Un crayon pour lutter

Des dessins qui parlent, des caricatures qui dénoncent, des images qui font sourire ou effraient...

carica (photo credit: Benjamin Huguet)
carica
(photo credit: Benjamin Huguet)
La plume de Michel Kichka peut faire des ravages ‘Chevalier des Arts et des Lettres, promotion 2011.”
Le mois dernier, le dessinateur Michel Kichka s’est vu remettre une décoration hautement symbolique, par l’ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot, au nom du ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand. Le point d’orgue d’un parcours haut en couleurs.
“Je suis né avec un crayon dans la main”, affirme le caricaturiste. “Comme tous les dessinateurs, je dessine depuis toujours.
C’est ce qu’ils disent tous... Mais c’est vrai !”, plaisante-t-il.
L’artiste a hérité de sa Belgique natale d’un amour pour le dessin qu’il revendique.
“J’ai eu la chance de grandir et de baigner dans la culture belge. A l’époque, c’était l’âge d’or de la BD franco-belge. J’étais un peu trop jeune pour regarder les dessins politiques, mais cela reste une introduction à ce vaste domaine qu’est le dessin en général.”
Né à Liège en 1954, Kichka grandit à coups d’albums illustrés. D’Astérix à Tintin, en passant par Pilote, il développe une passion pour le monde crayonné. Et se tourne naturellement vers l’univers artistique au moment de faire ses choix professionnels.
Un sionisme assumé Fils d’un survivant de la Shoah, son identité juive se construit sur les récits de son père. Dès l’âge de 11 ans, Kichka rejoint les rangs de Hashomer Hatsaïr. Il apprend à connaître et à aimer l’Etat hébreu.
S’imprègne de l’idéologie socialiste du kibboutz et décide de faire son aliya après ses études. “Je sentais mes racines ici”, insiste-t-il.
En 1974, lorsqu’il boucle ses valises, il part sans amertume. “J’aimais beaucoup la Belgique”, rassure-t-il. “Si je n’étais pas né là-bas je ne dessinerai pas comme je dessine aujourd’hui. Lorsque l’on m’interroge sur mon départ, je précise toujours : ‘Je n’ai pas quitté la Belgique, j’ai choisi Israël’”. Un sionisme qu’il qualifie de “positif” : nulle question de fuite, simplement une décision tournée vers l’avenir, et assumée.
S’il change de pays et d’horizons, il ne renonce pas à ses ambitions colorées. Il s’inscrit alors à l’Ecole des Beaux-arts de Jérusalem, Bezalel. “Le chemin le plus court que j’ai trouvé, c’est de suivre des cours”, ponctue-t-il. Kichka s’applique : graphisme, bandes dessinées, illustration, il assimile toutes les méthodes et le savoir-faire nécessaire pour la suite.
Fin des années 1970, sa carrière démarre.
Les premiers temps, il se contente de missions free-lance et d’illustrations pour livres d’enfants. Puis se laisse happer par les dessins de presse. A l’époque, rappelle-t-il, les journaux étaient bien plus nombreux qu’à l’heure actuelle. Une situation qui lui a permis d’exprimer son talent à différents niveaux et de profiter de son statut d’indépendant.
L’année 1997 marque un tournant dans son parcours. La chaîne de télévision 2 lance un nouveau concept : un dessinateur en direct. Le temps de l’émission, Kichka croque un sujet d’actualité et présente son oeuvre à la fin du programme.
Un challenge d’une nouvelle envergure qui l’attire. Dans le dessin de presse en général, et en Israël en particulier, il faut maîtriser les ressorts de l’actualité et les enjeux des conflits pour se prononcer. La mission nécessite de la finesse d’esprit, des connaissances sociales, politiques et culturelles. Et un franc coup de crayon...
Après plus de 20 ans en Israël, le dessinateur se sentait suffisamment intégré pour se mesurer à ce nouveau challenge.
“Irrévérence et provocation” : le nerf du dessin de presse L’aventure plaît à Kichka. “J’ai aimé ce regard déjanté, critique, sur la vie et le quotidien”, confie-t-il, même s’il n’est pas toujours évident de traiter de l’actualité.
“J’étais sur le plateau, par exemple, au moment de l’Intifada. Et l’Intifada, ce n’est pas mai 68 !” Le dessin de presse, c’est autre chose que le dessin en général, expliquet- il. “Il se passe tellement d’événements forts en Israël, et dans le monde”, souligne Kichka. “Ce plateau de télévision, c’était un privilège. Je pouvais exprimer mes idées. L’objectif, ce n’est pas de faire rire, c’est de livrer son point de vue.
Et si cela peut faire sourire, c’est bien.
Enerver : encore mieux.”
Le monde du dessin traverse également les aléas du millénaire naissant. Il est secoué par les événements du 11 septembre 2001.
“Comment dessine-t-on ce genre de choses ?”, s’est-on alors interrogé. Peu après, éclate l’affaire des caricatures de Mahomet. Difficile de trouver un équilibre, semble-til.En parallèle, indique Kichka, un concours de dessin négationniste est organisé à Téhéran. Le monde est en mouvement, qui donne du fil à retordre au dessin de presse.“Attiser la haine, c’est la solution de facilité.”La difficulté réside plutôt dans la volonté de rompre cette chaîne malfaisante.
En 2006, Plantu fonde une association en ce sens. Le premier séminaire de “Cartooning for peace” a lieu aux Nations unies, à New York, sous le parrainage de Kofi Annan. Le thème : “Désapprendre l’intolérance”.
Sur place, douze dessinateurs de toutes origines se retrouvent : ils sont américains, européen, arabe, israélien, japonais et africain. Les artistes arrivent tous à une même conclusion : les religions se radicalisent dans le monde entier. Les extrémistes cherchent à s’imposer. Et la communication est la clé pour désamorcer les tensions.
“Construisons des ponts avec nos crayons”, appelle Plantu lors du congrès.“Les artistes ont le pouvoir de fédérer”, complète Kichka, largement impliqué dans le projet. “Parmi eux, on trouve les personnages les plus ouverts !” Désormais enseignant à l’école des Beauxarts de Jérusalem, l’illustrateur reste un profond humaniste. Sa seule arme pour agir : un crayon de papier. Le dessin de presse, s’il peut être grinçant, revêt une fonction thérapeutique. Surtout dans une région en conflit, insiste-t-il.
Le fait est que son travail plaît. Jusqu’aux hautes sphères du gouvernement français qui décide de l’élever au rang de Chevalier des Arts et des Lettres. “Une très grande surprise”, commente Kichka dont les yeux brillent à la simple évocation de la soirée du 8 novembre. “Je ne m’y attendais pas du tout... La nouvelle m’est tombé dessus comme la foudre !” L’honneur est grand, et le dessinateur en est conscient. “C’est une grande émotion.
Parce que c’est une décoration que vous ne demandez pas : on estime que vous la méritez et on vous la remet. C’est beaucoup de fierté, et quelque part, davantage de responsabilités.”
La pression est forte pour Michel Kichka, déjà investi dans un nouveau projet. Un roman graphique autobiographique verra le jour en mars prochain, aux éditions Dargaud.