Dans les coulisses du festival

Eyal Sher a pris la direction du Festival d’Israël en août 2014. Faites le calcul. Il n’a donc eu que huit mois pour préparer un événement qui réclame généralement plus d’un an d’organisation

Snakeskins de Benoît Lachambre (photo credit: DR)
Snakeskins de Benoît Lachambre
(photo credit: DR)
Le Festival d’Israël est l’un des plus anciens et des plus prestigieux du pays. Tout commence en 1961 dans les arènes antiques de Césarée. Au fil des ans, le petit festival de musique classique s’étend à d’autres disciplines ; danse, jazz, théâtre, arts visuels… Il rassemble rapidement sur la même scène des artistes venus d’Israël et de l’étranger. En 1982, le festival élit domicile fixe et s’implante définitivement à Jérusalem.
Yossi Tal-Gan, ancien directeur du département de la culture à la municipalité de Jérusalem et candidat aux élections municipales de 2008, a dirigé le festival pendant plus de 22 ans. En 2013, il annonce sa démission. Finalement il quitte le festival en juin 2014, alors qu’il fête ses 70 printemps. C’est seulement fin août qu’Eyal Sher se retrouve en poste. Le pays sort alors douloureusement de l’opération Bordure protectrice à Gaza, Jérusalem est le théâtre de graves violences et les autorités redoutent le déclenchement d’une troisième intifada. « Pas le moment idéal pour mettre sur pied un festival international ! », regrette le nouveau directeur.
Eyal Sher, 57 ans, père de trois enfants, est né à Jérusalem. Fils de diplomate, il a vécu sept ans à l’étranger, principalement en France. Scénariste et producteur, il a notamment travaillé avec Claude Lanzmann et a dirigé le Festival du Film de Jérusalem. Diplômé en cinéma et en télévision de l’université de Los Angeles, il a dirigé le département art et culture de la Fondation de Jérusalem de 2008 à 2014. « Yossi [Tal-Gan] a agi de façon très noble en me laissant le champ libre pour faire “mon” festival », se réjouit Sher. « Il n’a préparé aucun programme, il m’a laissé l’opportunité de tout faire de A à Z. C’était exactement ce que je voulais. Je peux dire que le festival de cette année est le fruit de mes désirs. »
S’il est arrivé avec des idées très précises, Eyal Sher a rapidement dû revoir ses prétentions à la baisse. Le délai très court dont il disposait pour solliciter les artistes, qui prévoient généralement leurs tournées deux ans à l’avance, ainsi que certaines considérations financières, l’ont contraint à abandonner une partie de ses projets. « Toutefois », affirme-t-il, « en termes de contenu, et vu ce que j’avais en tête pour ce premier festival, je suis satisfait ! »
Il a d’abord fallu réunir une équipe de travail. « Au début, je pensais avoir un directeur artistique pour chaque discipline », explique-t-il, « mais sachant qu’aujourd’hui les champs artistiques ne sont plus distincts, la danse peut se combiner avec le vidéo-art, le théâtre avec la musique… j’ai dû adopter une approche différente. » D’où la création de ce que Sher compare à une sorte de ruche ; un seul directeur artistique et divers spécialistes qui gravitent autour de lui. « En fait, j’ai été obligé de réfréner un peu mes élans, parce qu’il faut aussi se confronter à la réalité, mais je n’ai pas renoncé à ma vision. Ma vision, c’est éveiller un appétit culturel en embrassant le monde de l’art dans son ensemble. »
Populariser la culture
L’optique de Sher consiste à éduquer un public de plus en plus large à l’art et à la culture. C’est l’un de ses credo depuis ses années à la Fondation de Jérusalem, où il s’est attaché à donner à des artistes locaux des lieux où s’exprimer et s’est appliqué à élargir les centres d’intérêt des « consommateurs d’arts », le tout dans le but d’inciter les artistes à rester dans la capitale. Attirer de nouveaux publics, c’est bien son intention pour le Festival d’Israël. « Ça, c’est le plus facile », concède-t-il. « Mais il a d’abord fallu que je trouve, et vite, les créations les plus récentes et les plus captivantes en théâtre, musique et danse. Pour cela, je n’étais pas seul : j’avais mon directeur artistique Itzik Juli (qui officiait auparavant au festival de danse Curtain Up) et l’équipe que j’avais réunie, ainsi qu’Emanuel Witzthum et Miri Menirav, l’ancienne productrice. »
Avant de procéder au choix des créations, il a fallu répondre à certaines questions cruciales : « Quel rôle joue ce festival ? Qu’apporte-t-il que des producteurs privés ne peuvent offrir ? Après tout, il s’agit d’argent public, il faut donc proposer quelque chose de différent. » L’une des règles fondamentales est que les programmes du Festival d’Israël ne soient pas présentés à la même période dans d’autres salles de spectacle du pays. « Cela rend le programme plus onéreux, mais c’est un impératif auquel je tiens. Ce que nous proposons dans le cadre du festival ne peut être vu qu’au festival. »
Edimbourg, Cracovie, le Japon… C’est là que Sher est allé dénicher ses idées de spectacles. « Le fil conducteur devait être de choisir des choses qui nous intéressaient, nous, hommes et femmes qui aimons et consommons les arts et la culture », explique-t-il. « Il s’est trouvé que nous avons surtout recruté des créateurs et artistes qui aiment combiner plusieurs domaines artistiques. Ce qui rend un spectacle intéressant, c’est ce que l’artiste fait avec une idée et comment les disciplines s’associent. »
Une des principales difficultés a été de convaincre des artistes étrangers de se produire en Israël, malgré le contexte politique et sécuritaire. Car Sher ne s’est pas contenté d’accepter les spectacles que les départements culturels des différentes ambassades étrangères lui proposaient. Il a insisté pour faire venir les artistes qu’il avait choisis. « Nous avons commencé par brosser une image de ce que nous voulions, puis il a fallu trouver le moyen d’y parvenir, sur les plans financier, artistique et autres. Et je dois dire que, malgré tous les problèmes que nous connaissons, le Festival d’Israël jouit d’une image très prestigieuse. »
Parmi les nombreuses institutions contactées, figurent le Goethe Intitute (cette année marque le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre l’Allemagne et Israël), l’Institut français et l’ambassade de Belgique.
Quant aux artistes du monde arabe, ils ne seront pas plus présents cette année que les précédentes. Sher souligne toutefois que tous les programmes et affiches seront publiés en hébreu, anglais et arabe.
Le 54e Festival d’Israël à Jérusalem se tiendra du 28 mai au 24 juin au Théâtre de Jérusalem et dans divers lieux de la ville, comme c’était le cas il y a de nombreuses années. Tel n’était pas la volonté première de Sher, qui aurait préféré un lieu unique, festif et imprégné de l’atmosphère du festival, mais il a fallu, encore une fois, composer avec la logistique.
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