Jibril Rajoub attend son heure

Quand il a quitté le commandement des Forces palestiniennes de Sécurité préventive de Cisjordanie on a cru que Jibril Rajoub, l’homme fort du Fatah, avait abandonné la politique pour le sport.

jibril (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Jibril Rajoub aura bientôt 60 ans. Ce membre du Comité central du Fatah qui dirige la Fédération palestinienne de Football est considéré comme l’un des personnages les plus puissants de l’Autorité palestinienne (AP). Invités à déjeuner dans sa grande maison de Ramallah, on nous informe que notre hôte a été retardé par une réunion, mais qu’il arrivera bientôt. Par curiosité, je demande si Abou Rami - c’est ainsi que tout le monde l’appelle ici - conduit lui-même sa voiture. L’un de ses collaborateurs me regarde d’un air étonné. “Abou Rami ne conduit pas”, me répond-il, “il a des chauffeurs. C’est l’homme le plus puissant des Territoires, après le président Abou Mazen”, ajoute-t-il, au cas où je n’aurais pas bien compris, faisant allusion au chef de l’AP Mahmoud Abbas qu’il appelle par son nom de guerre.
Jibril Rajoub finit par arriver. Il n’a guère changé depuis le temps où il était l’un des chefs de sécurité les plus redoutés de Cisjordanie. Cet homme chauve solidement charpenté respire l’autorité. Il se lance aussitôt dans une discussion politique tous azimuts. S’il est actuellement le numéro un du sport palestinien, son esprit est indubitablement tourné vers des enjeux plus vastes que la prochaine victoire sur un terrain de football. Il reproche au gouvernement israélien de ne pas avoir le courage de reprendre les négociations avec les Palestiniens.
“Je connais les Israéliens et je connais leurs dirigeants. J’ai passé des heures en leur compagnie. Le problème, ce n’est pas que le Premier ministre Netanyahou et son gouvernement ne comprennent pas à quel point la situation est dramatique. Ils le savent parfaitement. Non, le problème, c’est qu’ils ont peur de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour reprendre le dialogue avec Abou Mazen. Itzhak Rabin, lui, était courageux et il ne craignait pas de prendre les bonnes décisions. Netanyahou ne lui ressemble pas.”
Jibril Rajoub reconnaît cependant qu’Israël n’est pas seul responsable de l’impasse actuelle des pourparlers. “Nous aussi, nous avons commis des erreurs”, affirme-t-il.
C’est à travers une loyauté sans faille envers le chef Abbas et sa vision politique que Jibril Rajoub a bâti son pouvoir et il continue visiblement aujourd’hui à participer au débat politique au sein du gouvernement.
Les élections présidentielles et législatives palestiniennes se tiendront cette année, même si elles risquent d’être retardées. Mahmoud Abbas n’a cessé d’annoncer qu’il ne se représenterait pas, mais à l’heure qu’il est, le Fatah n’a pas d’autre candidat. Alors, qui sait ? Lorsque la date des élections sera enfin fixée, tout laisse à penser que le charismatique Jibril Rajoub entrera en lice.
“Une colère qui vient du Ciel”
C’est au lendemain de la guerre des Six-Jours que Jibril Rajoub, né à Dura, près de Hébron, rejoint le Fatah. Il n’a pas encore 17 ans lorsqu’il lance une grenade sur un camion de Tsahal. Il est alors arrêté et condamné à la prison à perpétuité. Dans les geôles israéliennes, il apprend l’hébreu et l’anglais, qu’il parlera vite couramment, et devient, au fil des ans, un leader pour les autres détenus.
En 1985, il est relâché dans le cadre d’un échange de prisonniers. On le nomme alors responsable des employés de l’Orient House, à Jérusalem-Est, quartier général officieux de l’OLP en Cisjordanie. Faiçal al-Husseini, directeur de l’Orient House, remarque vite ce jeune homme agressif et beau parleur de 32 ans. “C’est une colère qui vient du Ciel”, commente-t-il. Peu après, Jibril Rajoub épouse la secrétaire d’Al-Husseini, fille d’une grande famille de Jérusalem.
Lorsqu’en 1987, éclate la première Intifada, Jibril Rajoub en est l’un des organisateurs. Arrêté en 1988, puis expulsé, il rejoint Yasser Arafat en Tunisie. Ses relations avec le leader de l’OLP connaissent des hauts et des bas. A sa sortie de prison, Jibril Rajoub est devenu en effet plus modéré et a commencé à prôner le compromis avec Israël.
En février 1994, après la signature des Accords d’Oslo et avant le départ d’Arafat pour Israël, il est en Tunisie quand il apprend l’assassinat par le médecin juif Barouch Goldstein de 29 fidèles musulmans dans le caveau des Patriarches, à Hébron.
