Washington-Jérusalem, avis d’éclaircies ?

A quelques jours des élections, les plus proches conseillers de la candidate démocrate dévoilent les détails du plan de rapprochement avec l’allié israélien

Laura Rosenberger, conseillère principale  en politique étrangère Laura Rosenberger et le rédacteur de discours Dan Schwerin (photo credit: BARBARA KINNEY/HILLARY FOR AMERICA CAMPAIGN PHOTOGRAPHER)
Laura Rosenberger, conseillère principale en politique étrangère Laura Rosenberger et le rédacteur de discours Dan Schwerin
(photo credit: BARBARA KINNEY/HILLARY FOR AMERICA CAMPAIGN PHOTOGRAPHER)
Après huit ans de turbulences, Hillary Clinton compte bien tourner la page. Si elle est élue à la Maison-Blanche, la candidate démocrate a l’intention de faire son possible afin de restaurer toute la confiance entre Jérusalem et Washington. A entendre ses principaux collaborateurs, l’ancienne secrétaire d’Etat n’aspire qu’à une chose : remettre sur le devant de la scène les nombreux points de convergence entre les Etats-Unis et l’Etat juif. Pour elle, expliquent-ils, la tactique adoptée par Barack Obama s’est révélée contre-productive et a desservi ses intentions de faire avancer la paix avec les Palestiniens. « Restaurer la confiance sera relativement simple pour Hillary Clinton », affirme Martin Indyk, ex-envoyé spécial de la Maison-Blanche pour les négociations israélo-palestiniennes de 2013 à 2014. « La dernière chose qu’elle souhaite est de reproduire l’attitude de son prédécesseur. Elle sait qu’il a fait fausse route avec les Israéliens. »
La première rupture entre Israël et Barack Obama s’est produite le 4 juin 2009 au Caire. Après avoir appelé Israël, depuis la plus grande ville du monde arabe, à cesser de développer ses implantations en Judée-Samarie, le président américain a choisi de ne pas se rendre à Jérusalem. Il a délibérément ignoré l’Etat juif lors de ce qui était pourtant son premier voyage au Proche-Orient, avec un objectif clair : redorer le blason des Etats-Unis auprès des pays arabes. Les proches de Clinton confient que celle-ci, secrétaire d’Etat à l’époque, s’est alors interrogée sur la nouvelle stratégie de la Maison-Blanche. Sur quoi les conseillers du président lui ont rétorqué que cette approche était non seulement justifiée, mais également dans l’intérêt de l’Etat juif : le gouvernement israélien étant défaillant, Washington se devait d’exercer une pression sur ce dernier dans l’intérêt sécuritaire et démocratique du pays. Les proches de Clinton affirment que l’actuelle candidate démocrate n’était pas d’accord avec cette analyse. Si elle soutient sans réserve les vues d’Obama concernant le modèle à deux Etats, elle rejette clairement sa façon de procéder. « Hillary Clinton ne pense pas qu’une solution puisse être imposée dans le conflit israélo-palestinien », assure Wendy Sherman, l’une de ses plus proches conseillères.
La lucidité de Clinton
Ceux qui connaissent la candidate démocrate décrivent ses affinités avec Israël comme ancrées dans une école américaine de pensée traditionnelle : elle perçoit l’Etat juif à travers le prisme d’une génération qui a été témoin des difficultés de ce dernier pour affirmer son caractère national, et qui l’a vu, au final, s’imposer comme un havre de démocratie dans un Proche-Orient dominé par des régimes dictatoriaux. Clinton a donc bien conscience des durs combats qui ont façonné l’état d’esprit israélien, et se range notamment sur la ligne de Netanyahou lorsqu’il définit le terrorisme comme une menace globale à l’encontre des sociétés civilisées.
« Elle partage une connexion de vues avec Israël sur le plan à la fois émotionnel et stratégique », indique le diplomate Dennis Ross qui a servi dans les administrations Clinton, Bush et Obama. « Il y a une différence instinctive entre Hillary Clinton et Obama », souligne Ross. « Celle-ci est plus attentive à la façon de traiter avec les Israéliens, de manière à ne pas les braquer. Si elle juge que nombre de concessions reviennent aux Israéliens étant donné leur position de force par rapport aux Palestiniens, elle sait aussi que pour danser le tango, il faut être deux. »
Autre différence notoire avec Obama : la candidate démocrate ne considère nullement le terrorisme en Israël comme une conséquence directe de la politique gouvernementale. Elle le perçoit bien comme « la manifestation d’un extrémisme », selon plusieurs déclarations faites en décembre dernier, et y voit l’un des points centraux de convergence des intérêts américains et israéliens en matière de sécurité. Il est également probable qu’Israël bénéficie d’un large soutien de Washington à l’ONU si Hillary Clinton devait être aux commandes. Celle-ci se montre d’ores et déjà fermement opposée à la proposition examinée actuellement par les Nations unies de donner une dimension internationale au conflit israélo-palestinien en définissant les paramètres d’une solution à deux Etats. Proposition que l’administration Obama pourrait décider de soutenir avant de tirer sa révérence en janvier prochain.
