Revivre l’histoire à Zikhron Moshé

Ce quartier de Jérusalem a hébergé des personnalités influentes. Visite guidée

Revivre l’histoire à Zikhron Moshé (photo credit: DR)
Revivre l’histoire à Zikhron Moshé
(photo credit: DR)
Zikhron Moshé est un quartier résidentiel fondé en 1906 par une population religieuse libérale, qui se voulait à la fois intégrée et éclairée. Si quelques édifices historiques demeurent intacts, l’atmosphère et les habitants ont totalement changé : aujourd’hui, la plupart des résidents sont ultraorthodoxes.
L’itinéraire commence au coin des rues Haneviim et Yeshayahou. La première artère sur votre droite est la rue Prag, nommée ainsi en l’honneur d’un rabbin hors du commun, très actif dans la communauté et fondateur d’une école célèbre. Né en Europe centrale, le rabbin Itzhak Prag Oplatka s’habillait et priait comme un Séfarade malgré ses origines ashkénazes. Son école, ouverte en 1866 dans la Vieille Ville, accueillait aussi bien des élèves ashkénazes que séfarades. Les plus pauvres d’entre eux recevaient repas gratuits et vêtements. Le rabbin et les différents professeurs y enseignaient les matières religieuses, mais aussi séculières, pour que les élèves soient en mesure de subvenir à leurs besoins par la suite. Le rabbin David Ben Shimon, figure pionnière de l’immigration marocaine au milieu du XIXe siècle, a aidé à organiser l’école et y a également enseigné.
Malheureusement, la communauté religieuse ashkénaze s’est vivement opposée à cette école : le rabbin Oplatka a même subi des attaques. Personne ne pensait alors que le projet survivrait. Le bâtiment de l’école existe toujours aujourd’hui.
Perpendiculaire à Yeshayahou, à droite : la rue Sima Blilius, philanthrope de Calcutta du début du XXe siècle. Nous avons encore l’eau à la bouche en passant devant le commerce où Michel Cohen vendait naguère de délicieux légumes farcis. Au numéro 12 de la rue se trouvait la maison du docteur Aharon Yossef Yarmens.
Yarmens, le bon docteur
Né en 1859 à Vilna en Lituanie, Yarmens fait de brillantes études. Il passe beaucoup de temps avec un banquier nommé Moshé Vitkind qui encourageait les jeunes gens prometteurs. Yarmens sert ensuite un an dans l’armée russe, avant d’étudier la médecine à Berlin, et de se fiancer à l’une des filles de Vitkind. Le jeune couple envisage d’émigrer en Israël juste après son mariage, mais la famille s’y oppose, les jugeant tous deux trop instables financièrement. Ils se marient et déménagent néanmoins en Terre promise en 1886.
Peu après, Yarmens part à Istanbul où il séjourne une année. C’est là qu’il rencontre Moshé Wallach, fondateur de l’hôpital Shaarei Tsedek. Ils reviennent tous deux en Israël en 1890. Yarmens accepte un poste de médecin à Hébron, où il s’est installé avec sa femme et leur petite fille. Il se fait apprécier de tous, des dirigeants turcs aux Arabes des villages voisins. Sa femme est infirmière et se rend particulièrement utile auprès des femmes arabes en difficulté.
Une fois par an, les quelques médecins juifs du pays se rencontrent à Hébron, dans la maison de Yarmens, afin de discuter de la santé publique et de problèmes médicaux. Certains commerçants de renom, mais aussi des membres de l’intelligentsia du pays font également le déplacement.
En 1905, sous la pression de sa femme, Yarmens déménage à Jérusalem et fonde avec quelques autres le quartier de Zikhron Moshé. Il devient extrêmement actif au sein de la communauté, travaillant dans une dizaine d’établissements, hôpitaux juifs et instituts de charité. Il meurt en 1923.
Sur la gauche, la rue Press. Le bâtiment à l’angle, au numéro 9, date de 1909. Son propriétaire n’était autre que le célèbre professeur et historien Yeshayahou Press, qui a participé à la fondation du quartier. Il est également l’auteur de L’encyclopédie de la Terre d’Israël, et à l’origine de l’Union des enseignants d’Israël et de la Société hébraïque pour la recherche sur la terre d’Israël et ses antiquités.
David Yellin, disciple de Ben Yehouda
David Yellin, né à Jérusalem, a été l’un des premiers soutiens d’Eliezer Ben Yehouda dans son combat pour redonner vie à l’hébreu ; il résidait au numéro 2 de la rue Press. Il était un important membre du séminaire des enseignants, dont il a pourtant démissionné en 1914 suite à une dispute à propos de la langue choisie pour dispenser les cours. Alors qu’ils se déroulaient en allemand, Yellin insiste pour un enseignement en hébreu. Quelques années plus tard, il devient le directeur de ce même séminaire qui porte son nom aujourd’hui. Le mot « Levanon » gravé au-dessus de la porte rappelle qu’en 1878 Yellin a écrit des articles pour Halevanon, le premier journal en hébreu.
