Le monde de Némo... dans l’Aravah

Quand la zone la plus aride du pays se transforme en oasis florissante

fleurs (photo credit: Sharon Udasin)
fleurs
(photo credit: Sharon Udasin)
Un soleil vif réchauffe les joues, même par un petit matin d’hiver. Au milieu de la vallée de l’Aravah, des poivrons doux poussent à perte de vue, aux côtés de rangées de fleurs luxuriantes, destinées au marché européen. Des poissons clowns, oranges et blancs, nagent quant à eux dans de larges bassins d’eau salée. “L’idée c’est de faire l’impossible”, s’amuse Ossi Winter, coordinatrice du tourisme de la station de recherche Yaïr pour le développement du Centre et du Nord de l’Aravah, à proximité de Hatzeva.
Financé conjointement par le KKL (Keren Kayemet LeIsraël ou Fonds national juif) et le gouvernement, l’endroit s’étend sur quatre hectares dédiés à l’agriculture. Sur place, des experts expérimentent de nouveaux mécanismes pour améliorer la production de plantes comestibles et d’agréments, dans des conditions désertiques extrêmes.
Un nouveau centre de découverte pour visiteurs devrait ouvrir ses portes sur le site, en octobre prochain. Il proposera un film de onze minutes sur le travail effectué, ainsi qu’un magasin de souvenirs, un restaurant et un office du tourisme, indique Winter.
Du sable, mais pas de terres arables
 Si le désert fleurit aujourd’hui, explique-t-elle, il n’en a pas toujours été ainsi. Au début des années 1950, une délégation d’experts américains de passage avait tout simplement estimé la zone inhabitable. “Pourtant, quelques années plus tard à peine, la première localité était fondée : Ein Yahav !” Winter vit elle-même à Tzoukim, l’une des implantations les plus récentes de l’Aravah, à quelques kilomètres au sud de la station Yair. Depuis sa maison, elle peut voir jusqu’à Petra. “J’ai les plus beaux levers de soleil qu’on puisse imaginer”, s’extasie-t-elle. “Je ne suis toujours pas reliée au réseau électrique national, mais cela devrait venir d’ici quelques semaines.”
La région de l’Aravah compte quelque 3 000 habitants, répartis en sept villages, qui ne sont connectés à l’eau courante qu’à travers l’accès à 50 puits. Pour faire face à ces défis, chaque communauté est désormais dotée de son propre système de dessalement des eaux. La majorité des plantes cultivées dans les fermes des environs et dans la station Yair peuvent toutefois survivre avec de l’eau semi-salée, à l’exception des fraises et de certaines fleurs.
A côté des problèmes hydriques, l’obtention de terres arables est particulièrement ardue, puisque le sol doit être recouvert d’une couche de terre ou de sable arable d’au moins 30 centimètres pour pouvoir être fertile, explique la coordinatrice touristique. Et c’est ce manque de terres cultivables qui empêche de nombreuses familles de venir s’installer dans la région : Israël manque de réserves de sables arables et l’achat aux Jordaniens reste quasiment impossible.
“Nous essayons de faire en sorte que la prochaine génération puisse survivre aussi, en termes d’accès à l’eau et d’utilisation des sols”, explique-t-elle. “Trois mille personnes ne suffisent pas à développer l’Aravah. Nous devons grandir pour atteindre 10 000 habitants.”
Poivrons en tous genres et melons carrés Si les fleurs bourgeonnent toujours dans les fermes alentours, elles sont moins nombreuses que de par le passé, quand l’Aravah représentait 10 % des exportations horticoles du pays, essentiellement à destination de l’Europe.
Aujourd’hui, les fleurs ne couvrent plus que 3 % des champs de la région. En cause, une préférence croissante du marché européen pour les fleurs en pot, l’émergence de concurrents, au Kenya et en Ethiopie, et les besoins en main d’oeuvre des spécialités israéliennes comme le lisianthus.
D’autant plus que le gouvernement limite progressivement les visas de travail accordés aux migrants asiatiques, notamment thaïlandais, insiste Eilon Gadiel, directeur de la Recherche et Développement de l’Aravah.
Avec 70 % des terres, la culture la plus importante est désormais celle de plusieurs variétés de poivrons doux, notamment dans sa variété orange.
