Egypte : vers un nouveau départ ?

Entre une économie chancelante et un Occident sur ses gardes, Le Caire se fixe, malgré tout, un cap démocratique. Décryptage.

P9 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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Tel qu’il seprésente aujourd’hui, le projet de constitution ferait de l’Egypte un paysnettement plus démocratique. Mohammed Salmawy, porte-parole du comité des 50chargé de l’élaboration du texte, en a révélé les points-clés dans plusieursinterviews : justice sociale, indépendance nationale, libertés et droitsde l’Homme, séparation de la politique et de la religion. En clair, selon lepréambule qui en fait partie intégrale, « une constitution pour un Etatcivil, démocratique et moderne en Egypte ». Autre point important :elle « représente les objectifs des révolutions du 25 janvier (destitutiond’Hosni Moubarak) et du 30 juin (arrestation de Mohamed Morsi).

Délivrer l’Etat del’extrémisme religieux

Si ce textedevait être définitivement adopté par la plus grande nation arabe, c’est unformidable changement qui interviendrait dans les relations entre l’Etat et lareligion. Le parti salafiste et ultrareligieux « Al Nour » ne s’y estd’ailleurs pas trompé, faisant immédiatement connaître son opposition. Reste àsavoir si le projet de constitution ne sera pas amendé avant sa publication officielle.

Il ne faudraitpas non plus s’attendre à ce que l’Egypte tourne le dos à l’islam, qui estdepuis quatorze siècles la base de sa culture. L’homme fort du régime, AbdelFattah Al Sissi, bien qu’ouvert aux principes de la démocratie, a d’ailleurs laréputation d’être un musulman conservateur. Il s’assurera sans doute que laconstitution propose un compromis acceptable pour la grande majorité desEgyptiens, toujours favorables à l’application d’au moins une partie de laSharia.

En attendant, leprocessus annoncé par la feuille de route publiée par Al Sissi lorsqu’il aremis le pouvoir à l’autorité civile, quelques jours après l’arrestation deMorsi, se déroule normalement. Le bref passage des Frères musulmans à la têtede l’Etat appartient désormais à l’Histoire, même si ces derniers n’onttoujours pas accepté la perte d’un pouvoir démocratiquement obtenu après

80 ans de lutteset de persécutions. Ils peinent à croire que leur rêve d’un pays gouverné parla Sharia est à jamais perdu. Certes, ils bénéficient encore de l’aide de leurconfrérie internationale, très active dans plusieurs pays occidentaux, etcontinuent à se battre pour la restauration de leur président« légitime », mais il n’y a plus que la Turquie pour leur apporter unsoutien de poids. Les Etats-Unis, qui s’étaient empressés de suspendre unepartie de leur assistance militaire pour montrer leur mécontentement, fontmaintenant machine arrière et le secrétaire d’Etat John Kerry n’hésite plus àdire que la révolution « a été volée par les Frères ». Ces derniersne baissent pourtant pas les armes et leurs partisans les plus déterminés sonttoujours prêts à descendre dans la rue, mais ils se comptent par centaines etnon plus par dizaines de milliers comme par le passé. Pourtant ils maintiennentla pression, encourageant directement ou indirectement des militants islamiquesextrémistes à se livrer à des attentats dans le pays et surtout dans lapéninsule du Sinaï afin de semer le chaos et compromettre le redressementéconomique. Là encore, l’armée est en train de reprendre les choses en mains.Il faut bien voir que le régime, extrêmement populaire et soutenu par lesmédias, est en train d’asseoir solidement son autorité.

