Hezbollah : bientôt la banqueroute ?

Après l'entrée en vigueur de la loi votée par le Congrès américain en avril dernier, une mesure qui porte ses fruits

Discours du leader de la milice chiite, dix ans après la fin de la guerre avec Israel (photo credit: REUTERS)
Discours du leader de la milice chiite, dix ans après la fin de la guerre avec Israel
(photo credit: REUTERS)
Riad Salameh, le gouverneur de la Banque du Liban, est probablement l’homme le plus courageux de son pays. Il est certes maronite, mais au vu de sa détermination à s’opposer au Hezbollah, il a parfois fait preuve d’un jusqu’au-boutisme à faire pâlir les plus grands terroristes de l’organisation chiite. Les banquiers américains et européens qui l’ont rencontré ont d’ailleurs souvent admis qu’à sa place, ils ne fermeraient pas l’œil de la nuit.
Et pour cause. Le secteur bancaire libanais est en effet devenu le rouage majeur de la lutte anti-Hezbollah menée par les Etats-Unis, à travers une loi exigeant des banques de cesser leur financement de la milice chiite.
Sous l’égide de Salameh, la Banque centrale a donc poussé les créanciers et les banques du pays à suivre les directives américaines ; des établissements tels que la BLOM ont ainsi fermé les comptes appartenant à des gens suspectés d’entretenir des liens avec le groupe terroriste. La réaction ne s’est pas fait attendre : il y a deux mois, une bombe a explosé à l’extérieur des bureaux de la banque au centre de Beyrouth, causant un certain nombre de dommages. Bien que personne n’ait revendiqué l’attentat, officiels, experts en sécurité et banquiers libanais sont persuadés que le Hezbollah se trouve derrière cette attaque. Comme un message envoyé à Riad Salameh et au système bancaire national.
Des résultats probants
La fameuse loi votée par le Congrès américain il y a un an dans le but déclaré d’asphyxier la milice terroriste, est entrée en vigueur en avril dernier. Pour des résultats plus que probants : « Après des années de sanctions engagées contre lui, le Hezbollah se trouve aujourd’hui dans la plus mauvaise situation financière de son histoire », a expliqué Adam Szubin, secrétaire au terrorisme et au renseignement financier au sein du département du Trésor américain, devant des représentants et sénateurs réunis au Congrès. L’homme est aujourd’hui désigné comme le « Monsieur Finance du terrorisme », dans les efforts de Washington pour sanctionner certains Etats comme la Russie ou l’Iran, ainsi que des groupes terroristes comme le Hezbollah. La nouvelle loi doit ainsi permettre à Washington de cibler ceux qui facilitent les transactions pour la milice chiite ainsi que chaque individu, entreprise ou institution liés au groupe islamiste.
La majorité des banques libanaises n’a pas montré trop d’états d’âme : les chrétiens maronites ou orthodoxes qui possèdent ou dirigent la plupart d’entre elles ne cachent pas leur désaffection pour le Hezbollah. L’application de la législation américaine au Liban est également soutenue par le fait que la banque est l’un des secteurs majeurs de l’économie du pays et une précieuse source de revenus, non seulement pour les citoyens libanais mais aussi pour les pays arabes de la région, Arabie saoudite et émirats du Golfe inclus. Le Liban était d’ailleurs connu il y a quelques décennies pour être la « Suisse du Moyen-Orient ».
Parmi les personnes déjà visées par les Etats-Unis figurent bien évidemment le chef de l’organisation Hassan Nasrallah, l’un des principaux commandants de la milice Mustafa Badreddine, mystérieusement mort à la suite d’une explosion en Syrie à la mi-mai, ainsi que de nombreux hommes d’affaires libanais. La liste inclut également les groupes de médias appartenant au mouvement, la chaîne de télévision Al-Manar et la station de radio Al-Nour.
« Suivre l’argent »
Malgré les déclarations de Nasrallah qui affirme que les sanctions n’affecteront pas son mouvement, les communautés du renseignement israélien et américain qui travaillent main dans la main afin de suivre les flux financiers de l’organisation, connaissent la vérité : ces différentes mesures nuisent effectivement aux capacités du Hezbollah et l’affaiblissent inexorablement.
Etonnamment, Israël, qui a pourtant souffert du terrorisme pendant des années et se trouve à la tête de la lutte et de l’innovation contre ce fléau, a mis du temps avant de se rendre compte qu’il fallait avant tout « suivre l’argent ».
C’est le regretté Meir Dagan, d’abord conseiller du Premier ministre en contre-terrorisme et plus tard directeur du Mossad, qui a fait prendre conscience de l’importance de suivre les échanges permettant au terrorisme de se financer. Il est ainsi celui qui a établi un département spécial consacré à cette lutte regroupant des experts du Shin Bet, des renseignements militaires, de la Banque d’Israël et de différentes banques commerciales.
Au début, l’agence s’est surtout consacrée aux transferts d’argent et au blanchiment de fonds par l’Autorité palestinienne, l’OLP, le Hamas et le Djihad islamique. A un certain moment, l’unité spéciale du Mossad a même essayé de collecter des informations sur les finances du couple Arafat, notamment sur l’ouverture de comptes secrets à l’étranger par l’ancien leader de l’Autorité palestinienne. Mais ces dix dernières années, ce service de renseignement s’est principalement concentré sur le Hamas et le Hezbollah, particulièrement sur leurs liens financiers avec l’Iran. Du côté américain, le nombre d’agences impliquées dans cette tâche est plus important encore, incluant la CIA, le FBI, la NSA, le Secret Service et d’autres. Tous ces agents travaillent en étroite collaboration et présentent leurs rapports à Adam Szubin, très apprécié de ses homologues israéliens.
