L'aliya hors-piste

Une vague d’immigration française sans précédent est annoncée. Mais les capacités d’accueil de la Terre promise seront-elles à la hauteur des besoins ? Le secteur de l’immobilier se met en chantier

 L'aliya hors-piste (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
L'aliya hors-piste
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Israël est le foyer national du peuple Juif. Revenant sur la prise d’otages dans l’Hypercacher de la Porte de Vincennes lors d’une allocution télévisée, Netanyahou a déclaré : « A tous les juifs de France, tous les juifs d’Europe, je dis : Israël n’est pas seulement le lieu vers lequel vous vous tournez pour prier, l’Etat d’Israël est votre foyer ». Certes.
Pour autant, l’Etat hébreu a-t-il la capacité d’accueillir autant d’olim ? « Non », a laissé entendre Yoni Chetboun, avant de préciser « ici aussi il y a du terrorisme », comme pour calmer les ardeurs des candidats à l’aliya. Ce qui, de la part du leader du lobby francophone qui se veut le pourfendeur des droits des olim de France, a de quoi étonner.
Répondre aux besoins en matière de logement et d’infrastructures implique d’explorer de nouveaux horizons hors des sentiers battus, afin qu’une trop forte concentration d’olim dans un même secteur ne freine pas leur intégration et que soit contenue l’envolée des prix de l’immobilier.
Les défis immobiliers que pose l’aliya
L’augmentation significative de l’aliya de France intervient dans un contexte où l’immobilier israélien est en crise ; faire face aux besoins induits par la croissance naturelle de la population exige déjà des mesures qui tardent à venir.
Ohad Danos, le président de l’Office des Experts fonciers israéliens, met en garde contre une arrivée massive des juifs de France en Israël. Il s’est dit très heureux de cette vague de nouveaux arrivants qui s’annonce, mais réclame des mesures adaptées. « Si ne serait-ce qu’1 % des juifs de France réalisaient leur aliya, nous irions droit dans le mur », a estimé Danos, avant de poursuivre : « nous devrions faire face à des achats massifs et à des locations de biens immobiliers dans des secteurs géographiques bien particuliers ».
En effet, le marché de l’immobilier israélien propose chaque année en moyenne 40 000 nouveaux appartements, alors que la demande réelle est de 63 000 appartements par an. Et c’est sans compter les besoins des nouveaux immigrants. « En France, il y a environ 500 000 juifs répertoriés comme tels selon la loi juive. Mais si vous comptez aussi ceux qui ne sont pas juifs au regard de la halakha, mais peuvent prétendre à bénéficier de la loi du retour, cela fait en tout environ 1 200 000 individus. Donc si 1 % de ces potentiels olim décident de faire leur aliya, ils seraient 12 000 ce qui nécessiterait en moyenne 3 000 appartements supplémentaires pour cette population spécifique soit une augmentation de 6 % de la demande globale d’appartement ».
Il est évident que, dans ce contexte, il serait difficile de contenir les prix.
Ouri Ariel, ministre israélien de la Construction et du Logement, se veut plus optimiste : « 50 000 nouveaux logements ont été proposés sur le marché en 2014, ce qui représente une hausse de 10 %, un record, et pour l’année prochaine nous espérons atteindre les 55 000 voire 60 000 unités supplémentaires », promet-il.
Hors de Tel-Aviv, Jérusalem, Natanya, le salut ?
Cette menace d’un envol des prix du marché et le spectre d’une bulle immobilière ont motivé le ministère du Logement à soutenir les villes israéliennes désireuses de s’ouvrir à l’aliya de France qu’il espère massive. Objectif : éviter la saturation et contenir l’afflux sur des agglomérations déjà trop demandées, au tout premier rang desquelles Jérusalem et Natanya, et dans une moindre mesure depuis l’opération Bordure protectrice Ashdod et Ashkelon.
« A Tel-Aviv il n’y a pas de problème. Les nouveaux olim de France représentent environ 1 000 familles par an sur une population de 420 000 habitants. La ville peut les absorber sans problème », fait remarquer Eytan Schwartz, conseiller du maire de Tel-Aviv. De plus, les Français se concentrent dans certains secteurs très prisés comme le front de mer et Neve Tzedek où la concurrence est moindre ».
