Corruption : cet ennemi de l’intérieur

Si les cas de malversations se multiplient en Israël, les autorités du pays se montrent déterminées à combattre ce fléau. Beaucoup d’Etats ne peuvent en dire autant

Arrivée des enquêteurs à la résidence du Premier ministre (photo credit: FLASH90)
Arrivée des enquêteurs à la résidence du Premier ministre
(photo credit: FLASH90)
Le combat acharné des autorités judiciaires et policières pour démasquer et punir la corruption, contribue au succès d’Israël en tant que « start-up nation ». Ainsi, les investisseurs étrangers n’hésitent pas à acheter des jeunes pousses israéliennes. S’ils sont attirés avant tout par la foisonnante créativité des entreprises, par l’excellence des ingénieurs et par un système économique qui encourage l’initiative, le facteur confiance reste déterminant, et ils considèrent l’Etat juif comme fiable. C’est ce qui fait la grande différence avec d’autres pays tout aussi performants en termes de technologie, mais moins répressifs face à la corruption.
Un facteur négatif pour l’économie
En rencontrant récemment un groupe d’universitaires estoniens, je me suis ainsi demandé pourquoi leur pays, ancienne république de l’ex-bloc soviétique, connu pour l’excellence de ses ingénieurs en informatique, n’accédait pas au rang de « start-up nation ». Au sein de son université Tartu datant du XVIIe siècle, l’Estonie dispose en effet d’un centre de recherche en science informatique remarquable, réputé dans le monde entier, héritage du système éducatif de l’ancienne Union soviétique, qui avait mis l’accent sur les matières scientifiques. A l’époque de l’URSS et de la guerre froide, les dirigeants du pays, victimes de paranoïa aiguë, avaient développé leurs propres systèmes informatiques, procédé à de nombreuses recherches, refusant d’utiliser et d’exploiter les techniques de l’Ouest, considérées comme subversives et dangereuses.
L’Estonie a fait la preuve de sa compétence en informatique avec Skype. C’est en effet dans cette petite république balte qu’est née en 2003 cette société de téléphonie par Internet, conçue par trois Estoniens, un Suédois et un Danois. Propriété du géant américain Microsoft depuis 2011, Skype dispose toujours d’un important centre à Tallinn, capitale du pays, où travaillent la moitié de ses employés. Piqué par la curiosité, j’ai donc demandé à mes visiteurs pourquoi l’Estonie, compte tenu de son savoir-faire, n’arrivait pas à décoller dans le high-tech à l’image d’Israël. Leur réponse a tenu en un seul mot : corruption. Et d’expliquer : « Seriez-vous prêts à travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour créer une société qui, au bout du compte, ne vous rapportera rien financièrement parce que victime d’un système de corruption généralisé, organisé par des fonctionnaires véreux et des intermédiaires peu scrupuleux ? »
Gangrène russe
Ceci explique en partie pourquoi en Russie également, l’industrie du high-tech est toujours balbutiante, malgré l’excellence de ses ingénieurs. Israël a d’ailleurs profité dans les années 1990 de l’arrivée de scientifiques russes, formés dans l’ex-URSS, qui ont largement contribué au développement du secteur de la haute technologie. L’esprit entrepreneurial y est étouffé par une corruption endémique, comme l’illustre le dernier classement établi par l’ONG Transparency international. La Russie se trouve au 131e rang sur un total de 176 pays en termes d’indice de perception de la corruption (IPC). Cet indice, qui intègre une large part de subjectivité et doit donc être manié avec précaution, est calculé à partir d’enquêtes menées auprès d’hommes d’affaires, de politiques, d’universitaires interrogés sur leur perception de la corruption dans leur pays. Dans le cas de la Russie, cet indice n’a pas de raison d’être mis en doute. Il reflète la réalité sur le terrain, et explique pourquoi les investisseurs étrangers et les entrepreneurs sont si réticents à mener des affaires dans le pays.