Sous serres, des tomates de toutes formes et toutes tailles, sur des plans, peuvent monter jusqu’à 20 mètres et doivent être soutenues par des treillis ; autre tâche fortement demandeuse de bras. Plus loin, courgettes, aubergines et melons en tous genres, voire des fruits et légumes rares, cultivés par un ou deux agriculteurs de la région, comme le physalis, une “cerise de terre” des régions tropicales. Sans parler des tests qui devraient permettre de développer des melons carrés comme il en existe déjà naturellement au Japon.
Plus généralement, le cycle de croissance des productions s’étend d’août à avril. Durant cet intervalle, un puceron prédateur se charge d’éliminer ses congénères en pondant ses oeufs sur leur dos. Un moyen de protéger les cultures, mis en place par les chercheurs, qui évite les pesticides.
La domination du poivron n’est pas forcément une bonne chose, se méfie Winter : “Si une bactérie inconnue apparaît au début de la saison, elle risque de ruiner toute la région. Nous essayons donc d’empêcher cette tendance à la monoculture.”
Les fraises constituent une alternative intéressante pour certains. Pourtant, leur besoin en eau douce les rend plus coûteuses à produire. Elles poussent dans des bacs en hauteur pour éviter certains insectes et maximiser l’utilisation de l’espace, dans un mélange de terre et d’écorces de noix de coco broyées. Mais les fraises sont particulièrement sensibles aux variations de température et d’humidité, ce qui rend leur succès dans le désert incertain.
Les poissons clowns du désert
Au-delà de la culture de fruits, légumes et fleurs, la région se remplit de poissons tropicaux, qui s’épanouissent bien sous de telles températures. Il n’y a pas moins de 18 fermes piscicoles dans la région, dont plusieurs fonctionnent à l’eau salée, explique Gadiel.
A l’origine, Yair Gouron, le fondateur de la station qui lui a donné son nom, avait suggéré aux chercheurs de se concentrer sur les poissons comestibles pour le marché national. Mais les expériences en la matière se sont révélées peu fructueuses pour des questions de coûts de production.
Ces dernières années pourtant, l’aquaculture ornementale a pris pied dans l’Aravah, avec le développement de larges bassins de poissons clowns popularisés par le film Le monde de Némo, parmi plusieurs espèces de poissons tropicaux.
Chatoyants de mille couleurs, ces poissons sont pour l’essentiel destinés à l’exportation vers l’Europe. Les acheteurs préfèrent en effet des poissons d’élevage aux poissons sauvages capturés au prix de la destruction de leur environnement naturel corallien. Une des clés du succès : les essais continus de croisements d’espèces, dont s’occupe Nitzan Reiss-Hevlin, chercheur en aquaculture. En parallèle, lui et ses collègues tentent de réduire les coûts de l’élevage pour accroître leur compétitivité. Ils sont ainsi parvenus à passer à un élevage en eau saumâtre naturelle, plutôt qu’un mélange d’eau désalinisée et d’eau de mer. “Et ça a marché ! Nous étions stupéfaits”, s’extasie Reiss-Hevlin. Elle ajoute pourtant : “Le problème en Israël, c’est que nous avons une faible quantité de variétés de poissons.” D’où l’importance des importations. Actuellement, le Zebrasoma flavescens, d’un jaune cuivré, est un grand succès commercial, issu d’une souche hawaïenne. Autre nouveau venu dans la région, le tétra Cardinal, un poisson d’eau douce avec un ventre rouge sombre et un dos bleu fluorescent, devrait pouvoir être commercialisé d’ici deux ans. Des progrès sont également envisageables en termes quantitatifs. “Nous avons une marge de progression par rapport aux économies d’échelle pour le transport”, précise Gadiel. “Nous pouvons faire des paquets plus grands. Non seulement les nouvelles méthodes d’élevage piscicoles préservent la santé, et la diversité des poissons sont une source de revenus conséquente pour la région ; mais elles peuvent convaincre des entrepreneurs de s’installer dans une Aravah qui a besoin d’un afflux de population pour se stabiliser. Et pour absorber plus de familles, nous devons accroître les opportunités que nous offrons.”