Diplomatie sportive

Tal Brody, l’un des meilleurs joueurs de basket-ball d’Israël, promeut l’image de l’Etat hébreu à l’étranger avec l’agilité d’un champion.

brody 150 (photo credit: MOSHE MILNER / GPO)
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(photo credit: MOSHE MILNER / GPO)

C’est par deux phrases prononcées dans une petite ville de Belgique queTal Brody est devenu célèbre.
Ce soir d’hiver de 1977, Brody, ancien joueur All- American de basket-ball del’université de l’Illinois, a mené le Maccabi Tel-Aviv à la victoire contre leCSKA de Moscou – qui avait déjà remporté à quatre reprises la Coupe d’Europe.
C’était en pleine guerre froide et l’atmosphère était tendue.
Le Maccabi Tel-Aviv jouait face à l’équipe d’un pays qui fournissait des armesaux ennemis. Sur le plan politique, Israël était isolé et boycotté par les paysarabes. L’économie était en récession. Ce jour-là, personne ne pensaitqu’Israël avait une chance, car, jusque-là, aucune de ses équipes n’étaitarrivée au-delà du premier round de la Coupe. Les supporters du Maccabi, quiavaient suivi l’équipe tout au long de son ascension, étaient survoltés : legagnant devait accéder à la finale de la Coupe européenne.
Tout le pays retenait son souffle : Brody et ses coéquipiers allaient-ilsredonner confiance aux Israéliens ? Ce soir-là, le Maccabi a gagné avec 91points contre 79 et les fans de Brody ont porté ce grand gaillard en triomphe.
C’est alors qu’il a déclaré en hébreu et avec un fort accent américain : « Noussommes désormais célèbres, nous comptons, non seulement dans le sport, maisdans tous les domaines ».
Ce match Maccabi-Moscou reste en bonne place dans le palmarès des hauts faitsd’Israël. Le Premier ministre d’alors, Itzhak Rabin, a confié à Brody qu’àl’entendre il en avait eu les larmes aux yeux (ce qui pour cet homme réservéest plutôt rare). Du Premier ministre à l’homme de la rue, les Israéliens sontsubjugués. L’effet de cette victoire et sa valeur symbolique ressortent dans letémoignage de Thomas Friedmann, journaliste. Il rapporte des propos entendus àl’époque : « La victoire de Brody et de son équipe sur les Russes était aussila revanche de mon grand-père : enfin, nous avions battu les cosaques ». Brodydevient désormais « Monsieur Basket-Ball », une formule gagnante reprise dansles discours politiques et autres messages publicitaires.
Israël avait reconquis le monde et sa fierté.
En avril 1977, deux mois après le triomphe sur Moscou, le Maccabi se retrouveen finale de la Coupe européenne de basket, face à l’Italie. Le match sedéroule à Belgrade en Yougoslavie, pays alors communiste qui n’entretient pasde liens diplomatiques avec Israël. L’avion d’El Al qui transporte l’équipesera le premier appareil israélien autorisé à y atterrir.
Le Maccabi va battre Varese par 78 points contre 77. Le premier succèsinternational du sport israélien. Deux ans plus tard, Israël célèbre Brody enlui décernant la plus haute récompense civile de l’Etat : le prix Israël.
No 13
Trente-cinq ans plus tard, Brody, âgé de 69 ans, est désormaisambassadeur de bonne volonté : « Je suis venu vivre et jouer en Israël pourhausser ce sport au plus haut niveau. Quand j’ai dit que nous comptions, jevoulais dire que, pour la première fois, nous avions atteint ce niveau et quenous allions y rester. » C’est par cette phrase que Brody nous accueillechaleureusement dans son appartement de Natanya.
L’ancien joueur est vêtu d’un survêtement rouge, bleu et blanc frappé auxinsignes des Maccabiades. Son visage est ridé et ses cheveux quelque peuclairsemés, mais il reste cet athlète qui a porté Israël vers les podiums de lavictoire et ce, dès la fin des années soixante.