La maison de Yellin se trouve en face de l’école Laemel, dont il a été le directeur adjoint. L’établissement, situé au numéro 13 de la rue Yeshayahou, constitue la première installation d’éducation moderne du pays, fondée en 1853 en hommage à Simon Von Laemel, noble juif autrichien. Le bâtiment actuel a été construit en 1903, bien avant que les premières maisons du quartier n’apparaissent. L’école Laemel, bâtie sur une colline, offre une vue fabuleuse sur le mont Scopus, le mont des Oliviers, la nouvelle ville et les vallées de Judée. Pensée par l’architecte Théoride Sandel issu de la colonie allemande de Jérusalem, le bâtiment est l’un des plus beaux édifices de la ville. On peut remarquer l’étoile de David sous les fenêtres, et une horloge où les chiffres sont représentés par des lettres hébraïques.
L’élégant théâtre Edison
A gauche, un projet d’habitation remplace le théâtre Edison, construit en 1932 sur un terrain qui avait autrefois accueilli des représentations en plein air. Mais lors des sanglantes émeutes arabes de 1920, le terrain est réquisitionné pour les entraînements militaires. Le commandant des troupes est Zeev Jabotinsky, un leader sioniste qui participe à la création de la Haganah peu de temps après. C’est donc un peu ici que les graines de la résistance ont commencé à germer.
Le théâtre Edison était l’un des premiers en son genre et le plus élégant de la ville, appelé ainsi en hommage au génie américain. Toutes sortes d’artistes internationaux s’y sont produits ainsi que l’Orchestre Philharmonique d’avant la création de l’Etat. Durant les années 1950 et 1960, le théâtre fait l’objet de controverses et de manifestations dans la communauté des harédim.
Sur la droite de la rue David Yellin, une allée pavée porte le nom du directeur de l’école Laemel, Ephraim Cohen, fière de ses arbres et de son atmosphère particulière. A gauche, au bout de la rue Hagiz, un bâtiment au numéro 5 : c’était le premier emplacement du lycée hébraïque pour filles et garçons qui a ouvert le 2 janvier 1909. Il avait pour objectif de faire vivre la culture hébraïque, et le programme scolaire englobait des sujets variés sur l’histoire du peuple juif, ou la Terre d’Israël. L’un de ses fondateurs n’était autre qu’Eliezer Ben Yehouda, et son fils Ehoud, l’un des premiers élèves de l’école. Parmi les célèbres professeurs qui y enseignaient : Itzhak Ben Zvi – futur président d’Israël – et celle qui allait devenir sa femme, Rahel Yanait.
Après la chute du Second Temple, les Sages ont décrété que chaque nouveau bâtiment devrait porter le souvenir de cette destruction et demeurer en partie non peinte. Le propriétaire de la maison située au numéro 2 de la rue a pris ces mots à la lettre, ce qui explique, à l’entrée, un carré resté sans peinture.
A droite, dans la rue Pines, les maisons situées aux numéros 25 et 27 sont décorées de plusieurs étoiles de David. A noter également en descendant, les étranges marches d’escalier devant la maison du numéro 14 de la rue Algazi, sur la gauche.
Rien de mieux que du pain et du beurre
Depuis la rue Soloveitchik, à gauche, on arrive directement en face du Shtiebel, rue Hafetz Haim. Ce mot yiddish désigne un petit espace où les gens d’Europe de l’Est se retrouvaient pour prier. Quelques encablures et un mûrier plus loin : la rue Pri Hadash. Ici, la boulangerie Avihail ouverte de 6 h 30 le matin jusqu’après minuit mérite attention. On y trouve de délicieux produits, frais et bon marché. Son fondateur, Nissim Avihail, a ouvert en 1932. En 1939, lorsque la Grande-Bretagne impose un couvre-feu en Israël, Avihail, du fait de sa profession, obtient un laissez-passer spécial qui lui permet de voyager librement à toute heure du jour ou de la nuit. Aujourd’hui, la boulangerie porte un tampon cacher lemehadrin, la plupart des clients sont ultraorthodoxes, et une pancarte enjoint tout visiteur à porter des vêtements modestes. Le fils de Nissim, Danny, y a passé son enfance et y travaille depuis un demi-siècle ! Selon lui, et malgré la multitude de restaurants gastronomiques que l’on trouve, il n’y a rien de plus délicieux que du pain frais et du beurre !
A l’intersection, sur la droite : à nouveau la rue Yeshayahou. C’est au numéro 7 que se trouvait l’école Doresh Zion fondée par le rabbin Oplatka. Après des décennies difficiles, l’école commence enfin à devenir importante. En 1929, elle déménage donc dans ce bâtiment, utilisé jusqu’alors pour des séminaires d’enseignants. Aujourd’hui, il abrite une yeshiva ultraorthodoxe.
Enfin, juste avant de retourner à l’angle de Haneviim et Yeshayahou, là où l’aventure a commencé, un détour à gauche par la rue Prag pour admirer la vue sur Nebi Ukasha, lieu de sépulture datant du XIIIe siècle censé abriter la dépouille de l’un des trois musulmans ayant combattu les Croisés, à moins qu’il ne s’agisse de l’un des disciples de Mahomet.
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