Rien que pour vos yeux

L’exposition Lunettes qui vient de débuter au musée du Design de Holon va vous en faire voir

Claude Samuel a prêté 400 objets au musée du Design de Holon (photo credit: YANAI YEHIEL)
Claude Samuel a prêté 400 objets au musée du Design de Holon
(photo credit: YANAI YEHIEL)
Je suis parvenu à un âge de la vie – sans parler de mon bagage génétique – où j’aurais toutes les difficultés du monde à vivre au jour le jour sans mes lunettes. Je viens toutefois de découvrir que cet objet n’a pas pour unique fonction de permettre à tout un chacun de déchiffrer les petits caractères des journaux ou d’aller d’un point A à un point B sans buter sur des obstacles. Le musée du Design de Holon consacre à cet accessoire une exposition qui a été pour moi une véritable révélation. Elaborée par Maya Dvash, elle réunit quelque 400 objets choisis parmi la vaste collection, riche de plus de 1 300 objets, de Claude Samuel, un optométriste d’origine française installé à Tel-Aviv. L’événement retrace quatre siècles d’évolution humaine à travers des lunettes et des appareils qui leur sont associés. L’objet le plus ancien date du XVIIe siècle et d’autres sont résolument ancrés dans l’ère moderne. Certains d’entre eux vous feront même sourire ou froncer les sourcils…
La passion en héritage
Les yeux et les problèmes de vue ont toujours passionné la famille de Claude Samuel. « Entre la fin du XIXe siècle et le tout début du XXe, mon arrière-grand-mère arpentait les rues de Paris en proposant aux passants des tests de vision, puis elle leur confectionnait les lunettes les plus simples et les moins chères qui soient, avec un mécanisme à ressort. » Une passion qui s’est transmise ensuite de génération en génération : ainsi les grands-parents de Claude Samuel se sont-ils engagés à leur tour dans la profession en ouvrant un magasin à Strasbourg.
Malheureusement, les affaires dans la métropole alsacienne ne marchaient pas aussi bien qu’ils l’auraient souhaité. Estimant qu’un petit coup de publicité ne leur ferait pas de mal, ils envoient un pince-nez au chef de l’Etat français et placent ensuite dans leur vitrine une pancarte proclamant « Fournisseur du palais de l’Elysée ». Hélas, ce soutien présidentiel auto-généré n’a pas l’effet escompté sur les commandes. Découragé, le couple finit par tenter sa chance dans la capitale.
Cet intérêt pour les lunettes n’est pas le seul héritage qu’a reçu Claude Samuel : la dextérité est également une qualité familiale. « Mon père avait des doigts de fée », raconte-t-il fièrement. « Du coup, ma grand-mère prenait les commandes et c’était lui qui, dès l’âge de 13 ou 14 ans, travaillait dans la cuisine à découper les verres sur la meuleuse. » Une agilité qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, a rendu de fiers services à ce même père : en tant que membre de la Sixième, le réseau de résistance juive des Eclaireurs israélites de France, celui-ci a fabriqué de faux papiers qui ont sauvé de nombreux juifs de la Shoah. Sans ce talent, peut-être n’aurait-il pas lui-même survécu. Ce qui est certain, c’est que l’exposition Lunettes n’aurait jamais vu le jour. « Ma mère », relate Claude Samuel, « vient d’une riche famille à laquelle mon père a procuré de faux papiers. C’est comme cela que mes parents se sont rencontrés. »
La monture véhicule un message
Derrière chaque collection, se cachent toujours des histoires captivantes, et la compilation de Claude Samuel ne fait pas exception à la règle. A chaque vitrine, le visiteur est frappé par l’esthétique, ainsi que par l’évidente créativité dont ont fait preuve les concepteurs de l’exposition. En associant l’aspect visuel à l’angle personnel, ils ont mis en évidence la façon dont l’optométriste envisage sa profession : « La monture est un objet qui envoie un message », explique-t-il. « Or, la monture et la personne qui la porte ne vont pas nécessairement ensemble. Les porteurs de lunettes voudraient donner une certaine image d’eux-mêmes, mais la monture qu’ils choisissent en renvoie souvent une autre. Aussi, lorsqu’il reçoit un client, le professionnel doit essayer de comprendre à qui il a affaire, puis s’efforcer de libérer cette personne de ses idées préconçues. C’est cet aspect-là du métier qui me passionne, et ce qui fait que mon cabinet de Tel-Aviv s’est hissé au rang d’icône dans la culture des lunettes. »
