Terrorisme : l'heure du choix pour l'Allemagne

Malgré les attaques qui se succèdent sur son sol, l’Europe refuse d’admettre l’ampleur de la gangrène terroriste

La police allemande en intervention (photo credit: REUTERS)
La police allemande en intervention
(photo credit: REUTERS)
Nous sommes à Berlin, dans un cours de Krav Maga pour femmes. Oliver Hoffmann, fondateur et gérant de l’Ecole de combat et du contre-terrorisme de la capitale allemande, présente une étude de cas : une courte vidéo de l’attaque de Munich, prise à partir d’un Smartphone. On y voit le tireur sortir du McDonald’s et viser des jeunes gens qui tentent de s’évader par une autre porte. C’est la première fois qu’Oliver a l’occasion d’utiliser les images d’une attaque survenue en Allemagne comme support d’enseignement.
Hoffmann, né à Berlin d’une mère israélienne, dirige également une entreprise de sécurité qui travaille avec des institutions juives et des sociétés privées locales. Ses liens étroits avec Israël lui permettent d’être toujours à la pointe en matière de lutte contre le terrorisme. Il avait d’ailleurs prévu que les attaques de « loups solitaires » telles qu’on les voit en Israël feraient tôt ou tard leur apparition sur le sol européen. Pour lui qui a notamment aidé à planifier la sécurité des Maccabiades 2015 organisées dans la capitale allemande, les forces de police locales ne sont pas préparées à ce nouveau type d’attaque. « Je me bats pour faire admettre que sécuriser un événement avec deux ou trois policiers dans les rues n’est pas suffisant. Il est indispensable de bloquer les artères avec des véhicules de police. C’est aussi ce qui aurait pu éviter l’attaque du camion-bélier le 14 juillet à Nice. » De même, cela faisait plusieurs mois qu’Olivier enjoignait à la population de se préparer aux attaques aux couteaux. Les récents attentats en Bavière ont prouvé à quel point il avait vu juste.
Islamistes ou déséquilibrés ?
L’Allemagne est encore en état de choc après quatre attaques sur son sol en moins d’une semaine fin juillet. Il y a d’abord eu celle perpétrée à la hache par un jeune réfugié déclaré afghan dans un train à Würzburg, dans laquelle quatre personnes ont été blessées, puis la fusillade de Munich qui a fait neuf morts. Alors que selon un rapport initial, le jeune tueur germano-iranien aurait crié « Allahu Akbar », les enquêteurs ont plus tard estimé qu’il s’était inspiré du massacre de 77 personnes en Norvège il y a cinq ans. Le lendemain, un jeune réfugié syrien a tué une femme enceinte d’origine polonaise près de Stuttgart. Enfin, à Ansbach, en Bavière, un autre Syrien de 27 ans s’est fait exploser devant l’entrée d’un festival de musique, faisant douze blessés. Deux de ces attaques ont été revendiquées par l’Etat islamique.
Le mobile indéterminé de certaines de ces agressions a jeté le doute dans l’opinion : s’agit-il d’attentats terroristes ou d’attaques perpétrées par des déséquilibrés ? Un flou entretenu par le ministère de l’Intérieur qui s’est refusé de parler d’attentats tant que les investigations sont en cours. Résultat : une récente enquête menée dans les rues de Berlin a montré que les gens favorisent la théorie d’actes émanant de déséquilibrés. « Selon moi, les récentes attaques ont été motivées par une forme de désespoir ; l’idéologie de l’Etat islamique n’est qu’un prétexte », affirme ainsi Alexander, un avocat interrogé dans le tramway. Une analyse confirmée par Moritz, assis dans un café : « Le fait qu’il y ait tant de gens malheureux en Afghanistan, en Syrie et dans le reste du monde laisse prévoir une augmentation des attaques terroristes dans le monde. » Dans un kiosque à houmous, Bernard, à la fois prêtre et post-doctorant, hésite à blâmer l’islam radical.
