Marine Le Pen : vague de fond ?

Dans un entre-deux-tours qui pourrait sonner le glas de la droite au pouvoir, entretien avec la leader du Front National, qui ne semble pas vouloir prêter main-forte au président sortant UMP

lepen (photo credit: © Reuters)
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(photo credit: © Reuters)

J’ai rencontré Marine Le Pen au siège du comité de soutien àsa candidature, où elle a ses bureaux, boulevard Malesherbes à Paris. Protégée par legéant Thierry Léger, garde du corps hérité de son père.

C’était le jour-même, jeudi 26 avril, où elle rendait publique une lettre auxdeux candidats à la présidentielle, Nicolas Sarkozy et François Hollande, lesaccusant de “mépriser” ses 6,5 millions d’électeurs.
Ceux à qui elle affirme que le problème économique est réversible. A conditionde pouvoir enrayer “les 100 000 naturalisations par an, les 200 000 étrangerspar an qui arrivent sur le sol français, et probablement l’équivalent quiviennent illégalement... Il faut arrêter cela immédiatement”, déclare-t-elle.
Au sujet d’Israël, Marine Le Pen déclare avoir “toujours défendu le droitd’Israël d’être une nation libre et d’assurer sa sécurité”. Mais,ajoute-t-elle, si on pouvait [en France] appliquer ne serait-ce que10 % de ce qu’Israël applique en matière de défense, de son identité, de sesfrontières...”
Elle me reçoit tout sourire, le dernier livre d’Eric Zemmour sur sa table detravail, et sur un des murs une grande peinture à l’huile toute en bleu (enréférence à la vague bleu-marine qu’elle incarne) offerte, dit-elle, par sonamie israélienne ou tout simplement juive. Elle me montre à côté les dessins deses neveux jumeaux, et je lui montre ceux des miens.
Le courant passe, l’interview peut commencer. Elle sera bien plus longue que prévu.

JerusalemPost : En venant ici, j’ai vu dans les kiosques à journaux la couverture duNouvel Observateur, avec la photo de Sarkozy sombrant dans les flots telleOrphée et en titre : “Pourquoi Marine Le Pen veut-elle le faire perdre ?”Alors, je vous demande, Marine Le Pen, pourquoi voulez-vous le faire perdre ?

 Marine le Pen : Si je voulais faire battre Nicolas Sarkozy,j’appellerais à voter François Hollande... Mais j’ai déjà dit que je n’espéraisla victoire ni de l’un [Nicolas Sarkozy] ni de l’autre [François Hollande], cesont deux têtes qui se bagarrent mais se partagent un même corps...L’européisme, l’ultra-libéralisme, le laxisme, le libertarianisme de mai 68, lamême soumission à l’abandon de la souveraineté nationale.

Mais c’est le temps de la clarification, l’heure de vérité. Nicolas Sarkozy ne peutpas s’adresser à mes électeurs en expliquant que le parti socialiste c’estl’horreur, et ne pas répondre à une question simple : en cas de duel auxlégislatives entre le FN et le PS, estce qu’il préférera un député FN ou PS ?En fonction de cette réponse, une partie de mes électeurs se détermineront.
J. P. : Je vous ai entendue à votre soirée électorale: “voici venue la vaguebleu Marine”. Mais je vois aussi une autre vague, rose rougeoyante. Il faudrasurfer entre les deux. Toute la gauche est d’ores et déjà acquise à Hollande.Tandis que sans vous, Sarkozy est perdu, et vous allez contribuer à sa chute...
M. le P. : Mais c’est sa faute, il a trahi mes électeurs. S’il avait tenu sespromesses électorales de 2007, il aurait maintenu cet électorat, au lieu dequoi son premier acte électoral après s’être fait élire avec les voix du FrontNational a consisté à prendre dans son gouvernement des gens comme FadelaAmara. Sans compter la nomination de Dominique Strauss-Kahn au FMI, lesmissions spéciales confiées à des socialistes comme Michel Rocard. C’est sonchoix, mais ce choix, aujourd’hui il va le payer. Je n’y suis pour rien,strictement. C’est Nicolas Sarkozy qui va faire élire François Hollande.
Moi je ne parle pas d’alliance, je ne veux pas d’alliance avec lui, je ne veuxpas être ministre, mais puisqu’à ma question sur les législatives saporte-parole (Nathalie Kosciusko-Morizet) m’a expliqué qu’elle voterait PS encas de duel avec le FN, dans ce cas, il faut qu’il s’assume.
J. P. : Sarkozy a parlé de “compatibilité” du vote FN avec la République. Ilen a indignés plus d’un, notamment les quotidiens Libération et l’Humanité quil’a placardé en une aux côtés de Pétain. Le Monde a titré : stratégie FN pourfaire imploser l’UMP. Mais le FN ne répond pas à ses appels. C’est : “je t’aime moi non plus”.
M. le P. : Quelle est la légitimité de Nicolas Sarkozy pour décider si un partivieux de 40 ans est hors ou dans la République.
Pourquoi a-t-il attendu le 2e tour pour le dire, alors qu’il a contribué à considérerles électeurs du FN comme des parias, avec mépris et injustice, pour desraisons électoralistes. Cela s’appelle de la malhonnêteté.
J. P. : Que ressentez-vous au vu de cette chasse aux voix frontistes àlaquelle se livrent les deux protagonistes ?