Au fil des ans, Claude Samuel s’est intéressé à toutes sortes d’appareils ophtalmologiques. « Il y a une quinzaine d’années, j’ai commencé à acquérir de nouveaux objets, en plus de ce que je collectionnais avant ; depuis les années 1980, je recueille les vieilles paires de lunettes bon marché, celles que les gens jettent, parce que je considère qu’elles représentent une époque. » Il est donc fort possible que les archéologues du futur tombent un jour sur l’une des pièces récoltées par Claude Samuel il y a trente ans, et que tout excités ils se penchent sur le style, le matériau et les divers détails qui placeront cette découverte dans un espace-temps particulier de la civilisation humaine.
Objets merveilleux
Outre les lunettes, l’exposition présente toute une série d’objets saugrenus ou charmants que Claude Samuel a recueillis avec doigté, intelligence et surtout, passion. Prenez par exemple cet instrument du début du XXe siècle permettant de réaliser un auto-examen de l’œil, un objet aux allures de tambour en métal et bois de noyer véritablement ravissant. Il y a aussi ces exquises lorgnettes de style art nouveau admirablement ciselées, qui permettaient aux spectateurs français de mieux voir ce qui se passait sur scène au théâtre ou à l’opéra à la fin du XIXe siècle. Dans la même catégorie, on trouve également des jumelles de théâtre télescopiques du début XXe en métal, tissu et cuir, produit d’une autre époque et d’un autre état d’esprit.
Les objets merveilleux et étonnants fournis par Claude Samuel ne viennent pas tous de France. L’un des prédécesseurs de Sherlock Holmes assistant à une représentation théâtrale en compagnie d’une dame, aurait fort bien pu procurer à celle-ci un objet semblable à cet éventail du début du XVIIIe siècle muni d’un oculaire d’espionnage. Et puisque nous parlons d’espionnage, citons également d’autres accessoires, comme cette canne du début du XXe siècle équipée elle aussi d’un oculaire bien dissimulé.
Tout comme Claude Samuel, Maya Dvash a pour objectif d’offrir au public la perspective la plus large possible sur le thème des lunettes et de la vision. « Nous n’avons pas voulu organiser l’exposition de façon chronologique », explique-t-elle. « Il était important pour nous de présenter ce que nous appelons des stations culturelles, c’est-à-dire des situations dans lesquelles les lunettes jouent le rôle principal. » « Nous avons également cherché à présenter cet objet très personnel du point de vue de l’utilisateur, afin de donner à l’exposition un angle d’approche plus humain », ajoute-t-elle.
L’itinéraire comprend plusieurs parties. Le premier arrêt a pour sujet le point de vue médical, en termes de correction de la vue. « A l’origine, les lunettes étaient un appareil de correction et c’est seulement par la suite qu’elles sont devenues un objet de mode », indique Maya Dvash. Le style n’est d’ailleurs pas en reste. Les amateurs de musique rock ou pop qui ont passé la cinquantaine se souviennent des lunettes stupéfiantes portées par la star Elton John ; l’exposition présente deux de ces montures autant abracadabrantes qu’éblouissantes, dont une dotée de guitares qui sortent de chaque verre. Parmi les pièces les plus originales, un modèle du début du XIXe siècle avec d’étroites lamelles remplaçant les verres grossissants, utilisées par les esquimaux pour se protéger au cœur du blizzard et des tempêtes de neige.
Pour en prendre plein les yeux, rendez-vous à Holon…
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite