De l’art dans les mains

Elle fait partie de ces autodidactes devenus fers-de-lance de la créativité contemporaine. Mais Else, c’est aussi l’histoire d’une peintre franco-israélienne, qui a su faire de son sionisme une force résolument motrice

Une des oeuvres de l'artiste peintre Else (photo credit: DR)
Une des oeuvres de l'artiste peintre Else
(photo credit: DR)
Des couleurs et des formes. Rien d’étonnant pour une peintre. Cependant, le travail d’Else laisse une trace sensorielle toute particulière. « Je peux faire des œuvres avec des formes complètement difformes, mais vous y trouverez toujours la sensualité », pointe-t-elle. A travers sa peinture, elle raconte le monde qui l’entoure. Et pose un regard d’artiste optimiste, qui veut transmettre l’espoir, la force, l’envie. Si Yves Klein a créé son bleu, les rouges d’Else – une de ses teintes de prédilection – se distinguent par leur flamboyance, leur énergie, leur vitalité. Ses blancs sont nacrés, ses gris, irisés. Ses contours se font tour à tour femme, musique, spiritualité. Sa galerie du 125 rue Dizengoff à Tel-Aviv est un haut lieu de l’art contemporain et ses toiles se vendent dans le monde entier.
Mais l’histoire d’Else, c’est aussi un parcours humain hors du commun, sur fond de militantisme et de sionisme passionné. Douée pour le dessin mais aussi pour les maths, elle opte pour des études scientifiques au Technion de 1982 à 1986, et y rencontre son futur mari. De retour à Paris, elle reprend les rênes de l’entreprise familiale et conjugue une vie chargée de femme d’affaires et de mère de famille, avec 3 jeunes enfants. Mais son âme est ailleurs. Son inspiration créatrice s’impatiente. A 33 ans, elle choisit enfin de se confronter à sa passion, à qui elle tient tête depuis trop longtemps. Une nécessité, explique-t-elle. Eliane devient alors Else, une artiste autodidacte qui va s’adonner à un art débridé, riche, affranchi de toute conventionalité. A son image.
Elle passe ses journées à peindre, sans trop savoir vers quoi tout ceci va la mener, uniquement animée de cette conviction profonde qu’elle est là où elle doit être. La matière l’appelle. Elle s’initie au collage et conjugue entre autres bambou, gaz fluo, huiles. Puis en 2005, elle aborde aussi la sculpture. Ses techniques lui sont propres. Sans se revendiquer d’aucun courant, elle concilie liberté et équilibre, et développe une nouvelle approche artistique. « Je suis là pour vous éveiller. Je veux attirer votre attention pour que vous ayez envie de vous intéresser à l’art », explique-t-elle.
Assez rapidement, son style fait mouche. Else expose un peu partout, en Europe, mais aussi à New York ou Pékin. Si elle ne veut pas « faire commerce de ses racines », le judaïsme et la spiritualité juive se retrouvent dans son travail. Certaines de ses œuvres sont ainsi directement inspirées du Kotel, des bougies de chabbat ou de la mezouza. En quelques années, Else a su entrer dans la cour des grands, pour devenir une figure incontournable de l’art pictural.
C’est aussi dans ces années 1990 que son loft du Forum des Halles devient un des salons où l’on cause, et qu’il se met à héberger régulièrement « Les justiciers de l’info », un petit groupe de militants pro-israéliens. Parmi eux, Guy Millière. Au programme des discussions, la défense d’Israël dans une France qui a déjà décidé de clouer au pilori le jeune Etat juif. Quelques années plus tard, elle met ses actes en accord avec ses principes et fait le pas de l’aliya. Cap sur Tel-Aviv, et ses ondes créatrices, qu’elle affectionne.
Israël chevillé au cœur et au corps
Artiste le jour, Else est aussi Eliane la nuit, avec ses soirées fréquentées par l’essentiel de la communauté française telavivienne, à laquelle se mêlent aussi Israéliens de souche et Anglo-Saxons. Sa nouvelle vie israélienne intensifie encore son potentiel créatif. Plusieurs fois par an, ses toiles rayonnent sur les murs des grands rendez-vous artistiques de la planète. A son actif, plus d’une centaine d’expositions, plus d’un millier de pièces vendues, des fresques de 4 mètres de long. Aujourd’hui, ses toiles dansent : Else a réussi le pari de marier son travail de traits à l’art de la vidéo. Résultat : une œuvre d’art en vie et en mouvement, unique, inimitable, enivrante.
En 2007, l’artiste est sélectionnée par le couturier François Guadrey pour dessiner le motif d’une de ses collections, et en 2008, elle ouvre sa propre galerie, d’abord rue Frisman, puis rue Dizengoff. Une adresse emblématique qui résonne encore dans nombre d’esprits. Le 1er janvier 2015, sur le trottoir d’en face, au numéro 122, le bar Rafinta est attaqué à l’arme automatique. Bilan : deux morts et plusieurs blessés. La réalité israélienne a rattrapé la militante de toujours. A l’heure de l’attentat, Else est dans sa galerie. Alertée par le bruit, elle est l’une des premières sur les lieux du drame.
Elle veut intervenir, mais ne sait pas comment ; des hommes sont à terre, tachés de sang. Animée par un sentiment d’urgence, elle s’approche de l’un d’eux, blessé à la jambe, qui l’implore de retrouver son chien. Marquée par le manque de réaction des passants et sa propre incapacité à savoir comment aider, elle cherche à mettre en place un cours de secourisme pour francophones. Ou comment penser au peuple d’Israël, qu’elle a chevillé au corps et au cœur, toujours.
Un attentat pèse lourd dans la tête de tout témoin. Pour la créatrice, il aura bien sûr laissé des traces. Mais elle fait partie de ceux qui décident de ne pas faiblir, de ne pas faillir. Aujourd’hui, Else célèbre ses 20 ans de peinture et ses 10 ans de vie israélienne. L’occasion d’une soirée portes ouvertes dans sa galerie telavivienne le 29 décembre dernier. Au menu, rires, toiles et chants. Une ode à son art, mais aussi une sanctification de la vie et des Israéliens, qu’elle aime tant. 
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