Divine nature

Ilana Stein, coordinatrice d’un safari cacher, ne voit aucune contradiction entre ses deux passions : sa foi et la sauvegarde de la nature en Afrique.

0602JFR20 521 (photo credit: Lawrence Margolis)
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(photo credit: Lawrence Margolis)
Assise sur un canapé,Ilana Stein étudie le livre de Josué. Cette orthodoxe a étudié la Torah dansles meilleurs séminaires d’Israël pendant de nombreuses années. Elle s’occupeaujourd’hui du Beit Midrash Emouna de Johannesburg, grand centre d’éducationjuive pour femmes. Ilana, 45 ans, a une personnalité passionnante, mais, cettequalité mise à part, il ne devrait rien y avoir d’extraordinaire à s’entreteniravec un professeur en train de préparer un cours de Torah.
Rien qui sorte de l’ordinaire, donc, sinon la veste de safari multipochesqu’elle porte, et le fait qu’elle prépare son cours sur une esplanade deplanches qui surplombe le fleuve Luvuvhu, en plein coeur de l’Afrique.
C’est l’heure de la sieste au camp de safari de Pafuri, situé dans le parcnational de Kruger, près de la frontière tri-nationale entre l’Afrique du sud,le Zimbabwe et le Mozambique. Stein est chargée de coordonner un safari cacherorganisé par Wilderness Safaris, l’une des plus grandes sociétés d’écotourismedu pays.
La scène révèle bien les deux facettes de la personnalité d’Ilana : sioniste etjuive orthodoxe convaincue d’un côté, amoureuse de la nature de l’autre. Ellene voit aucun conflit entre ces deux pôles, mais reconnaît qu’ils l’entraînentdans deux directions extrêmement différentes.
« Au niveau le plus fondamental, il existe une évidence : les Juifs doiventtout faire pour aller vivre en Israël », expliquet- elle. « Moi, je suissioniste avant tout. Je considère que l’Etat d’Israël est la première étincellequi précède l’ultime Rédemption et je pense que 100 % des Juifs doivent faireleur aliya, s’ils le peuvent. Dieu nous a donné la terre d’Israël, y vivre estun moyen de se rapprocher de Lui.
« Seulement, ici, dans la savane, je me sens comblée comme nulle part ailleurs.Mon âme est en parfait accord avec la nature, avec les animaux et le bruit desarbres, avec les odeurs et ces images de l’Afrique qui sont les voies parlesquelles je parviens à me relier pleinement à Dieu. C’est ici que je me sensle plus proche de Lui ou d’Elle », ajoute-t-elle.
Une aliya prévisible 
La famille où la petite Ilana a grandi ressemblait àn’importe quelle autre famille de Glenhazel, un quartier juif de Johannesburg :des orthodoxes typiques d’Afrique du Sud, qui soutiennent résolument Israël etne parlent que de sionisme à la table du dîner. La jeune Ilana fréquenteassidûment le Bné Akiva local et étudie de surcroît dans une yeshiva, deuxlieux où on lui parle de Theodor Herzl, de David Ben Gourion ou de MenahemBegin, mais aussi des guerres et des réalisations d’Israël.
La conséquence est prévisible : une année en Israël après le lycée, de longuespériodes d’étude au séminaire pour femmes Orot d’Elkanah, en Judée-Samarie, etau centre Nishmat de Jérusalem, suivies d’une aliya à l’âge de 25 ans.
Entre 1990 et 1998, Ilana vit à Jérusalem, où elle enseigne la Bible à desadolescents venus d’Afrique du Sud dans le cadre d’un programme post-lycée,puis elle trouve un travail de rédactrice pour une entreprise high-tech.
Un parcours qui pourrait paraître idyllique, et qui l’est sur bien des plans. AJérusalem, Ilana se sent « inspirée » par la normalité que revêt le rêvesioniste dans la vie quotidienne.