Arafat et la majorité de ses collaborateurs sont aussitôt tentés d’annuler les Accords d’Oslo. Quand on annonce à Arafat que le Premier ministre Itzhak Rabin veut s’entretenir avec lui au téléphone, ses proches le conjurent de ne pas répondre. Ce jour-là, c’est Jibril Rajoub qui parvient à le convaincre de prendre le combiné pour parler à Rabin et accepter ses excuses et ses condoléances.
Plusieurs mois plus tard, l’AP s’est installée à Ramallah et Jibril Rajoub est devenu responsable de la sécurité intérieure de Cisjordanie, une position qui lui confère un pouvoir considérable. On le considère comme un fidèle d’Arafat, mais les deux hommes sont souvent en désaccord.
Vers une lutte populaire non armée ?
Après la mort d’Arafat, Jibril Rajoub termine ses études sur Israël à l’université Al-Qods à Jérusalem. En 2009, il est nommé secrétaire général adjoint du très influent Comité central du Fatah. Là encore, il s’agit d’un poste important, d’autant que le secrétaire général qu’il est censé seconder, un homme âgé du nom de Abou-Maher Ghneim, vit en Tunisie et ne prend pas son propre rôle très à coeur.
Quand on sollicite Jibril Rajoub pour diriger la Fédération palestinienne de Football, il accepte aussitôt : il a compris l’intérêt de cette organisation, qui regroupe des milliers de joueurs qui apprécient ce qu’il fait pour eux. Il trouve des fonds pour financer les clubs, multiplie les terrains et organise de nombreux championnats locaux et internationaux.
Jibril Rajoub passe pour l’un des leaders du Fatah les plus proches du Hamas, où son frère occupe un poste-clé. Selon lui, le Mouvement de Résistance islamique s’est lancé dans des changements de stratégie fondamentaux, posant des difficultés nouvelles, à la fois pour Israël et pour ses rivaux de longue date au Fatah.
L’homme se déclare optimiste sur les chances de réconciliation entre l’AP à Ramallah et le Hamas à Gaza. Une réconciliation qui, dit-il, ne peut qu’accroître les possibilités de faire avancer le processus de paix. Pour lui, le Hamas est maintenant prêt à accepter le principe de deux Etats, même s’il se refuse toujours à une reconnaissance officielle d’Israël.
A l’entendre, le Hamas serait également disposé à remplacer, dans son intitulé, les mots “lutte armée” par “lutte populaire”.
“Les pires erreurs que nous ayons commises”, expliquet- il, “ont été l’utilisation d’armes à feu et les attentats sanglants pendant la seconde Intifada. Cela nous a causé un tort considérable. Abou Mazen, lui, Démanteler les milices du Hamas Quand Mahmoud Abbas discute avec Khaled Mashaal, du Hamas, ce dernier se dit prêt à accepter le principe d’une lutte populaire non violente, révèle Jibril Rajoub. Ce serait la raison de son conflit actuel avec ses opposants au Hamas.
“Aujourd’hui, le Hamas s’est lancé sur la voie d’une lutte populaire non armée”, affirme-t-il. “Nous le voyons bien à travers les annonces publiques de son dirigeant Khaled Mashaal, qui est tombé d’accord avec Abou Mazen. Je suis convaincu que nous allons continuer sur ce chemin-là.”
Il y aurait déjà, selon Jibril Rajoub, un accord de principe entre Fatah et Hamas pour les prochaines élections générales, ainsi que pour l’interdiction des armes à feu en dehors du contrôle du gouvernement de l’AP. Un principe que les Palestiniens appellent : “Une arme, une balle.” Jibril Rajoub est convaincu que le Hamas n’aura pas le choix : il devra démanteler ses milices. S’il doit y avoir réconciliation totale, il n’existe aucune possibilité que le Hamas, en tant que mouvement politique, ait une armée privée.
D’autres problèmes restent encore à régler : cesser les incitations à la haine contre Israël et s’occuper des familles des victimes de la violence du Fatah et du Hamas.
Jibril Rajoub reconnaît que les médias palestiniens doivent mettre la pédale douce dans leurs pamphlets contre Israël, mais il dénonce ce qu’il appelle “l’incitation institutionnelle à la haine” par Israël contre les Palestiniens.
Par exemple, explique-t-il, pourquoi baptiser le boulevard périphérique de Jericho du nom du ministre israélien assassiné Rehavam Zeevi ? “Vous pouvez appeler toutes les rues que vous voulez du nom de Zeevi, qui prônait l’expulsion des Arabes d’Israël. A Tel-Aviv ou n’importe où dans le pays. Alors pourquoi en choisir une tout près de nous, à Jéricho ? Pour moi, c’est de la provocation et de l’incitation à la haine.”