A l’époque, jouer en Israël, pour un sportif juif américain, ne représentaitrien. Brody, né et élevé à Trenton dans le New Jersey, n’avait donc pas cetteambition. C’est à huit ans qu’il a commencé à s’intéresser au basket et c’estau lycée de Trenton qu’il est devenu un joueur de haut niveau.
Au sortir du secondaire, une douzaine de collèges le réclament. Finalement, ilva choisir l’université de l’Illinois où il dort avec son ballon et dribblejusque dans les classes.
Avec lui, l’Illinois va remporter les Big Ten championship (le championnat des10 plus grandes équipes américaines) et sera classé troisième dans le pays.
En 1965, Brody est sélectionné parmi les 10 meilleurs joueurs des Etats-Unis.
La même année, il se rend en Israël pour participer aux Maccabiades où l’équipeaméricaine empoche la médaille d’or. Le Maccabi Tel-Aviv lui propose alors uncontrat. Brody refuse. Mais le tirage au sort parmi les joueurs américains leplace 13e dans l’équipe de la NBA Baltimore Bullets (aujourd’hui WashingtonWizards).
L’année suivante, en 1966, Brody accepte la proposition du Maccabi Tel-Aviv.Est-ce ce 13 fatidique ou son lien avec Israël qui va le décider à faire sonaliya ?
Sportif de l’année 
Son père avait séjourné en Palestine entre 1921 et1923, alors qu’il venait d’Europe de l’est pour immigrer aux Etats- Unis. Songrand-père, lui, y avait vécu pendant une dizaine d’années. Il avait travailléà la construction d’une centrale électrique et d’un aéroport. Brody, presque 50ans plus tard, met, lui, sa décision sur le compte du hasard. Si les Bulletsl’avaient échangé contre la 76e place de l’équipe de Philadelphie, ses chancesde jouer auraient été meilleures et il serait resté aux Etats-Unis. Les chosesont tourné autrement, et en faveur d’Israël : il n’y eut pas d’échange dejoueurs et Brody embarque pour Israël après avoir décroché son master enpsychologie de l’éducation, à l’université de l’Illinois.
Dès son arrivée, il mène le Maccabi aux finales de la toute nouvelle Cupwinners Cup competition (la coupe des champions) lors d’un match resté célèbresous le nom du « miracle de Badalona ». Le Maccabi avait perdu le premier jeucontre la Joventut Badalona, l’équipe espagnole, avec 32 points d’écart. Maisgrâce à Brody, la deuxième manche sera remportée par le Maccabi avec exactementune avance de 32 points ! 48 heures après le miracle, Tel-Aviv bat l’Espagnepar 75 contre 51. Le pays est en émoi.
A l’époque, les matchs ne sont pas retransmis à la télévision.
Toute la nation a l’oreille collée à la radio. Brody s’en souvient bien : « Lepays qui adorait le foot est devenu soudain fan de basket. Chaque victoireétait fêtée comme un jour de Yom Haatzmaout (Fête de l’Indépendance). » Lesmarchands de sport qui vendaient six ballons de foot pour un ballon de basketont vu leurs ventes s’inverser. Ce miracle aussi était attribué à Brody. En 1967,il est nommé le sportif de l’année. Jusqu’à son arrivée, les Israéliensconsidéraient le basket comme un jeu lent, juste bon pour s’essayer à quelquespaniers. Avec son style américain, son jeu rapide et son talent de leader,Brody a réussi à mener son équipe au sommet. Lui et le Maccabi ont subjugué lesfoules et attiré les dirigeants jusqu’aux tournois.
Ambassadeur de bonne volonté 
Malgré sa décision de rester en Israël, Brody,attaché à son pays d’origine, y retourne en 1968 pour servir dans l’armée américainedurant la guerre du Vietnam. Il intègre alors l’équipe des All-Stars del’armée.