« Il est difficile de qualifier ces incidents d’attaques terroristes, c’est un peu compliqué », dit-il. Pour Henryk Broder, auteur juif allemand et analyste bien connu, le fait de persister à voir dans ces attaques des actes émanant de déséquilibrés exprime une forme de psychose. Editorialiste au journal Die Welt, Broder a fait partie des quelques voix au sein des médias allemands qui ont tenté d’alerter le pays sur les risques terroristes, surtout face à l’afflux de migrants qui a vu plus d’un million de demandeurs d’asile syriens entrer dans le pays. « L’Allemagne est actuellement dans un état de déni », constate Broder, précisant qu’il inclut dans le terme « Allemagne » le gouvernement, l’élite intellectuelle et les médias traditionnels. « On considère trop souvent le citoyen lambda comme simplet voire “retardé”, ce qu’il n’est pas. Les Allemands voient bien que l’establishment tente de minimiser les attaques survenues dans le pays en refusant de les lier avec l’islam radical. C’est exactement comme dans les minutes qui ont précédé l’impact du Titanic avec l’iceberg. Les membres de l’équipage ont essayé jusqu’au bout de maintenir le moral des passagers en donnant l’ordre à l’orchestre de continuer à jouer. »
La racine du problème
Au lendemain des attaques, Angela Merkel a affirmé ne pas regretter sa politique d’accueil des réfugiés, assurant que l’Allemagne avait toujours « les moyens de relever ce défi historique ». Des arguments qui n’ont pas convaincu. Selon les résultats d’un sondage, 48 % des personnes désavouent totalement le « Yes we can » de la chancelière, tandis que 18 % le désapprouvent légèrement. Lors de la même conférence de presse, Merkel a annoncé un renforcement de la surveillance et du renseignement, donnant lieu, le jour suivant, à un raid des forces de l’ordre dans une mosquée salafiste.
Le mot d’ordre était donc donné, et le gouvernement s’est empressé d’empêcher que tout lien soit établi entre les attaques et l’afflux de migrants. « Comme l’a récemment expliqué le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière, la menace terroriste sur l’Allemagne était déjà considérable avant l’afflux de réfugiés. S’il est vrai que les autorités reçoivent de temps à autre des informations signalant la présence de terroristes parmi les demandeurs d’asile, les investigations sont menées aussi rapidement que possible », a indiqué le porte-parole du ministère de l’Intérieur. Des propos corroborés par un certain nombre d’experts ; selon eux, l’Allemagne était une cible potentielle du terrorisme avant même la vague d’immigration massive.
Ahmad Mansour, un Arabe israélien originaire de Tira, a immigré en Allemagne il y a douze ans. Il est l’une des quelques voix de l’islam modéré qui alertent contre les dangers de l’islam radical. Son travail de directeur de programme à la Fondation européenne pour la démocratie, tout comme son livre Generation Allah, a pour but de prévenir la radicalisation ; une menace exacerbée, selon lui, par la politique d’immigration de Merkel trop peu débattue, ainsi que le soutien du gouvernement allemand à certaines institutions affiliées aux Frères musulmans et aux nationalistes turcs. Pour lui, la racine du problème n’est ni l’EI, ni al-Qaïda, mais l’islam politique qui étend sa mainmise en Allemagne.
Si Mansour reconnaît que les dernières attaques perpétrées dans le pays pouvaient avoir des motifs différents, et qu’il fait la distinction entre l’attentat de Munich et les autres, il regrette néanmoins que beaucoup continuent à lier ces actes à des désordres mentaux, et à ignorer leurs liens avec l’islam radical. Le même mode de pensée a d’ailleurs été constaté à propos des attaques de Nice et d’Orlando, certains médias suggérant que la brutale radicalisation des terroristes était due à des difficultés d’ordre personnel ou psychologique. « Ce sont des inepties », martèle Mansour. « Cette idéologie ne s’est pas installée chez eux en une semaine. Ils la portent – du moins une version de celle-ci – depuis plusieurs années. »
D’après Bill Roggio, analyste du terrorisme islamiste, les deux aspects ne sont pas incompatibles, quelqu’un pouvant à la fois présenter des troubles mentaux et être identifié comme un djihadiste. « Les loups solitaires se contentent de respecter à la lettre les consignes émises par al-Qaïda et l’Etat islamique, qui encouragent ceux qui ne peuvent se rendre en Syrie ou en Afghanistan, à prendre les armes là où ils se trouvent. » Et même dans le cas où les attaques sont revendiquées par Daesh, Bill Roggio note que les gouvernements évitent soigneusement de les inclure dans une stratégie de djihad généralisé, qui vise à faire du monde un gigantesque califat régi par la seule charia (loi islamique).
