Boualem Sansal, un acte de courage

Plus d’un demi-siècle après Albert Camus, l’Algérie a trouvé un nouveau visage d’“homme révolté” sous les traits et la plume de Boualem Sansal

sansal (photo credit: © Marc Israël Sellem)
sansal
(photo credit: © Marc Israël Sellem)
Cet écrivain franco-algérien s’est rendu la semainedernière au pays d’Amos Oz et de David Grossman Francophone issu du mondearabe, Boualem Sansal est venu parler de son oeuvre et de ses convictionspolitiques à l’Institut français de Tel- Aviv le mardi 15 mai. Puis lelendemain, à Jérusalem, dans le cadre de la 3e édition du Festivalinternational des Ecrivains.
Une visite controversée, car perçue par la presse arabe dans son ensemble commeun acte de haute trahison de la part de celui qui est pourtant censuré dans sonpays d’origine, depuis 2003. Malgré le prix de la paix des libraires allemandsreçu par l’écrivain en 2011 et une reconnaissance internationale, l’Algériepersiste à interdire sa publication. En Israël, sa présence a été admirée entant qu’acte de courage.
Sous des airs pacifiés, l’auteur n’en reste pas moins le porteur d’un messageengagé. “Quand j’ai accepté l’invitation, je suis devenu la cible decondamnations.
Pourtant, j’ai décidé de venir car c’était important pour moi. C’est une façond’affirmer ma liberté et mes croyances” a-t-il déclaré lors du débat organiséen présence du parlementaire Daniel Ben Simon, mercredi 16 mars, à Jérusalem.
Déjà en 2008, alors qu’Israël était l’invité d’honneur du Salon du livre deParis, où il devait lui-même participer, il avait reçu plus de 20 000signatures le priant de ne pas prendre part à l’événement. Sa réponse : unarticle paru dans Le Figaro le 10 mars 2008 sous le titre “On boycotte quoi, à Paris ?” A l’époque, ilécrivait : “Le mot ‘boycott’ me donne de l’urticaire. Je me gratte furieusementici, là et encore là entre les deux sans savoir si c’est ma dignité, monintelligence, mon esprit, mon foie, mon nez, ou mon petit business, quis’irrite de l’entendre”.
Sans omettre de préciser ce petit élément qui fait de lui la cible privilégiéede ceux qu’il dénonçait : “Les pays arabes qui ont appelé au boycott, ou faitappeler au boycott sont les meilleurs clients d’Israël et souvent les piresennemis des Palestiniens. La souffrance de ce peuple, son désespoir sont envérité le cadet de leurs soucis”.
Quatre ans plus tard, c’est lui qui est l’invité d’honneur de l’Etat hébreu. LeHamas n’a alors pas tardé à réagir en déclarant que sa visite constitue “uncrime contre les 1,5 million de martyres algériens qui ont sacrifié leurs viespour la liberté sous l’occupation française” et qu’ainsi, l’auteur légitime“les crimes perpétrés contre le peuple palestinien”.
Or, ce berbère de 62 ans élevé à quelque 200 kilomètres d’Alger, ingénieur etdocteur en économie (qui n’est venu à la littérature que tardivement, à 50ans), connaît la portée de ses choix et de ses prises de positions. Lui qui aété marqué par la guerre civile en Algérie puis la dictature militaire.
De la nécessité de savoir
Son engagement personnel remonte à 2006, lorsqu’ilpublie Poste restante : Alger, lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes,où il offre un bilan amer de plus de quarante ans d’une indépendance,confisquée par le FLN, l’armée et les religieux. D’un régime qui a défini dès1962 l’identité algérienne à l’aide de constantes simples : arabe, musulman,socialisme. Pour lui, cette lettre ouverte a été écrite comme une tentative denuancer ces constantes, “de démolir légèrement ces choses-là”. Car Sansal seplace au-dessus de toute attitude qui viserait à condamner sans comprendre. Cequi a d’ailleurs été le cas dès ses débuts en littérature avec son premierroman Les serments des barbares (1999) sur la guerre civile algérienne, puisplus tard avec Le village de l’Allemand (2008), aboutissement d’un travail derecherche d’une trentaine d’années sur la Shoah, le nazisme et le processus deréappropriation de ses mécanismes.
Un peu à l’image de David Grossman, l’auteur algérien dit être arrivé à lalittérature à partir de la volonté de “comprendre”. Son homologue israélien,qui a lui aussi traité du thème de la Shoah dans son roman Voir ci-dessous :amour et qui a assisté au débat Sansal/Ben Simon de Jérusalem, a sans doute dûse retrouver dans les propos de l’auteur franco-agérien. “Le village del’Allemand a été une grande douleur”, a confié ce dernier, “j’ai eul’impression en l’écrivant d’être passé moi-même par un camp”.