Al Sissi,ministre de la Défense et Vice-Premier ministre, fait preuve d’un vrai leadershipet poursuit son programme sans se laisser intimider par ceux qui, selon sestermes, « cherchent à faire du tort à l’Egypte ». Dans chacun de sesdiscours, le militaire martèle qu’il protégera l’indépendance du pays etœuvrera à la création d’un régime démocratique délivré de l’extrémismereligieux. A la presse étrangère, il répète qu’il souhaite préserver les bonnesrelations entre l’Egypte et les Etats-Unis et ne comprend pas pourquoiWashington tourne le dos à un pays qui a été son allié fidèle pendant desdécennies. Il n’hésite pourtant pas à résister aux pressions américaines et n’apas perdu de temps pour réchauffer les liens avec la Russie, accueillant auCaire les ministres des Affaires étrangères et de la Défense. L’Egypte a eneffet indiqué qu’elle envisageait de relancer son programme nucléaire et Moscous’est empressé d’offrir son aide. Par ailleurs,

Le Caire arappelé son ambassadeur à Ankara pour signifier à la Turquie que son soutienaux Frères musulmans ne serait pas toléré. Enfin, sans s’embarrasser decontradictions, Nabil Fahmy, le ministre des Affaires étrangères, répète surtous les tons que l’Egypte veut se rapprocher de l’Occident. Et d’ailleurs,puisque les Egyptiens veulent construire un Etat démocratique et moderne,l’Occident n’est-il pas un allié naturel ? La technologie et lesinvestissements occidentaux ne seront pas de trop pour redresser leur économiechancelante.

Trois scrutinsdécisifs

Tout va se jouerau cours des prochains mois. Trois consultations populaires sont prévues :ratification de la constitution, élection parlementaire et électionprésidentielle. Les partis politiques sont-ils prêts ? Les fronts laïqueset non islamiques arriveront-ils à trouver un dénominateur commun face auxislamistes, qui représentent sans doute un quart des votants ? Ilsemblerait que les trois grands blocs – libéraux, nasséristes et gauche –envisagent de se présenter sur une liste unique mais rien n’est encore fait.Les jeunes qui ont déclenché les deux révolutions, essentiellement le mouvementdit du Six Avril et le Tamarud, n’ont pas encore fait connaître leur position.Ils attendent peut-être de voir ce que va faire Al Sissi. Le général va-t-il sedécider à se porter candidat à la présidence ? Va-t-il au contrairesoutenir un autre candidat ? A en juger par ses plus récentesinterventions, il n’a pas encore franchi le pas. Il sait qu’il seraitcertainement élu à une très large majorité, vu qu’il est sans doute l’homme leplus populaire du pays aujourd’hui. Il sait aussi que ses détracteurss’empresseraient de proclamer qu’il souhaite instaurer une nouvelle dictaturemilitaire.

Autre problèmequi risque de compliquer le processus électoral : le terrorisme. Un ouplusieurs attentats spectaculaires rendraient difficile la tenue d’élections etpourraient contraindre le régime à restaurer l’état d’urgence qui vient d’êtreaboli.

Il n’en reste pasmoins que le facteur décisif est et restera l’économie. Pour l’instant, legouvernement se garde bien de réduire les subventions aux produits debase ; il sait pourtant que seules les subventions massives en provenancede l’Arabie Saoudite, des Emirats du Golfe et du Koweït lui permettent decontinuer. Les ministres savent pertinemment que cela ne pourra pas durer. Ilfaudra bien en venir aux réformes douloureuses et indispensables pour rendrel’économie plus efficace – et répondre aux exigences des institutionsfinancières internationales.

Paradoxalement,l’Occident ne se départit pas de sa méfiance et ne semble pas pressé de veniren aide à un pays qui s’efforce d’avancer vers la démocratie et une plus grandeliberté. Or, l’Egypte aura besoin d’une détermination sans faille et debeaucoup d’assurance pour persévérer alors qu’autour d’elle le monde arabes’enflamme et que l’islam radical, soutenu par l’Iran et par al-Qaïda, va desuccès en succès. Il reste à souhaiter que Le Caire tienne bon – et quel’Occident comprenne enfin où sont ses véritables intérêts.

L’auteur estancien ambassadeur d’Israël en Egypte et chercheur au JCPA.

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