforcent en toute sincérité et avec un véritable engagement de rectifier cette situation », écrit la juge Ayala Procaccia dans sa décision. « Mais le rythme auquel les choses sont faites et les ressources qui y sont consacrées, indiquent que la solution apportée à ce problème important et complexe ne sera que très partielle au cours des prochaines années. »
Selon Anne Suciu, avocate de l’ACRI, l’inadéquation des solutions mises en œuvre par la municipalité a créé une situation dans laquelle les parents sont obligés de se rabattre sur des solutions de remplacement. « La Cour suprême a ordonné à la municipalité de résoudre le problème du manque de classes, mais cette dernière ne fait pas ce qu’il faut. En février 2016, les cinq années qui lui ont été accordées par la Cour pour résoudre le problème seront écoulées et il est déjà évident qu’à cette date, le manque de classes restera criant, de sorte que la municipalité se retrouvera dans l’obligation de payer à la place des parents la scolarité des élèves des écoles non publiques mais reconnues, et de ceux des écoles privées. »
Pour ce qui est du danger que représente le Waqf en matière d’éducation, Anne Suciu n’affiche aucune inquiétude : « Je refuse de voir là un danger d’influence islamique », déclare-t-elle.
Interrogé sur le système scolaire privé arabe, un porte-parole de la municipalité a récemment affirmé : « Ces détails ne sont pas connus de l’administration municipale ». Il nous a suggéré de nous adresser plutôt au ministre de l’Education de l’Autorité palestinienne.
Changement de cap
Pourtant ces dernières années, il semble bien que le ton ait changé à kikar Safra. « La municipalité, avec le soutien du gouvernement, a investi des centaines de millions de shekels pour remédier au manque de classes, rénover les infrastructures scolaires et améliorer la qualité de vie dans le secteur arabe », confie un porte-parole de la mairie. « Rien que l’an dernier, 93 nouvelles classes ont été inaugurées, ainsi que 7 écoles primaires et 25 maternelles. Par ailleurs, un budget additionnel a été approuvé pour construire de nouvelles structures à vocation éducative. La municipalité prépare actuellement un nouveau programme visant à améliorer l’encadrement des adolescents dans le secteur arabe. Un projet pilote a débuté cette année : dans dix lycées, les élèves peuvent désormais rester jusqu’à 18 heures, pour un coût global de 3 millions de shekels. »
Autre priorité : le choix du programme scolaire dans les écoles arabes. Il n’y a pas si longtemps encore, tous ces établissements, qu’ils soient publics ou privés, enseignaient le programme palestinien. A la rentrée 2014 toutefois, à la suite des violents événements de l’été, cinq importants établissements ont décidé, en accord avec leurs associations de parents d’élèves, de permettre aux enfants qui le souhaitent de passer le bagrout. En dépit des protestations officielles de l’Autorité palestinienne – en juin dernier, le négociateur en chef Saeb Erekat a accusé Israël de tenter de « gommer l’histoire palestinienne » – les associations de parents d’élèves de ces cinq écoles ont maintenu leur décision. Depuis, trois autres ont suivi cet exemple. Et certaines sources de kikar Safra indiquent que de nouveaux établissements devraient bientôt intégrer dans leur cursus les programmes israéliens.
« Nous n’interférons pas avec ces décisions et ne cherchons pas à convaincre les parents qui souhaitent que leurs enfants continuent à passer le tawijih », a rassuré Nir Barkat, lors d’une une récente conférence de presse. « Mais il est clair qu’en choisissant le cursus et l’examen final israéliens, les élèves amélioreront leurs chances d’obtenir un emploi de qualité, de sorte que nous enregistrerons avec plaisir toutes les demandes d’établissements allant dans ce sens. »
Pour Pepe Alalou, deux bémols. D’abord, les efforts pour construire de nouvelles classes ne prennent pas en compte le très fort taux de natalité du secteur arabe. « Oui, nous savons que la municipalité a engagé des constructions dans ce domaine, mais il s’agit d’une réponse aux besoins qui existaient il y a plusieurs années », déplore-t-il. Ensuite, « pour ce qui est du tawijih, il existe un réel problème dans les écoles administrées par le Waqf : celles-ci ne permettront jamais à leurs élèves de passer le bagrout, et même les élèves qui auront obtenu de bonnes notes au baccalauréat palestinien ne pourront faire valoir ces résultats que dans les villes de Cisjordanie. Leur niveau ne leur permettra jamais d’intégrer une université israélienne ni de trouver un emploi intéressant à Jérusalem. »
La course est engagée
Le journaliste Mouhammad Abou Khdeir (l’oncle de l’adolescent assassiné l’an dernier et qui porte le même nom) travaille pour le quotidien palestinien publié à Londres Al-Quds. Pour lui, « ce passage aux programmes israéliens va peut-être aider les jeunes à trouver de meilleurs emplois, mais il est évident qu’il s’agit là d’une volonté politique de Nir Barkat, qui représente les intérêts des colons à la municipalité. » Et d’ajouter : « Vous croyez vraiment que le but du maire est d’améliorer les conditions de vie de notre jeunesse ? Non, cela ne fera que servir les intérêts des colons. »
Sur le plan officiel, ni le maire, ni aucun autre responsable, n’a officiellement déclaré que l’objectif était de faire passer tous les lycées de la ville aux programmes scolaires israéliens. Pourtant, les efforts de la municipalité semblent bel et bien aller dans ce sens. « Nous ne pouvons pas interférer dans leurs décisions ni imposer quoi que ce soit, bien sûr », explique une source de kikar Safra, « mais il est évident que nous n’avons pas envie de voir de plus en plus de jeunes arabes fréquenter les écoles du Waqf et se trouver ainsi exposés à l’idéologie islamique. »
Sur le terrain, plusieurs sources liées aux services de l’Education reconnaissent qu’une course est désormais engagée entre les parties en présence pour toucher le maximum de jeunes. « Mais cela n’a rien de politique », précise l’une d’elles. « C’est seulement parce qu’il est de notre devoir de fournir des écoles adéquates pour tous les jeunes d’âge scolaire de la ville, et nous sommes conscients d’avoir négligé cela trop longtemps. Quoi qu’il en soit, ce problème ne va pas se résoudre en un an. »
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