Tout le monde veut attirer les Français. Ces nouveaux consommateurs séduisent par leur pouvoir d’achat potentiel, même si certains viennent aussi des quartiers difficiles et sont moins argentés. « Ils achètent des appartements », souligne Carine Rodriguez, chargée de l’intégration des olim francophones à Rishon Letzion, « et comme les prix à Tel-Aviv, Jérusalem et même Natanya ont grimpé, il faut leur ouvrir de nouveaux marchés plus abordables ». Toutefois attention, prévient Richard Sitbon, économiste et auteur de L’économie selon la Bible, il s’agit de bien s’entourer. Les prix proposés aux olim de France sont souvent de 10 à 15 % supérieurs à la valeur du marché.
En tête de ce palmarès des villes d’accueil, Rishon Letzion a la vedette (voir encadré). Viennent ensuite Hadera, Kfar Yona, ou Penouel. Des bruits courent sur le potentiel du Néguev et même Dmitry Apartsev, le maire de Katzrin dans le Golan, rêverait de décrocher le pompon des olim de France. Humour, inconscience ou savant mélange de genres, il déclare que sa ville présente nombre d’avantages et ne voit pas les menaces qui pèsent sur la région comme un problème, mais plutôt comme une opportunité offerte aux olim de pouvoir « jouer un rôle dans l’Histoire ».
Imagination et créativité
La rénovation urbaine, que ce soit au moyen de la démolition de bâtiments anciens et la construction de nouveaux plus grands ou par le renforcement des bâtiments anciens et en ajoutant des étages supérieurs avec de nouveaux appartements, peut produire des centaines de milliers de nouveaux appartements dans tout le pays, dans les zones urbaines existantes, sans la nécessité d’allouer de nouvelles zones de construction.
Une option davantage soutenue par le gouvernement que par le passé, puisque trois décisions importantes viennent d’être prises dans ce sens, aux dires du ministre. Notamment la permission de dépasser les huit étages autorisés jusqu’ici, venant à bout des obstacles de la part des autorités locales. « Par ailleurs, davantage de terrains constructibles vont être mis sur le marché, et plus de permis de construire délivrés », confirme-t-il.
La relocalisation des bases militaires autour de Tel-Aviv, en Samarie et dans le Néguev vient enrichir le marché immobilier de milliers d’hectares ainsi libérés. Une manne providentielle que les promoteurs ont vite fait d’exploiter. Rien qu’à Rishon Letzion, la base militaire de Tsrifin, déjà partiellement désertée, mettra à disposition de la municipalité 2 000 hectares constructibles, une aubaine qui tombe à point nommé pour les 7 000 unités de logement prévues dont 700 logements sociaux. 240 000 m2 seront réservés à des bureaux et 50 hectares à un parc industriel, « Le Jardin de l’Hébreu ». Avec en prime 800 mètres de plage supplémentaires.
Les territoires au secours de la pénurie
Ouri Ariel a déclaré se préparer à l’arrivée massive de nouveaux immigrants français et a ordonné à son ministère et à l’Autorité israélienne de l’aménagement du territoire d’étendre les constructions dans les territoires disputés pour les accueillir. Il a adressé une lettre dans ce sens au Conseil de « Yesha » (Judée-Samarie). « Il ne fait aucun doute que les juifs français se sentent profondément solidaires avec l’entreprise de construction en Judée et Samarie », a déclaré le ministre, optimiste, qui espère les voir s’y implanter.
Pour autant, pas question de leur imposer une localité plus qu’une autre. « C’est aux olim de choisir où ils souhaitent faire souche », insiste le ministre. « Il est naturel que la tendance soit à s’implanter là où il y a déjà une communauté francophone ; la langue et la culture du pays d’origine commune l’expliquent aisément », reconnaît-il. « Pour autant, créer de nouvelles communautés n’est pas impossible ».