Aujourd’hui, elle se souvient encore de cette émotion qu’elle ressentait enaccomplissant les tâches les plus banales, à l’idée qu’elle faisait cela sur laterre que Dieu avait promise à Abraham, à Isaac et à Jacob. « C’était lapremière fois de ma vie que je me sentais totalement en accord avec l’éducationque j’avais reçue et avec les valeurs sionistes dans lesquelles on m’avaitélevée », raconte-t-elle.
Et pourtant, il lui manque quelque chose. Certes, Jérusalem se distingue parune orthodoxie plus vibrante qu’ailleurs, la vie qu’y mène le Juif pratiquantest plus riche que dans n’importe quelle autre ville du monde, mais il existeun élément de l’âme d’Ilana qui ne trouve pas satisfaction dans la capitale del’Etat d’Israël : son côté africain.
L’appel des baobabs
Vu son emploi du temps surchargé, elle part rarement enexcursion et ses promenades au Wadi Qelt, à Ein Gedi ou dans le Golan nesuffisent pas à satisfaire sa soif de nature. Un sentiment qu’elle a du mal àdécrire, et même à comprendre elle-même.
« En théorie, une promenade dans le Wadi Qelt aurait dû combler mon amour de lanature », dit-elle, non sans frustration. « C’est une association parfaiteentre de magnifiques paysages, des plantes et des animaux intéressants etvariés, avec une forte dose d’histoire juive pour agrémenter le tout… » Enréalité, les baobabs lui manquent, tout comme la faune sauvage et les grandsespaces du veld africain. Ilana finit par s’inscrire à un cours d’écologie parcorrespondance de l’université d’Afrique du Sud. Un diplôme en cinq ans quicomporte trois sessions de travaux pratiques sur le terrain en botanique,science des sols et protection de l’environnement. Elle espère qu’une semainedans la savane de temps en temps la guérira de son besoin d’Afrique.
Elle finit tout de même par partir pour six mois, au terme desquels elleretarde son retour en Israël d’un an, puis elle accepte un travail derédactrice sur AfriCam.com, un safari interactif en ligne.
Rien ne semble plus naturel que de discuter judaïsme et écologie avec IlanaStein alors que passe devant nous une tribu de babouins en liberté. Elle citela Genèse 2 : 15, le commandement fait par Dieu à l’homme de cultiver et desoigner le monde naissant et attend avec impatience son prochain Shabbat dansla savane. « Le Shabbat là-bas est une expérience incroyable »,s’exclame-t-elle. « Le calme du Shabbat couplé au calme de l’écosystème estphénoménal : la sérénité est palpable ! ».
Toutefois, elle déplore aussi les dégâts causés par l’homme sur l’écosystèmeafricain, qui l’empêchent souvent de trouver le sommeil. Elle compte beaucoupsur l’éco-tourisme, qu’elle considère comme l’un des rares moyens qu’il nousreste de sauvegarder la richesse et la diversité du continent.
Israël fait partie de son ADN 
« Les autorités ont un rôle important à jouerpour empêcher le braconnage et encourager les touristes à traiter nos réservesnaturelles comme il se doit », affirme-t-elle. « Le problème, c’est qu’ellesn’ont guère les moyens d’introduire de réels changements. Les communautéslocales, elles, peuvent se montrer bien plus efficaces pour protégerl’environnement, mais il faut d’abord les convaincre qu’il est dans leurintérêt de le faire. » Pour atteindre cet objectif, ajoute Ilana, la sociétéWilderness Safaris emploie près de 2 000 personnes dans des campements et desgîtes en pleine nature, répartis dans 9 pays d’Afrique. Cette compagnie s’estdonné pour mission d’établir des programmes et de conclure des accords departage de bénéfices avec les communautés locales. C’est ce qu’elle a fait, parexemple, avec la tribu Makuleke, qui est propriétaire du camp de Pafuri.