Des dissensions qui devraient persister
Quid des implantations de Judée-Samarie ? Dans son livre Hard Choices (Des choix difficiles) paru en 2014, Hillary Clinton écrivait regretter la position de l’administration Obama sur la question, et la jugeait « précipitée ». « Cela nous a enfermés dans des rapports de confrontation inutiles et totalement stériles avec Israël qui n’ont pas fait avancer les choses », pointait la démocrate. Ainsi Clinton s’est-elle vivement irritée du moratoire sans précédent imposé par Obama sur les constructions dans les implantations en 2009 alors qu’elle était secrétaire d’Etat, indique Dennis Ross. Une manœuvre qui a poussé Benjamin Netanyahou à annoncer un gel des constructions de dix mois.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : à l’instar de tous les présidents américains depuis la pose de la première pierre juive en Judée-Samarie, Hillary Clinton, également persuadée que cette politique est un obstacle à la solution à deux Etats, a bien l’intention de s’opposer à l’extension des implantations juives dans la région. « Le gouvernement israélien a un rôle clé à jouer », dit David Makovsky, conseiller de la Maison-Blanche au cours des négociations entre Israéliens et Palestiniens en 2013-2014. « Il a une chance de tourner la page avec Washington après huit ans de tensions. C’est pourquoi il doit se montrer prudent sur le dossier des implantations, sous peine de raviver certaines tensions. » Même son de cloche chez Stuart Eizenstat, ancien ambassadeur américain à l’Union européenne et secrétaire adjoint au Trésor, qui considère que les implantations resteront un sujet de dissensions, même si Hillary Clinton est opposée au fait d’exiger un gel des constructions sans en discuter au préalable avec le Premier ministre israélien. Le grand atout de l’ancienne secrétaire d’Etat dans le dossier israélo-palestinien est sa bonne connaissance de la politique israélienne : une carte maîtresse qui devrait lui permettre de se montrer lucide au moment de juger de ce qu’il est possible de faire et à quel moment.
Difficile de cerner les véritables convictions de la candidate démocrate concernant l’Etat juif dans la correspondance électronique révélée dernièrement par Wikileaks. On y trouve pêle-mêle des conseils de tout bois délivrés à l’équipe de Clinton par des consultants non officiels, partisans, pour certains, d’une politique mesurée par rapport à l’allié israélien, quand d’autres prônent au contraire une ligne plus dure. Dans l’entourage de la candidate, on souligne qu’elle verrait d’un bon œil une initiative de paix venant du monde arabe, à l’image de celle proposée dernièrement par le président égyptien al-Sissi, qu’elle soutiendrait en y apportant quelques modifications significatives : Israël devrait notamment être reconnu comme Etat juif, et un processus sans équivoque de normalisation des relations entre celui-ci et le monde arabe devrait être mis en place. Mais quelle que soit la voie qui émerge, une seule certitude : Clinton restera ferme dans sa conviction que la seule issue au conflit passe par l’instauration de la solution à deux Etats, même si elle reconnaît que le contexte actuel n’est pas favorable à l’avancée du processus de paix.
Prudente face à l’accord iranien
Pour ce qui est du nucléaire iranien, la candidate démocrate se trouve dans une position inconfortable. Si elle voit d’un bon œil les clauses de l’accord impliquant la multiplication des inspections des installations nucléaires de Téhéran – qui offrent au monde occidental une visibilité sans précédent sur ce qui s’y trame – les clauses de temporisation l’inquiètent profondément : celles permettant de lever peu à peu toutes les restrictions sur l’Iran, et facilitant, à terme, le développement de son programme nucléaire à échelle industrielle. Alors que le plan de l’accord se mettait en place, Hillary Clinton a donc appelé les Israéliens. « Ne vous impliquez pas dans le processus », lui ont conseillé les dirigeants de l’Etat juif. Le message était clair : la candidate démocrate devait saisir l’opportunité de prendre ses distances avec l’accord iranien, et ainsi conserver toute sa crédibilité pour renforcer les termes de celui-ci une fois arrivée au pouvoir. Un conseil qu’elle a choisi de suivre. « Les gens raisonnables peuvent ne pas être d’accord », a-t-elle déclaré peu de temps avant la signature du plan entre la république des mollahs et les grandes puissances.
Cette attitude a rassuré Israël, qui voit en Hillary Clinton un dirigeant américain plus traditionnel qu’Obama. Mais les plus critiques avancent toutefois qu’elle pourrait s’entourer d’ex-conseillers de ce dernier, largement acquis à la cause du traité sur le nucléaire, et qu’ils finiront par la convaincre de soutenir l’accord sans réserves. La candidate démocrate est particulièrement préoccupée par le fait que des bouleversements politiques internes en Iran pourraient mettre fin à l’accord. Si elle est élue, elle a donc bien l’intention de soutenir la reconduction de la loi américaine sur les sanctions à l’encontre de Téhéran, une manœuvre jugée non nécessaire par l’administration Obama mais qui, selon elle, enverra un message clair d’avertissement au régime chiite. Elle envisage notamment des mesures punitives si celui-ci poursuit ses tests de lancement de plus en plus fréquents de missiles balistiques. Par ailleurs, elle devrait s’attacher à renforcer la coopération entre les services de renseignement israéliens et ceux de ses voisins dans la surveillance des activités iraniennes.
Plus que tout, ses proches décrivent Hillary Clinton comme une pragmatique. En tant que telle, elle a la conviction que la politique d’un Etat est forgée pour l’essentiel par la personnalité de son dirigeant. C’est vrai en Iran, en Israël, dans les Territoires palestiniens et partout ailleurs. Dans cette logique, Clinton espère que son amitié avec les dirigeants israéliens sera un atout afin d’améliorer les relations bilatérales entre les deux pays. Si l’élection de la démocrate a bien lieu, elle devrait donc être l’occasion de restaurer un leadership américain plus traditionnel au Proche-Orient, fondé sur le leitmotiv qu’on lui connaît : la sécurité d’Israël d’abord, les négociations après. 
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