Où en est la paix?

20 ans après l’assassinat d’Itzhak Rabin, la société israélienne semble de moins en moins prête à accepter un Etat palestinien

L'ancien Premier ministre Itzhak Rabin (photo credit: REUTERS)
L'ancien Premier ministre Itzhak Rabin
(photo credit: REUTERS)
A l’été 1995, un sentiment de panique s’était emparé de la communauté sioniste religieuse. Mais ce n’était pas seulement en raison de la violente vague d’attentats meurtriers qui frappait le pays. Car il faut rappeler que plus de 100 Israéliens avaient été assassinés entre le jour où Itzhak Rabin et Yasser Arafat avaient signé les accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993, et la nuit où Rabin avait été abattu, deux ans et deux mois plus tard. Non, la peur qui agitait la droite était bien plus profonde encore que les questions de vie ou de mort immédiates. Cet affolement presque apocalyptique venait du fait qu’on parlait alors de la fin d’Israël en tant qu’Etat juif et indépendant.
A l’époque, le chef de l’opposition, Benjamin Netanyahou, avait furieusement dénoncé le processus d’Oslo. Il affirmait que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) était un groupe terroriste impénitent, prêt à utiliser les concessions israéliennes pour améliorer ses capacités offensives.
Ambiance messianique
L’angoisse était particulièrement tangible en Judée-Samarie. Là, les craintes des habitants des implantations de se retrouver bientôt expulsés de leurs domiciles n’étaient en rien comparables à leur peur de voir les concessions israéliennes dans la région saper toute revendication juive en Terre d’Israël. Plus que tout, ils redoutaient que le processus d’Oslo ne sape le rôle de l’Etat juif dans le processus messianique.
Certes, la plupart des leaders du courant sioniste religieux avaient rejeté l’idée qu’un retour sur la Terre d’Israël représentait l’espoir de l’arrivée du Messie. Mais au cours des années qui avaient suivi la guerre des Six Jours, cette tendance avait cédé la place à un autre sentiment : la « libération » de la Judée-Samarie et de Jérusalem-Est constituait un présage de la rédemption ultime. Depuis plus de 20 ans, le Goush Emounim messianique donnait ainsi le ton à la communauté sioniste religieuse, qui s’employait de façon passionnée et déterminée à « achever le travail préparatoire » pour l’arrivée du Messie, en investissant les collines de Judée-Samarie.
A gauche aussi, à l’été 1995, la passion messianique s’était invitée. Les 100 000 Israéliens venus s’entasser sur la place des Rois de Tel-Aviv pour un rassemblement pro-Oslo, en cette nuit fatidique du 4 novembre, s’attendaient à un avant-goût de rédemption : la paix allait d’abord être conclue avec les Palestiniens, puis suivraient la Syrie et le reste du monde arabe. Cette passion avait laissé de nombreux partisans d’Oslo en désaccord avec l’opposition de droite, mais surtout, peu soucieux des préoccupations de cette dernière. Pour le Premier ministre Itzhak Rabin, le ministre des Affaires étrangères Shimon Peres, le vice-ministre des Affaires étrangères Yossi Beilin, et bien d’autres, il était impossible d’envisager une opposition éclairée à Oslo. Les sceptiques, comme Netanyahou, qui mettaient en doute l’affirmation de Rabin selon laquelle « L’OLP… avait cessé de verser dans le terrorisme », étaient taxés d’alarmistes. Les opposants religieux au processus étaient présentés comme des « extrémistes ».
Le schisme
A l’occasion du deuxième anniversaire des accords d’Oslo, de profondes fissures avaient commencé à fragiliser le délicat tissu social d’une petite nation d’immigrants, qui ne comptait à l’époque que 5,5 millions d’habitants. Ceux qui se souviennent des féroces désaccords entre David Ben Gourion et Menahem Begin, son adversaire partisan de la ligne dure, peuvent aussi témoigner qu’Oslo n’était pas le premier sujet sur lequel Israéliens de droite et de gauche avaient échoué à s’écouter l’un l’autre. Mais là, le faible niveau du discours avait battu tous les records. La droite considérait Oslo comme rien de plus qu’une lâche capitulation à la terreur palestinienne. Une trahison envers la Terre d’Israël. Dans le camp de gauche, les adversaires du processus de paix étaient considérés comme d’aveugles messianistes qui préféraient la guerre éternelle à un règlement négocié.
Si pour tous les Israéliens, l’assassinat de leur Premier ministre, le 4 novembre 1995, a été un choc, le meurtre d’Itzhak Rabin a pris une dimension toute particulière pour le monde sioniste-religieux. Pour les adeptes d’Oslo, comme pour de nombreux Israéliens restés silencieux jusqu’alors, les balles de l’assassin Yigal Amir, un juif pratiquant, ont confirmé le sentiment que les sionistes religieux étaient non seulement des adversaires politiques, mais aussi des ennemis de l’Etat. De nombreux grands rabbins sionistes religieux – parmi eux, le fondateur du Goush Emounim, Yoel Bin-Noun, et le responsable de la Yeshiva de Har Etzion, Yehouda Amital – avaient appelé leur communauté à considérer l’assassinat de Rabin comme un signal d’alarme et préconisé une introspection collective. D’autres, cependant, comme le leader des implantations Hanan Porat, étaient restés sur la défensive, rejetant les accusations selon lesquelles le sionisme religieux était responsable du meurtre.
Quoi qu’il en soit, la diabolisation de la droite allait rapidement devenir la position par défaut de nombreux groupes de gauche. Une position restée en vigueur jusqu’à l’explosion de la seconde Intifada, en 2000.
