Dans l’ombre de Gaza, l’état islamique progresse

Les médias du monde entier se concentrent actuellement sur la guerre à Gaza,alors au'qu'en Irak et en Syrie, un Etat islamique est en marche...

Partisan islamiste à Raqqa en Syrie (photo credit: REUTERS)
Partisan islamiste à Raqqa en Syrie
(photo credit: REUTERS)
Ces dernières semaines, loin de l’attention des médias, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’a cessé de combattre en vue d’étendre ses frontières. Et tout porte à croire que, d’une manière ou d’une autre, il ait réussi à se procurer des armes chimiques, qu’il aurait déjà utilisées au moins une fois, lors d’intenses combats contre la milice kurde YPG dans le Nord de la Syrie. L’organisation a alors remporté un succès emblématique contre le régime dans les provinces de Raqqa et de Hasakeh, s’emparant par la même occasion de la base de la Division 17 et exécutant avec sauvagerie plus de 200 soldats des forces gouvernementales.
On sait par ailleurs, preuves à l’appui, que des Palestiniens, venus de Gaza pour la plupart, combattent en Syrie sous la bannière de l’EIIL au sein d’une unité organisée, et qu’au moins un groupe lié à celui-ci opère dans le Nord du Sinaï et dans la bande de Gaza. Il s’agit d’une entité islamique vigoureuse, brutale et bien entraînée, mais aux capacités néanmoins limitées.
Regardons-y de plus près : après la prise éclair de Mossoul, le 10 juin dernier, beaucoup d’observateurs pensaient voir les djihadistes poursuivre leur marche sur l’Irak, et peut-être même chercher à gagner la capitale, Bagdad. Ce n’est pas ce qui s’est passé. L’EIIL s’est employé à imposer sa version brutale de la Charia à Mossoul, mais n’a rien tenté de sérieux pour pousser plus à l’Est. Il s’est contenté d’intégrer à ses bases militaires l’armement dont il s’est emparé à Mossoul et concentre actuellement tous ses efforts pour s’étendre vers l’Ouest et le Nord.
Le premier assaut de l’EIIL avec ses nouveaux armements lourds a été lancé contre l’enclave kurde de Kobani (Ayn al-Arab), à la frontière syro-turque. Ce canton kurde autonome empiète sur les zones contrôlées par l’EIIL et empêche celui-ci d’utiliser la route directe qui mène à Raqqa, à Jaraboulous et à Manbij, trois villes dont il a pris le contrôle, elles aussi à la frontière turque.
Sans blessures ni saignements
Voilà un bon moment que l’EIIL cherche à détruire cette enclave. Le 2 juillet dernier, plusieurs offensives ont ainsi été lancées contre le canton de Kobani depuis l’Ouest et l’Est à bord de Humvees de fabrication américaine saisis à Mossoul. Selon le ministre de la Santé à Kobani, Nissan Ahmed, l’EIIL aurait utilisé un agent chimique qui a tué trois combattants kurdes ; une équipe médicale déléguée par les autorités kurdes a été formelle : « Les brûlures et les taches blanches découvertes sur les cadavres indiquent l’utilisation de substances chimiques, qui a entraîné la mort sans blessures ni saignements ». Perwer Janfrosh, combattant kurde local, a expliqué que l’attaque en question avait eu lieu le 12 juillet dans le village d’Avdiko, dans l’Est de Kobani.
Ces déclarations doivent encore être confirmées par des organisations médicales internationales officielles. Mais un article du site d’information libanais en ligne Almodon (en arabe) cite un habitant de Raqqa qui affirme que l’EIIL a transporté des armes chimiques venues de l’usine d’armements chimiques d’al-Muthanna, au Nord-Ouest de Bagdad, tombée entre les mains des djihadistes. Ce témoin souligne que, parmi les substances transportées, figure le chlorure de cyanogène, agent susceptible d’être à l’origine de la mort des trois combattants constatée par les médecins kurdes.
Toutefois, malgré l’introduction dans les combats des armements saisis, l’importante mobilisation kurde a fait échouer l’offensive de l’EIIL sur Kobani, et cette enclave reste pour l’heure intacte.