« C’est une chose que d’être sioniste et une autre que de vouloir habiter dans les territoires », fait remarquer Ohad Danos, sceptique. « C’est une vie difficile, il faut faire de la route pour aller au travail, les moyens de transports ne sont pas très développés. Ce n’est pas aussi dangereux qu’il n’y paraît à la télé, mais c’est rajouter de la difficulté à celle de changer de pays et d’environnement qui en est déjà une en soi », prévient-il.
La course contre la montre
Toutefois, le problème majeur reste le facteur temps ; il faut faire en sorte que les calendriers de l’offre et la demande concordent. « Bien sûr qu’il faut développer de nouvelles villes, mais il faut bien comprendre que cela ne se fait pas en un jour », rappelle Ohad Danos. « La bureaucratie n’aide pas à une résolution de la crise », dénonce-t-il en ajoutant : « Les plans de développement vont prendre 10 à 15 ans jusqu’à la livraison au public, alors que les aliyot importantes sont attendues demain, et il ne faudra pas que les Israéliens soient lésés pour autant ». Pour lui, la solution est une aliya progressive étalée dans le temps, pour laisser au pays le temps de procéder aux aménagements nécessaires.
Pour l’heure, nombre de ces nouvelles constructions restent suspendues à l’issue des élections. Il est certain que la droite délivrera plus volontiers des permis de construire dans les territoires que d’autres formations. Moshé Kahlon, chef du parti Koulanou, serait le grand favori pour résoudre la crise du logement en Israël, selon un nouveau sondage révélé par l’institut Midgam. C’est ce que pensent en tout cas 29 % des Israéliens interrogés sur la question. Mais qui sera en charge de ce dossier brûlant ?
Peu après l’opération Bordure protectrice, lors d’une cérémonie d’hommage au courage des soldats venus de France pour s’engager comme volontaires dans Tsahal, le ministre du logement avait déclaré : « Faites venir les olim de France, je me charge de faire baisser les prix ». Pour l’heure on est encore loin du compte…
« Aucune mesure concrète ne viendra changer la donne en 2015 », s’inquiète Ohad Dano. « Après les élections il faudra bien 3 mois pour former une nouvelle coalition, puis les élus devront prendre connaissance des dossiers et ce sera Roch Hachana, autant dire la fin de l’année civile, alors que le temps presse. » Et d’ajouter : « Si rien n’est fait très rapidement pour accélérer la construction de nouvelles unités de logement à travers tout le pays, ce sera une catastrophe ».
Se préparer en amont avant de sauter le pas de l’aliya
Preuve que Netanyahou a été entendu, plus de 5 000 juifs de France ont visité les quelque 47 stands de promoteurs israéliens au salon Icube qui vient de se dérouler à Paris. Et des dizaines de contrats ont d’ores et déjà été signés. Emmanuelle Turk, organisatrice de l’événement, a confié n’avoir jamais vu une telle fréquentation. Le ministre de la Construction et du Logement, Ouri Ariel, a fait le déplacement pour l’occasion et s’est dit ému de voir cette foule préparer son aliya. Il semblerait que les Français qui achètent sur plan aient un avantage.
Pour autant, le logement n’est pas tout. « Faire face à la demande est une chose, mais ensuite ces olim, il faut bien qu’ils travaillent ! « Acheter à Hadera, c’est bien beau, mais après, vous allez travailler où ? », s’inquiète Richard Sitbon, économiste et directeur au ministère du Trésor israélien. On sait bien que l’emploi se concentre dans le centre du pays », prévient-t-il.
Le problème est d’autant plus délicat que le marché de l’emploi israélien n’est pas facile à pénétrer quand on ne possède pas la langue. « Il faut encourager les Français à créer leur entreprise ». En amont de l’aliya, créer une succursale en Israël, en attendant de sauter le pas. Nombre de professionnels peuvent aisément délocaliser leur entreprise ne serait-ce que partiellement.
« Cela permet de s’établir aussi professionnellement dans des zones nouvelles moins saturées et de fait plus accessibles au niveau des prix et d’y créer des emplois pour les olim déjà sur le terrain », suggère Richard Sitbon.
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