De retour en Israël, en 1970, il ouvre un commerce de sport et se marie avecRonit Born (Moshé Dayan compte parmi les invités) avant de rejoindre de nouveaul’équipe du Maccabi Tel-Aviv. C’est sept ans plus tard, comme capitaine, qu’ilmène le club à sa première sélection et victoire de la Coupe européenne.
En 1980, Brody vend son commerce et ouvre une compagnie d’assurance. De 1981 à1983, il est l’assistant entraîneur du Maccabi. Il divorce de sa femme et seremarie avec Tirtza Chen. Les deux enfants de son premier mariage, et letroisième issu du second lui ont donné cinq petits-enfants.
En 1985, il monte Bnei Herzlia, un programme de basket-ball subventionné par laville, qui compte, aujourd’hui, près de 8 000 membres et inclut la plupart dessports.
En avril 1998, le quotidien Maariv effectue un sondage pour le 50e anniversairedu pays et élit Brody comme la personnalité qui a le plus influencé le sport enIsraël. En décembre 2008, celui qui aspire désormais à siéger à la Knesset seprésente aux primaires du Likoud, sans atteindre son but politique.
Finalement, deux ans plus tard, Binyamin Netanyahau va lui offrir un poste :Ambassadeur de bonne volonté.
Pour Brody, la proposition tombe à point : « J’avais la soixantaine et j’avaisvendu ma compagnie d’assurance.
J’étais prêt à partir en tournée et jouer ce rôle à plein temps. » En fait,Brody voulait être « le représentant du Premier ministre auprès du peuple juif», mais cette fonction n’existait pas, il a donc endossé l’habit du diplomate.
Certes, il ne perçoit pas de salaire, mais le gouvernement assume ses dépenses.Le ministère des Affaires étrangères organise ses visites à l’étranger qui sefont pour la plupart du temps aux Etats-Unis et parfois au Canada.
Quand le sport adoucit les moeurs 
Sa mission consiste à faire évoluer l’imageinternationale d’Israël. Il voyage dans tous les Etats-Unis, s’adresse à desaudiences juives et non-juives pour souligner les succès d’Israël dans lesport, comme dans les autres domaines. Ses déplacements durent une dizaine dejours durant lesquels il prend la parole de trois à quatre fois par jour. Ilattire parfois jusqu’à un millier de personnes.
Il arrive que des Arabes constituent un tiers de son public.
Brody n’en est pas étonné, comme il le précise : « Je ne fais pas de propagandeet ne parle pas du conflit israélo-arabe.
Je suis devant vous uniquement comme un joueur juif des All-American. » Ilparle principalement de sa propre expérience, sa venue en Israël, sesaccomplissements, et son influence sur le basketball israélien. Comme lamusique, le sport peut adoucir les moeurs. Parler de sa vie et de sa carrièrelui permet d’éviter les questions hostiles. Si des manifestants anti-israéliensse trouvent parfois à l’extérieur de la salle de conférence, il n’a jamais étépris à parti.
Il arrive qu’on lui demande pourquoi Israël pratique l’apartheid. Brody répondavec l’agilité d’un champion : « Après mes explications, ils saisissent qu’iln’en est rien. J’ai été élevé aux Etats-Unis dans les années soixante et jesais ce qu’est la ségrégation.
En Israël, il n’y a pas de toilettes séparées ou des lois différentes pour lesArabes et les Juifs. Nous sommes une société démocratique. Tout le monde peutse présenter à la Knesset. » Quand on lui a demandé s’il aimerait devenirconsul israélien aux Etats-Unis, il décline : « Je n’ai pas fait mon aliya pourdevenir un consul établi à l’étranger. J’aime vivre en Israël.
C’est un pays où vous pouvez faire des tas de choses et en plus le soleil ybrille huit mois sur douze. Le Hamas et le Hezbollah ne sont pas pires que latempête Sandy, les tremblements de terre ou les tsunamis. »