Avec ce roman, Sansal s’est attaqué à un sujet fort etpolémique : l’histoire du panarabisme qui a subi l’influence de l’hitlérisme,au travers de l’histoire de deux frères tiraillés entre le souvenir de la Shoahet la naissance de l’islamisme.
“Il faut raconter tout cela pour que tous les jeunes comprennent cettenécessité de savoir. Soit grâce à la raison, soit par leur intuition”, a-t-ildéclaré.
Et pose ainsi la question d’une double responsabilité. D’une part, celle communément acceptéede la Shoah. “On ne peut pas s’arrêter.
Une fois que l’on sait, il faut mener jusqu’au bout le travail deresponsabilité”, a-t-il ajouté. Et de préciser : “Quelqu’un doit expier.
On n’est plus dans la responsabilité au sens juridique, mais dans l’expiation :nous devons aujourd’hui tous expier ce crime contre l’humanité. Nous qui sommesl’humanité”.
Une réflexion qui lui a valu une grande reconnaissance et l’amitié du centreinternational Primo Levi à New York.D’autre part, la responsabilité pour les atrocités de notre époque.
Une géographie de l’islamisme
L’auteur algérien est aujourd’hui un ferventadversaire intellectuel du gouvernement autoritaire de son pays, de même que del’extrémisme qui s’y installe. Mais pas uniquement chez lui. Cela n’en déplaiseà certains, il fait partie de ceux aux côtés d’Abdennour Bidar, professeur dephilosophie à Sophia Antipolis, qui jugent l’islamisme comme une maladie del’islam.
Selon lui, en Algérie, la doctrine voulait que l’on se soit libéré ducolonialisme par le sabre de l’islam. Dès lors, la religion, qui à l’origineétait celle desparents, est devenue doublement sacrée.
Sansal déplore son altération extrémiste et la difficulté pour ses adeptes dese libérer de ce carcan. “Les gens croient encore à l’islamisme en tantqu’issue pour mieux vivre et s’en rapprochent alors même qu’ils se sententincapables d’y arriver par eux-mêmes”, a-t-il insisté.
A partir de quoi, il formule une critique sévère à l’égard de l’islamisme.Critique qui pourrait choquer si cet érudit ne provenait pas lui-même de laculture arabe. “J’ai l’impression d’être dans les années 1930.
Aujourd’hui l’islamisme devient une forme de fascisme qu’il faut combattre entant que tel. Il ne lui manque qu’une chose : le nazisme avait trouvé unterrain, l’islamisme le cherche encore. Mais l’idéologie est là”.
Suite à la sortie de son dernier roman “La rue Darwin” en 2011, il se confiaità l’Express, en août, dans une interview intitulée : “Boualem Sansal : “Il fautlibérer l’islam”. “L’islam est devenu une loi terrifiante, qui n’édicte que desinterdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plusviolents. Il faudrait qu’il retrouve sa spiritualité, sa force première. Ilfaut libérer, décoloniser, socialiser l’islam”, avait-il déclaré. Une façonpour lui aussi de se justifier face à ceux qui l’accusent de faire desamalgames.
Pour les besoins du Village de l’Allemand, l’auteur, qui a senti qu’il feraitmieux de déplacer le récit hors d’Alger, s’est alors intéressé aux banlieuesfrançaises. Et d’en tirer des conclusions plutôt alarmantes. “Je suis allé dansdes banlieues en Franceoù j’avais l’impression d’être à Kaboul. Il y a une vraie géographie del’islamisme”, a-t-il déclaré à Tel-Aviv.
Or, celui qui se dit “pessimiste” arrive tout de même à déceler des lueursd’espoir. “J’ai fait beaucoup de rencontres dans les lycées. Il y a quatre ansdans le département du 93 (Seine-Saint-Denis) et à Marseille, ça a presque finien bagarre, on a failli me casser la gueule. Mais aujourd’hui ça se passe demieux en mieux”. Par ailleurs, son admiration a été sans bornes devant lefonctionnement du lycée français de Jérusalem. “Les élèves sont arabes, lelycée est français et les enseignants sont juifs, c’est formidable !”, s’est-ilenthousiasmé.
Autre note d’espoir ? Les réactions des Algériens suite à l’annonce de sa venueen Israël : “Sur mon site c’était du 50/50. Mais une moitié m’a dit que c’étaitsuper, que c’était merveilleux et que nous pouvons apprendre des expériencesd’Israël”. En revanche, la façon dont il va être reçu à son retour par lesautorités de son pays est encore incertaine. Ce qui suscite incontestablementune large inquiétude au sein de la communauté des écrivains israéliens qui,sans le moindre doute, voient en lui un ami sincère et courageux