« La situation est d’autant plus mauvaise qu’elle est irréversible », affirme Henryk Broder. « On ne peut ni remonter dans le temps, ni déporter les migrants. Le problème est que les autorités ne savent même pas qui se trouve sur le sol allemand. D’après les estimations, 400 000 demandeurs d’asile ont disparu sans laisser de traces. »
Pas en notre nom
Du côté des migrants, les derniers événements font craindre un retour de bâton de la part de la population. L’un de ces Syriens, qui a couvert la crise des réfugiés en tant que journaliste, explique à quel point il apprécie les opportunités offertes par Berlin, et exprime toute sa colère et sa tristesse après les dernières attaques terroristes. Concernant les motivations des assaillants, il affirme que « leurs racines se trouvent dans une idéologie religieuse biaisée qui ne sert qu’à étendre le pouvoir et le contrôle de ceux qui cherchent à briser l’ordre mondial. Leur idéologie macabre sera encore plus efficace si les gens commencent à avoir peur des réfugiés. »
Un autre réfugié confie que, même si la plupart des migrants syriens sont des gens éduqués qui rejettent le terrorisme, il en a rencontré d’autres qui ne cachent pas leur admiration pour l’Etat islamique. Ce musulman non pratiquant, qui a un faible pour Israël, m’a demandé de l’emmener à la synagogue ; en retour, il m’a fait visiter l’endroit où il vit avec des demandeurs d’asile de différentes origines. « Enlève simplement ton étoile de David avant de venir », m’a-t-il tout de même précisé en pointant du doigt le pendentif à mon cou.
Hagar Levin est israélienne. Elle a déménagé pour Berlin il y a quatre ans, et travaille pour Morus 14. L’organisation offre des services éducatifs et de loisirs aux enfants et aux adolescents issus de familles d’immigrants installées en Allemagne depuis plusieurs années. Tous vivent à Neukölln, un quartier habité par des immigrants de Turquie et de pays arabes qui connaît un mouvement de gentrification, devenant l’un des endroits les plus prisés des hipsters berlinois. « De nombreux résidents de Neukölln souffrent eux-mêmes du problème des réfugiés », relate Hagar Levin. « Ils ne s’identifient pas à eux et ne veulent absolument pas être confondus avec cette population. »
Elle dirige également un groupe nommé Shalom Rollberg qui tente de lutter contre l’antisémitisme au sein de ces communautés ; elle organise notamment des rencontres entre des juifs et ces enfants et adolescents à qui l’on a toujours enseigné que le mot « juif » était une insulte. Bien qu’elle fasse attention à ne pas tomber dans la généralisation, Hagar Levin estime qu’une discussion autour des motivations des attaques subies par le pays est indispensable. « Je pense que l’on prend trop de précautions quand il s’agit d’admettre que ces attentats ont été perpétrés au nom d’une religion », dit-elle. « Il est évident que chaque individu possède un vécu qui lui est propre et qui peut le pousser à agir de telle ou telle manière, mais on ne peut ignorer qu’il existe une caractéristique commune à toutes les attaques perpétrées ces derniers mois. L’islam radical existe bel et bien. J’en vois les effets tous les jours dans le pays et également chez les enfants et les adolescents que je côtoie. »
Pour cette Israélienne, la solution réside dans le fait de rééduquer les enfants en leur enseignant des notions de tolérance, de respect et de liberté religieuse. Malgré toutes les difficultés et les risques, Hagar Levin pense que l’Allemagne a eu raison d’ouvrir ses portes aux réfugiés. « On ne peut pas résoudre tous les problèmes en un claquement de doigts. C’est un processus qui prend du temps.
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