Au sein de ce même classement, Israël pointait au 28e rang en 2016. Un recul par rapport à 2001, alors que le pays occupait la 16e place, mais une amélioration par rapport à 2012 où il se classait au 39e rang. La perception de la corruption est donc moindre aujourd’hui qu’il y a quatre ans, mais l’image d’Israël est malgré tout ternie. Elle a notamment beaucoup souffert du scandale dans lequel a été impliqué l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert, comme le montre la forte chute de l’IPC entre 2001 et 2012. Pour information, le Danemark est le pays le plus exemplaire selon les données de l’ONG : il caracole en tête du classement des nations les moins corrompues au monde, et ce depuis de nombreuses années.
La corruption freine donc les velléités des entrepreneurs et investisseurs étrangers en Russie, mais aussi dans les anciens pays satellites, d’autant que parfois, le pouvoir central n’hésite pas à utiliser la peur et à menacer de mort ou de prison certains d’entre eux. Bill Browder, un juif américain qui a créé le fonds d’investissement Hermitage Capital Management en a fait l’amère expérience. Lors de la vague de privatisation des entreprises publiques de l’ancienne Union soviétique dans les années 1990, il était l’un des principaux investisseurs étrangers du pays, avec le banquier Edmond Safra. C’est alors qu’il a commencé à dénoncer les pratiques de corruption qui entachaient toutes ces privatisations, et la manière dont le pouvoir à Moscou mettait la main sur les entreprises avec l’aide de juges et policiers corrompus. « Vous deviez vous battre et devenir un actionnaire militant pour éviter que tout vous soit volé », a-t-il expliqué. Les accusations de Bill Browder touchaient directement Poutine et son entourage.
En 2006, le gouvernement russe a donc décidé d’expulser Browder, le présentant comme « une menace pour la sécurité nationale ». L’entrepreneur et son fonds Hermitage ont été accusés par Moscou de fraude fiscale : une accusation dangereuse, qui peut conduire à des années de prison comme ce fut le cas pour l’oligarque et opposant Mikhail Khodorkovsky, ancien président de la société pétrolière Youkos et l’un des hommes les plus riches de Russie. Accusé d’escroquerie et de fraude fiscale, celui-ci a été emprisonné durant dix ans.
D’autres ne s’en sortent pas vivants. L’avocat russe de Browder, Sergei Magnitsky, qui avait dénoncé de vastes malversations fiscales a été arrêté le 16 novembre 2009 ; il est mort en prison dans des circonstances obscures. Depuis, Bill Browder mène une campagne en mémoire de son avocat et a milité pour l’adoption d’un projet de loi par le Congrès américain connu sous le nom de « loi Magnitsky ». Cette législation adoptée en 2012, interdit à certains fonctionnaires russes, suspectés d’être impliqués dans cette sordide affaire de meurtre, d’obtenir des visas d’entrée aux Etats-Unis. Les suspects sont également sous le coup de sanctions financières, dont un gel de leurs avoirs en Amérique. Cette loi a provoqué la colère du président russe Vladimir Poutine car elle a affecté plusieurs de ses proches. Moscou ne cesse depuis de tenter de la faire abroger. La fameuse rencontre entre Donald Trump Jr. et Natalia Veselnitskaya, une avocate proche du Kremlin, qui a longtemps focalisé l’attention des médias et fait l’objet d’investigations dans le cadre de l’influence de la Russie sur la campagne électorale américaine, ferait aussi partie des tentatives menées par Poutine pour conduire à l’annulation de cette loi.
Une situation préoccupante
En Israël, la corruption n’atteint pas les mêmes degrés qu’en Russie, loin s’en faut, grâce à des autorités judiciaires et policières indépendantes du pouvoir en place. Mais il n’en reste pas moins que la situation peut être considérée comme préoccupante. Il y a quelques années, l’ONG Transparency International avait analysé les pratiques en vigueur dans l’Etat juif, et avait conclu que le favoritisme était répandu à tous les échelons. Les Israéliens utilisent d’ailleurs le terme de « protectsia » signifiant que grâce à vos relations personnelles vous pouvez profiter d’aides et résoudre nombre de difficultés. Quelque 80 % des Israéliens estiment que cette pratique est indispensable, notamment quand il s’agit d’avoir affaire au secteur public. Sur cet aspect, le pays se trouve au même niveau que le Liban, l’Ukraine et la Russie. Et si l’on prend en compte les grands groupes d’intérêts privés qui seraient protégés par le gouvernement, Israël fait partie, avec la Grèce, des plus mauvais élèves parmi les pays de l’OCDE, indiquant de graves manquements dans la gouvernance.