« Les communautés locales sont les plus à même de protéger les régionsnaturelles. Lorsqu’on leur explique qu’ils sont propriétaires de leur héritage,les gens sont très vite disposés à protéger leurs terres et la faune qui y vit.Cependant, ils subissent souvent les pressions d’entrepreneurs qui leurproposent des sommes séduisantes en échange de leurs terres, assorties de lapromesse de s’enrichir rapidement, par exemple par la chasse ou l’exploitationminière.
Notre but à nous est de travailler auprès de ces villageois qui ont toujoursvécu là, afin de leur faire comprendre que protéger la nature n’est passeulement la bonne chose à faire, mais que cela représente un excellent pariéconomique, même si les bénéfices financiers de l’éco-tourisme sont peutêtreplus longs à venir.
De retour dans son appartement de Johannesburg, Ilana se dévoue au judaïsmetraditionnel, aux 70 000 membres de la communauté juive de la ville et àl’amour d’Israël, pays dont elle affirme qu’il fait partie de son ADN.
Dans sa vie de tous les jours, affirme-t-elle, son très fort attachement à laHalakha ne lui pose pas de problème, du moins, pas avec ses collègues deWilderness Safaris. Certes, certaines normes imposées par la communauté juivede Johannesburg lui pèsent – elle répugne par exemple à porter des jupeslongues tous les jours, mais sait qu’on ne la prendrait pas au sérieux si ellevenait enseigner la Torah en pantalon.
Elle trouve dans l’ensemble cette communauté accueillante et chaleureuse,sérieuse dans la transmission de la Torah et respectueuse des mitsvot, ce quiest capital pour elle.
Dilemme cornélien 
Même pendant ses escapades semestrielles dans les campsisolés de Wilderness Safaris, Ilana Stein affirme ne concéder aucun compromisen matière d’orthodoxie. Au contraire, son travail à Pafuri, en Zambie, auMalawi et ailleurs en Afrique lui a offert une occasion exceptionnelled’expliquer aux gens ce qu’est le judaïsme et de contribuer à une compréhensioninterculturelle.
« Bien sûr, je dois parfois me battre pour pouvoir respecter ce en quoi jecrois. Par exemple, on m’a demandé un jour d’aller rejoindre un groupe dansl’un de nos campements, au coeur de la forêt tropicale du Congo, mais jen’étais pas sûre d’avoir le temps d’y arriver avant Shabbat. J’ai donc refusé.
« Quand vous vous montrez franc et que vous expliquez aux gens vos convictions,ils les respectent. Chaque fois que je sers de guide à un groupe juif, notrepersonnel est toujours disposé à faire des efforts pour que nous puissionsemporter de la nourriture cachère et il veille de surcroît à ce que la qualitéet la présentation soient du même niveau que pour les autres repas qu’ilprépare. Tout cela est une question d’éducation, rien d’autre. » « Quand vousrespectez les gens et que vous leur expliquez de quoi vous avez besoin, vousvous apercevez qu’ils sont toujours désireux de vous retourner ce respect et dese mettre en quatre pour que vos besoins soient satisfaits », affirme-t-elle.
Après 10 ans chez Wilderness Safaris et 15 en Afrique du Sud, Ilana Stein sentqu’elle n’est pas près de revenir vivre en Israël, même si ses sentiments pource pays ne font que se renforcer, et même si elle passe 90 % de son temps dansles bureaux de Johannesburg, une jungle urbaine bien éloignée de la savane.Mais elle sait aussi que la lutte acharnée qui se mène dans son coeur neprendra pas fin de sitôt.
« Mon problème, c’est que mon amour pour l’Afrique n’est pas moins fort que monamour pour le judaïsme », soupire-telle.
« Je regarde la majesté d’un troupeau d’éléphants ou la silhouette d’un baobabqui se détache sur le ciel africain et je suis incapable de penser à quoi quece soit d’autre qu’à Dieu.
Mais quand j’approfondis ma réflexion, et surtout quand j’étudie la Bible, jesais que Dieu veut vraiment que je sois en Israël. C’est un vrai dilemme, et jen’ai pas la solution… du moins, pas encore.