L’EIIL a alors concentré son attention sur les forces du président syrien Bashar el-Assad. Le 24 juillet, une attaque a été lancée contre les positions du régime dans les provinces de Raqqa et d’Hasakeh, qui bordent la frontière occidentale de « l’Etat islamique » et sont toutes proches d’Alep.
Dans la province d’Hasakeh
Selon l’observatoire syrien des droits de l’homme, ces attaques ont fait gagner du terrain à l’EIIL et ont coûté cher en vies humaines au régime. La base de la Division 17 est tombée le 25 juillet.
La majorité des soldats présents ont fui vers la base toute proche de la Brigade 23, mais 200 hommes n’ont pu y parvenir. L’Observatoire rapporte qu’au moins 50 d’entre eux ont été décapités par les forces de l’EIIL. On a pu voir sur internet des vidéos montrant des têtes disposées sur une barrière dans la ville de Raqqa. Selon la voix off qui accompagne les images, ce sont les têtes de soldats de la garnison de la Division 17. Ces victoires de l’EIIL sur les forces du régime reflètent le désir de l’organisation d’éradiquer les hommes d’Assad de la vallée de l’Euphrate et d’étendre peu à peu sa zone de contrôle.
L’EIIL cherche désormais à imposer sa présence dans la principale enclave kurde qu’est la province d’Hasakeh. Et le refus du régime de déployer des efforts particuliers pour protéger cette région reflète sans doute quelles sont les priorités de Bashar el-Assad.
Ce dernier peut se permettre de céder des positions isolées dans des régions situées tout à fait au nord et à l’est de la Syrie, sans que cela mette sa survie en danger. Pour le moment, l’EIIL ne menace en rien sa mainmise sur le sud et l’ouest du pays.
Une marionnette d’Assad ou de l’Iran ?
Pour ce qui est des liens de l’EIIL avec Gaza, un contingent aisément identifiable de combattants originaires de l’enclave palestinienne, nommé Brigade du Cheikh Abou al-Nour al-Maqdisi, combat actuellement avec l’EIIL dans le nord de la Syrie. Il porte le nom d’un cheikh salafiste bien connu du sud de Gaza, tué dans une révolte avortée contre le Hamas en 2009.
L’EIIL a également une « franchise » identifiable à l’intérieur de Gaza et dans le nord du Sinaï. C’est ce qu’affirme un célèbre spécialiste du phénomène EIIL basé en Grande-Bretagne, Jawad al-Tamimi. Le nom de ce groupe satellite de l’EIIL est « Ansar al-Dawla al-Islamiya fi Bayt al-Maqdis ».
Il s’agit pour le moment d’un phénomène relativement mineur, mais Tamimi suggère que la présence du contingent de Gazaouites au Nord de la Syrie indique qu’il existe de réels contacts avec l’EIIL, et qu’il ne s’agit pas seulement d’admirateurs soucieux de récupérer le symbole du djihadisme victorieux qu’incarne l’EIIL.
Ainsi l’EIIL continue-t-il à progresser et à choquer par sa stupéfiante brutalité. A l’heure actuelle, il concentre toute son énergie sur la Syrie. Ses forces ont subi des revers contre les combattants déterminés et bien entraînés de l’YPG, qui défendent une enclave que les Kurdes considèrent comme vitale pour leur projet de Kurdistan occidental (« Rojava »).
L’EIIL a en revanche remporté de grandes victoires contre les forces du régime, ce qui a suscité un grand point d’interrogation : certains partisans et porte-parole des rebelles non EIIL soupçonnent le mouvement de n’être, en réalité, qu’une marionnette d’Assad ou de l’Iran.
Et ces derniers temps, par ailleurs, on a pu repérer quelques signes d’une récente apparition du mouvement djihadiste sur le front contre Israël.
Les médias internationaux, qui concentrent actuellement toute leur attention sur la guerre à Gaza, seraient bien avisés de pas laisser dans l’ombre une évolution qui pourrait se révéler beaucoup plus significative pour la région. Car l’Etat islamique en Irak et au Levant est en marche… 
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