Si l’Etat hébreu est touché par la corruption, il faut également clamer haut et fort que les Israéliens ne restent pas les bras croisés face à ce phénomène. Transparency International reconnaît d’ailleurs que les citoyens sont soucieux de lutter contre la corruption. Cette volonté de dénoncer ces pratiques s’illustre à travers de nombreuses procédures judiciaires qui ont secoué ces dernières années le monde politique et économique, allant jusqu’à éclabousser l’actuel Premier ministre Benjamin Netanyahou. Ces initiatives ont mené plusieurs escrocs en prison, ce dont on ne peut que se féliciter. C’est loin d’être le cas partout, que ce soit en Russie, au Brésil ou en Ukraine.
Sur Wikipédia, l’encyclopédie en ligne, la liste de personnalités en Israël accusées de malversations financières et de délits est longue, et comporte les noms des plus hautes autorités de l’Etat. Ainsi, un président (Moshé Katsav), un Premier ministre (Ehoud Olmert), neuf ministres (Aharon Abuhatzeira, Shlomo Benizri, Aryeh Deri, Tzahi Hanegbi, Avraham Hirschson, Yitzhak Mordechai, Rafael Pinhasi, Haïm Ramon et Gonen Segev), une douzaine de députés à la Knesset et deux maires (Zvi Bar et Uri Lupolianski) ont été inquiétés, et nombre d’entre eux mis en prison.
Le nombre de malversations augmente certes de manière alarmante, mais il y a une certaine satisfaction à constater que parallèlement, les investigations diligentées par les autorités progressent. Les exigences de transparence sont également renforcées. Ceux qui sont en charge de mener des enquêtes le font avec de plus en plus de conviction. Il y a peut-être plus d’escrocs que jamais en Israël, mais ils ne restent pas impunis, comme c’est le cas dans de nombreux pays où des fonctionnaires véreux continuent à profiter du système politique qui les protège et avec lequel ils partagent leur fortune.
« Les grands cas de corruption, depuis Petrobras et Odebrecht au Brésil, à l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, montrent comment la collusion entre les entreprises et les politiciens prive les économies nationales de milliards de dollars de recettes, siphonnés au profit de quelques personnes. Ce type de corruption systémique viole les droits humains, empêche le développement durable et alimente l’exclusion sociale », explique Transparency International.
Le Brésil est un exemple flagrant des ravages de la corruption endémique. L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, une des figures les plus populaires de l’histoire du pays, est accusé de corruption ; Dilma Rousseff, qui lui a succédé, a dû renoncer à son poste, éclaboussée par un scandale de manipulation comptable qui aurait aidé à sa réélection ; enfin, l’actuel président Michel Temer, également au centre d’affaires de corruption, est sans cesse menacé de destitution.
Pendant longtemps, le pays a fermé les yeux sur ces malversations, faisant sienne l’expression populaire portugaise « Rouba mas faz » qui signifie « il vole, mais il est efficace . Le Brésil s’accommodait de la corruption, qui faisait partie de sa culture depuis des décennies. Mais désormais, cette période de laxisme est terminée, et le système judiciaire s’attaque à cette gangrène.
Netanyahou en eaux troubles
En Israël, quatre affaires de corruption sont actuellement à la une de l’actualité et font l’objet d’investigations, impliquant toutes, de près ou de loin, le Premier ministre. Dans l’affaire 1000, Benjamin Netanyahou est soupçonné d’avoir accepté des cadeaux de milliardaires, dont de coûteux cigares, de prestigieux champagnes et des bijoux. Ces hommes d’affaires auraient en retour obtenu des interventions du chef du gouvernement en leur faveur.