Szubin a déjà visité Israël plusieurs fois, en particulier avant la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran. Il avait alors été mandaté par le gouvernement américain pour calmer Israël, qui craignait que les sanctions à l’encontre de la République islamique ne soient levées prématurément. Il est évident que, contrairement à la croyance largement répandue parmi le public israélien et les médias du pays, toutes les sanctions américaines contre l’Iran n’ont pas été levées avec la mise en place de l’accord nucléaire. Les sanctions contre certaines personnes et entreprises impliquées dans le programme de missiles balistiques iranien restent ainsi d’actualité, et donc celles qui visent en particulier les Forces Al-Quds et ses commandants. Restent également visés les groupes sponsorisant ou menant des opérations terroristes au nombre desquels le Hezbollah.
Szubin n’a d’ailleurs pas manqué au cours de son allocution au Congrès de préciser que l’Iran fournit armes et financement à la milice chiite, et souligné que l’accord nucléaire ne changeait rien aux efforts américains contre le groupe islamiste.
Ces sanctions visant le Hezbollah interdisent aux banques, que ce soit au Liban ou ailleurs, de laisser des personnes membres de l’organisation ou liées à elle ouvrir des comptes. Les ministres et parlementaires affiliés au Hezbollah ne sont pas épargnés. Idem pour les entreprises dirigées par des membres du mouvement ou associées à lui. Szubin a fait savoir qu’en janvier 2016, les Etats-Unis ont démantelé un réseau important de soutien financier du Hezbollah reposant sur le blanchiment d’argent lié à des activités criminelles.
L’intransigeance de Salameh
Il y a quelques semaines, une délégation de banquiers libanais menée par Salameh s’est rendue à Washington pour y rencontrer des officiels du département du Trésor américain dont Szubin, dans l’espoir d’assouplir la loi anti-Hezbollah. Peine perdue : ce dernier s’est montré intransigeant, expliquant aux Libanais qu’ils n’avaient pas le choix. Salameh et ses collègues ont alors compris que si elles n’adhéraient pas totalement à la loi, les banques du pays risquaient gros. Ils ont dû se rappeler comment en 2011, les sanctions américaines avaient entraîné la presque faillite d’un établissement bancaire libanais, créancier de l’organisation terroriste chiite.
Riad Salameh est l’un des hauts fonctionnaires les plus appréciés de son pays. Jusque récemment, il était d’ailleurs considéré comme un candidat plausible pour occuper le fauteuil de président, laissé vacant durant plusieurs années en raison de l’impasse politique résultant des dissensions entre le Hezbollah et ses opposants. Cependant, ses prises de position auront eu raison de son avenir politique, sans compter le fait que selon de nombreux observateurs, Salameh vit actuellement en sursis. « Rares sont les compagnies qui accepteraient aujourd’hui de lui vendre une assurance-vie », affirme ainsi un ancien agent israélien du renseignement, faisant allusion à la probable volonté du Hezbollah de se débarrasser de lui.
Le Hezbollah assiégé financièrement
Conscient que les canaux financiers officiels lui sont désormais fermés, le Hezbollah a donc renoué avec la bonne vieille méthode des transferts d’argent en liquide par des intermédiaires de confiance. Pendant des années, la milice terroriste a profité des fruits des différents trafics dans lesquels elle était impliquée, du commerce de la drogue à celui des appareils électriques, en passant par celui du diamant ou la contrebande de cigarettes. Ces derniers mois, ces activités ont surtout servi à financer l’achat d’armes, de téléphones satellites cryptés et d’équipements militaires. Dans un véritable jeu du chat et de la souris, le Hezbollah tente ainsi de manœuvrer tout en échappant aux radars financiers internationaux et à ceux des services de sécurité occidentaux et israéliens. L’exemple d’une cellule du Hezbollah basée en Europe et récemment démantelée à la faveur d’une coopération des différentes agences de renseignement, illustre bien cette réalité. L’enquête a ainsi démontré que cette cellule avait utilisé plusieurs millions de dollars issus d’un trafic de cocaïne en Amérique du Sud, afin de procurer des armes aux combattants du Hezbollah en Syrie.
Ce siège contre l’organisation chiite est loin de s’arrêter aux frontières des Etats-Unis ou du Liban. Il est également le fait de presque toutes les banques et institutions financières à travers le monde, y compris celles de la Chine, qui ne veut pas risquer de se mettre les Etats-Unis à dos. Les difficultés économiques du Hezbollah sont encore accentuées par son implication dans le bourbier syrien, une guerre qui lui a coûté cher puisqu’il y a perdu 1 600 de ses combattants, tandis que des centaines ont été faits prisonniers. Il va donc sans dire que l’organisation chiite, qui compte 45 000 miliciens, est en besoin d’argent constant. Son budget est aujourd’hui estimé à un milliard de dollars dont les 70 % viennent d’Iran, et le reste de différents trafics et taxes. Cependant, le réservoir financier iranien est loin d’être inépuisable, d’autant plus que Téhéran connaît ses propres difficultés budgétaires. Une situation qui l’a poussé à retenir des fonds normalement destinés au Hezbollah, engendrant une série de conséquences en chaîne au sein de la milice chiite. A commencer par le retard de paiement des salaires de ses membres, ainsi que des subventions accordées aux blessés et aux familles des combattants morts en Syrie. Ce sont ensuite ses actions traditionnelles dans le domaine de l’éducation, de la santé et du social qui ont été lourdement touchées, provoquant une baisse significative de sa popularité parmi la population chiite libanaise. Depuis sa création il y a 36 ans, le Hezbollah n’a jamais paru aussi fragilisé qu’aujourd’hui. Peu étonnant dès lors qu’il répète à l’envi ne pas vouloir de nouvelle guerre avec Israël.
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