Mémoire confisquée
« Pendant des années, je n’ai pas senti que j’avais ma place lors des commémorations annuelles de l’assassinat de Rabin », confie Yossi Klein Halevi, auteur, journaliste et spécialiste de la société israélienne. « Et cela parce que je ne voulais pas payer “un droit d’entrée”, en admettant que je n’aurais pas dû douter d’Oslo et en reconnaissant que Yasser Arafat était un partenaire pour la paix. Je ne pourrai jamais faire cela. J’ai donc toujours senti que je n’étais pas le bienvenu lors de ce rassemblement. »
C’est seulement en novembre 2001 qu’Halevi se donne enfin le droit de participer aux célébrations, un an après que le processus d’Oslo soit parti en fumée avec le déclenchement de la seconde Intifada, la pire vague de terreur qu’Israël n’ait jamais connue. Brusquement, les Israéliens avaient tourné le dos à la poursuite du processus, et la gauche était en lambeaux. « J’y suis allé pour la première fois », poursuit Halevi, « mais je n’en ai pas cru mes yeux. C’était comme si rien n’avait changé. Tous les intervenants – je ne me souviens même plus de leurs noms – ont parlé des “ennemis de la paix” et de la nécessité de poursuivre “dans la voie tracée par Rabin”, comme si rien n’avait changé au cours de l’année qui venait de s’écouler. Des autobus explosaient partout dans le pays, la gauche avait perdu toute crédibilité, mais eux continuaient comme si tout était comme avant », se souvient-il.
La chute de la gauche
Sur le plan politique, le 4 novembre a marqué le début d’une longue période de déclin pour la gauche. Mis à part un bref passage au pouvoir de 1999 à 2001, sous le leadership d’Ehoud Barak, depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin, les formations de gauche sont restées loin des instances dirigeantes. Les chefs de file du Parti travailliste et de Meretz se sont succédé sans trop s’éloigner des thèses des années 1990, ni présenter de nouvelles idées quant aux relations avec les Palestiniens.
« Je ne crois pas que quiconque, dans les rangs de la gauche, ait depuis repensé la solution à notre conflit avec les Palestiniens, même si peu d’espoir subsiste quant à la possibilité de parvenir à un accord », estime Yossi Beilin, l’un des architectes des accords d’Oslo. Mais il refuse d’admettre que le processus d’Oslo ait pu être une erreur, et que la violence palestinienne ait conduit une majorité des Israéliens à conclure que le processus de paix était la chronique d’une mort annoncée.
Au contraire, Beilin insiste : les juifs orthodoxes et les islamistes radicaux font équipe dans le cadre de ce qu’il qualifie de « partenariat ». Leur objectif commun : empêcher un accord permanent, faire que la droite mène une campagne de peur et de délégitimation.
Beilin n’est pas plus tendre avec l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, qui dit-il, « a discrédité » le processus d’Oslo. « Quand Barak a déclaré, à la suite de Camp David, qu’Arafat n’était pas un partenaire pour la paix, il a donné raison à la droite. Cette déclaration de la part d’un dirigeant de gauche, de la part du chef du camp de la paix israélien, a constitué le plus grand coup dur pour le processus de paix, depuis l’assassinat de Rabin », soutient Beilin.
A droite toute
Si la gauche a relativement peu évolué depuis 1995, on ne peut pas en dire autant de la droite. Sur les 20 années qui se sont écoulées depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin, Benjamin Netanyahou a tenu les rênes du pays pendant neuf ans. Mais son parti actuel est très différent de celui qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Presque toute la vieille garde du Likoud s’en est allée, se retirant de la vie publique, ou changeant de famille politique. A sa place, une nouvelle génération de députés – comme Danny Danon, Yariv Levin ou Miri Regev – a vu le jour, donné un nouveau ton, plus agressif, et un nouvel ordre du jour au parti. Jusqu’ici, Netanyahou a su garder la barre et contrecarrer les défis portés à son leadership, mais le « nouveau Likoud » se positionne clairement avec une stratégie de gouvernance différente par rapport aux générations précédentes.
« Bien sûr, il y a eu de nombreux changements en Israël depuis le meurtre de Rabin », note l’ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Moshé Arens, « mais je ne pense pas qu’ils soient liés à ce terrible événement. Le principal changement, c’est que le public israélien s’est déplacé vers le camp de la droite – pas à cause de l’assassinat, mais en raison des échecs des différents efforts de paix. » Et Arens de souligner plusieurs événements, dont les retraits unilatéraux d’Israël, du Liban et des implantations de Gaza, pour illustrer cette évolution de l’électorat. « Une majorité des Israéliens ont soutenu ces initiatives. Mais avec le recul, ces retraits se sont révélés être de graves erreurs. Idem pour les accords d’Oslo – à l’époque, ils avaient bénéficié d’un large soutien, mais nombreux sont les Israéliens qui reconnaissent désormais avoir changé d’avis.
« Cette réalité a donc poussé le Likoud à droite, mais aussi le Parti travailliste. Pensez à la dernière élection – le chef du Camp sioniste Itzhak Herzog s’est peu exprimé au sujet d’un Etat palestinien. Tout au long de sa campagne, il a préféré éviter la question, car, aujourd’hui, ce sujet constitue un piège politique. La plupart des Israéliens sont conscients du risque qu’entraînerait un Etat palestinien en matière de sécurité, et ils ne sont pas prêts à le prendre », conclut Arens.
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