 M. le P. : Cela veut dire que nous sommes en réalité lecentre de gravité de la vie politique.C’est nous qui continuons entre les deuxtours à imposer nos thèmes. Il est plus question de celle qui a perdu que de ceux qui ont gagné.Tout le monde ne parle plus que des électeurs marinistes. C’est parce que nousavons posé les vraies questions dans cette campagne : que ce soit leprotectionnisme, que ce soit le rôle de la nation, que ce soit le rôle dupeuple dans la prise de décisions, que ce soit la nécessaire lutte contre lefondamentalisme islamique, le glissement de civilisation révélé par desaffaires de revendications religieuses. Nous avons été au centre des vraiespréoccupations des Français.

J. P. : A propos des législatives, votre jeune nièce, Marion, serait candidate à Carpentras, où uncimetière juif avait été profané. Et elle est chargée par son grand-père, Jean-Marie Le Pen, de “laver (son) honneur”.
M. le P. : Oui. Carpentras reste le symbole de l’injustice. Nous avions étéaccusés par les plus hautes autorités de l’État de quelque chose dont nousn’étions pas coupables. Cette blessure, cette marque d’infamie, a servi pendantdes années de socle à un combat contre nous, un combat profondément injuste.
J. P. : Mais votre père avait tenu certains propos négationnistes concernantla Shoah...
M. le P. : Je ne vais pas passer mon existence à commenter une phrase d’il y a25 ans.
J. P. : Vous comprendrez bien que les lecteurs du Jerusalem Post s’intéressent particulièrementà la question ?

 M. le P. : J’ai déjà dit mille fois que je n’avais pas lamême vision que Jean-Marie Le Pen de la Seconde Guerre mondiale. Que nousn’avions pas les mêmes références, parce que nous n’avons pas le même âge, pasle même parcours. Je pense maintenant qu’on lui a fait un faux procès, nosadversaires politiques s’étant servis de cela pour faire croire à un dangerantisémite provenant du FN, alors que le véritable danger antisémite vient dela montée du fondamentalisme islamique, qui entre-temps s’est développé dansnotre pays dans des proportions aujourd’hui catastrophiques. Cela fait desannées que je dis : ne vous trompez pas, le danger n’est pas là où vous lepensez, et aujourd’hui on se retrouve confronté à l’affaire Merah. Voilà.

J. P. : Vous faites un lien entre négationnisme, antisémitisme etantisionisme ?

 M. le P. : Il y a un transport du conflitisraélo-palestinien sur le territoire français, dans un certain nombre dequartiers. Une réalité que l’on nie depuis des années. Nicolas Sarkozy aaccordé tous les ans des visas à des prédicateurs pour les congrès de l’UOIF(Union des organisations islamiques de France), des gens appelant au meurtre deJuifs, et il a fallu que nous le pointions du doigt, cette année, pour qu’audernier moment il leur refuse un visa. Quand on voit les relations entreNicolas Sarkozy et le Qatar, qui est le soutien au niveau international, lesoutien fondamental du fondamentalisme islamique... Nicolas Sarkozy et l’UOIFont construit main dans la main le Conseil des Musulmans de France qui est lereprésentant des Frères musulmans et déverse sa pensée de haine sur leterritoire français.

J. P. : Vous parlez de l’équipe de football de Barcelone sponsorisée par le Qatar?

M. le P. : Je parle du PSG. Je pense le plus grand mal del’imprégnation et de l’importance que prend ce pays [le Qatar]. On l’a laisséacheter des parts importantes de nos entreprises stratégiques, investir 50millions dans les banlieues françaises pour des raisons ethniques etreligieuses. Et pourquoi achètent-ils une équipe de football, le PSG ? Parcequ’ils savent que c’est aussi un moyen de prendre du pouvoir sur les jeunes.Laisser faire cela est une folie.

J. P. : Une bombe nucléaire iranienne, et une attaque israélienne pourl’empêcher, cela vous inquiète ?

M. le P. : Je ne crois pas à cela. Quand Israël parle d’uneguerre, c’est qu’il n’est pas sûr de la faire. Ils agissent quand ils neparlent plus. Le principe des relations internationales, c’est de fonctionnerpar pressions, par intimidations, ce sont des bagarres de leadership.

Il ne faut pas minimiser le rôle demain du Qatar et de l’Arabie Saoudite,peut-être que l’Iran aboie, mais eux, ils pourraient mordre.
J. P. : Selon vous il n’y a pas de menace nucléaire iranienne pour Israël ?

 M. le P. : Je ne le crois pas. Si l’Iran imaginait utiliserun jour la bombe, il serait vitrifié dans la seconde... Mais l’Iran a droit aunucléaire civil. Je suis inquiète quand les États-Unis manoeuvrent quelquechose, ils ont toujours été mauvais en matière internationale. De vraiescatastrophes ambulantes.