L’affaire 2000 met en évidence des enregistrements dans lesquels le Premier ministre s’entretient avec Arnon Mozes, patron du quotidien Yediot Aharonot. Au cours de ces discussions, Benjamin Netanyahou aurait demandé une couverture médiatique plus favorable à son égard, en échange de quoi il se serait engagé, par un procédé législatif, à diminuer le pouvoir du journal gratuit concurrent Israël Hayom, fondé par son ami, le milliardaire américain Sheldon Adelson.
L’affaire 3000 est complexe et particulièrement sensible car elle concerne la défense et la sécurité d’Israël. Il s’agit de l’achat de sous-marins et de navires patrouilleurs allemands auprès de l’entreprise ThyssenKrupp. Le procureur général Avihai Mandelblit a diligenté en novembre 2016 une enquête qui a conduit à soupçonner des hommes proches de Netanyahou, dont David Shimron, avocat et cousin du Premier ministre. Celui-ci aurait perçu de juteuses commissions pour avoir réussi à contourner l’appel d’offres, et avoir mené l’opération avec TyssenKrupp pour cet équipement maritime ultrasensible, censé protéger Israël de menaces nucléaires venant d’Iran. L’ancien représentant de TyssenKrupp en Israël, Michael Ganor, s’est présenté à la justice comme témoin assisté pour faire avancer l’enquête en échange d’une réduction de peine. Yaïr Lapid, dirigeant du parti centriste Yesh Atid, a souligné que ce dossier impliquant la sécurité du
pays est « le pire scandale de pots-de-vin dans l’histoire d’Israël ». Il met en doute la défense de Netanyahou, qui assure ne pas avoir su que Shimron était concerné par cette affaire.
Quant à l’affaire 4000, elle n’implique pas directement le chef du gouvernement, mais il lui est reproché d’avoir passé sous silence ses liens d’amitié avec Shaul Elovitch, actionnaire du géant des télécommunications israélien Bezeq, anciennement propriété de l’Etat, et qui se serait indûment enrichi sur le dos de la société. Le contrôleur d’Etat Yossef Shapira a écrit dans un rapport qu’il soupçonnait aussi l’ancien responsable des communications au ministère Shlomo Filbert, également un ami de Netanyahou et ancien dirigeant du comité central du Likoud, d’avoir transmis des documents officiels à Bezeq et d’avoir orienté des décisions politiques en sa faveur, jouant ainsi le rôle d’une taupe au service du géant des télécommunications à l’intérieur du gouvernement. Pourquoi la vitesse de transmission de l’Internet en Israël est-elle moitié moins rapide qu’en Corée ? Parce que les bénéfices de Bezeq sont d’abord allés dans les poches d’Elovitch, pour qu’il puisse rembourser les sommes empruntées. Ces montants n’ont été réinvestis ni dans les infrastructures ni dans le réseau Internet national.
Si Israël se situe dans une région particulièrement instable et se trouve confronté à de multiples menaces extérieures, notamment venant d’Iran et de ses alliés, en réalité, le danger le plus grave se trouve au sein même de ses frontières. Il ne s’agit pas de la menace provenant des clivages entre le camp de la droite et celui de la gauche, ou encore entre les religieux et les athées ; mais entre ceux qui travaillent dur pour vivre honnêtement et ceux qui exploitent le système, qui profitent du pouvoir et de leurs accointances pour voler dans les caisses de l’Etat.
La société est bâtie sur la confiance que les citoyens placent dans leurs élus. Détruire cette confiance signifie que toutes les fondations vacillent, notamment celles qui soutiennent le tissu économique et permettent la croissance d’un pays. Si les gens pensent que leurs responsables décident en fonction de leur seul intérêt personnel dans le but de s’enrichir et ne se soucient pas du bien du peuple, toutes les valeurs d’une société démocratique s’effondrent et avec elles, le dynamisme et la croissance de son économie.
Espérons que la mise sur la place publique de toutes ces affaires de corruption permettra de s’engager dans une nouvelle ère d’honnêteté et de transparence, et qu’il n’y aura ainsi jamais d’affaire 5000.
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