Ils ont créé des conditions de danger dans le monde.
Souvenez-vous de l’Irak : est-ce qu’Israël est plus en sécurité après la guerreen Irak ? Et les printemps arabes, est-ce que cela a amélioré la sécuritéd’Israël ? J’étais la première à dire : attention à ne pas remplacer unedictature laïque par une dictature islamique. Entre une dictature laïque et unedictature de la sharia, je préfère la dictature laïque.
J. P. : En 1990, votre père avait plutôt été du côté de l’Irak.
M. le P. : Il avait eu une analyse qui s’est avérée juste, la même que pour laLibye. A savoir que l’Irak n’est pas un pays, pas une nation, mais unconglomérat de tribus, et la chute de Saddam Hussein (comme c’est arrivéensuite à Kadhafi) allait entraîner non une pacification mais une aggravation,avec la prise de pouvoir du fondamentalisme islamique dans ce pays et lapersécution des minorités religieuses.
Ainsi 100 000 Chrétiens sont partis d’Irak vers la Libye. Que vont-ils fairemaintenant ? Et depuis, il y a eu la Tunisie, l’Egypte, la Libye, le Mali, laSyrie, cela commence à faire beaucoup. C’est le pavé de l’Ours de La Fontaine :pour tuer la mouche, on prend un énorme pavé et on tue l’ours aussi.
Ce qui me fait revenir au problème des faux amis. Qui sont les vrais amis :ceux qui prennent des décisions qui vous mettent en sécurité, ou ceux quientreprennent des actions qui vous mettent en danger ? C’est là la vraiequestion que les Israéliens devraient se poser. Ils ont toujours cru que notreposition sur l’Irak était antisioniste. Erreur d’analyse faite sur un a priori.Jean-Marie Le Pen s’est battu à côté des Israéliens à Suez (en 1956). Le FN a toujours reconnul’existence d’Israël.
J. P. : Quelle est votre position sur le conflit israélopalestinien ?

 M. le P. : Si unesolution existe, elle consiste à séparer les fondamentalistes des deux côtéspour arriver à un compromis. Certes, il peut y avoir une pensée radicalerespectable, mais pas dans la voie de la solution, plutôt dans celle de la confrontation.Quant à Jérusalem, on ne va pas être d’accord, vous et moi, comme tous mes amisjuifs ne sont pas d’accord avec moi là-dessus : Jérusalem est le patrimoine del’humanité, elle devrait être sous la responsabilité de la communauté internationale.

J. P. : Vous n’y êtes jamais allée, on ne vous a pas laissée entrer enIsraël...
M. le P. : On m’en a empêchée, Israël a trop d’amis (rires). Dignité oblige, je ne viendrai que si je suis invitée. Vous avez vu ce qui s’est passé avec l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies ?Le lendemain de notre rencontre, son ministère disait qu’il s’était trompé deporte. Franchement : pourquoi se faire des ennemis là où il n’y en a pas.Israël n’a-t-il pas assez d’ennemis ? C’est incompréhensible.
J. P. : Votre percée ainsi que celles d’autres partis d’extrême- droite en Europe soulèvent de vives inquiétudes...
M. le P. : Heureusement! J’en suis très heureuse, parce qu’ils ont compris [lespays Européens] que le véritable ennemi de l’Union soviétique européenne, c’estnous.
C’est vrai, je suis contre le fédéralisme européen, je suis pour le peuplesouverain. C’est le peuple qui décide en toutes circonstances, ce ne sont niles technocrates, ni les bureaucrates, ni les Européistes, ni les commissaireseuropéens.
Tout cela m’apparaît être une dictature. A partir du moment où la contestationque je formule à l’égard de l’Union européenne attire un si grand nombre devoix, en Autriche, c’est la Commission qui se rend compte que pour elle c’estle début de la fin, que la zone euro va imploser, et que nous allons vers desrelations “inter-nationales”, seul espoir des peuples européens.
J. P. : Vous n’êtes pas trop pessimiste pour la France ?

M. le P. : Je suis toujours très optimiste pour la France.Car même quand elle est à genoux, il arrive un moment où elle a ce sursautvital. Car la Francen’est pas utile seulement à elle-même, elle est utile aussi au monde.

J. P. : Comme Israël ?

M. le P. : Allez les Patriotes... (Rires)

 

En guise de conclusion, Marine Le Pen insiste pourtransmettre un message à la presse internationale : “L’adjectif qu’on nousimpose en permanence d’extrême-droite est injurieux et péjoratif et nous lecontestons formellement. Nous sommes un parti patriote qui considère que l’avenirc’est la nation et pas l’empire soviétique européen. Les plans d’austérité,nous les combattons. Les transferts de souveraineté, nous les combattons. Notreprogramme est éminemment respectable. Il y a énormément de pays dans le mondequi défendent leur prospérité, qui défendent leur sécurité, qui veulentmaîtriser leurs frontières, défendre leur identité. Et il n’y a pas de raisonque cela soit bien partout ailleurs et pas chez nous”.