Jabotinsky : que reste t-il de son héritage ?

Beaucoup invoquent le nom de Jabotinsky, mais 76 ans après sa mort, quels sont ceux qui partagent réellement ses vues sionistes, laïques et nationalistes ?

Zeev Jabotinsky (photo credit: JERUSALEM POST ARCHIVE)
Zeev Jabotinsky
(photo credit: JERUSALEM POST ARCHIVE)
Eté 2010, sur le mont Herzl à Jérusalem. Deux ans avant sa mort à l’âge de 102 ans, Bentsion Netanyahou se fraye prudemment un chemin vers la tombe de son mentor, Zeev Jabotinsky. Le vieil historien était le secrétaire personnel du leader nationaliste en 1940, l’année même de son décès, le 4 août (29 Tamouz) au camp du Betar à Hunter, New York. Debout à ses côtés, son fils, le Premier ministre Benjamin Netanyahou, actuel dirigeant du Likoud, considéré comme le légitime héritier du Parti révisionniste.
A l’époque de son décès, David Ben Gourion voue tant Jabotinsky aux gémonies qu’il défend de ramener son corps en Israël. C’est seulement en 1964 que Levi Eshkol, devenu à son tour Premier ministre, signera l’autorisation gouvernementale de réinhumation à Jérusalem. Les lignes de clivage entre le nationalisme laïque incarné par Jabotinsky et le socialisme personnifié par Ben Gourion sont désormais de l’histoire ancienne. Pourtant tout récemment, elles ont refait surface dans le débat politique israélien.
Un héritage contesté
Le temps semble avoir tempéré l’animosité envers Jabotinsky. Son portrait a figuré sur les billets de banque israéliens et des dizaines de rues du pays portent son nom, y compris à Tel-Aviv, où les maires sont traditionnellement de tendance travailliste.
Pour le Likoud aujourd’hui, le leader révisionniste fait figure de mascotte. Mais si sa photo est accrochée au mur dans les bureaux du parti, à côté de celle de Begin, on serait en peine de trouver plus qu’une réminiscence de son idéologie dans la politique gouvernementale menée par Netanyahou, ou dans les vues défendues par les membres de la base du Likoud. Curieusement, ceux qui fustigent la droite aujourd’hui s’appuient souvent sur son souvenir. L’ancien ministre de la Défense Moshé Yaalon a récemment déploré le fait que le parti actuel, sous-entendu celui de Netanyahou, ne corresponde plus au mouvement auquel il a adhéré, « le Likoud de Zeev Jabotinsky et de Menahem Begin ». Lors d’une session extraordinaire de la Knesset le 3 août dernier, marquant le 76e anniversaire de la mort de Jabotinsky, Benjamin Netanyahou et Yitzhak Herzog, leader du Camp sioniste, se sont tous les deux servis de son nom pour s’accuser mutuellement de parti pris idéologique à propos du contrôle exercé sur la presse israélienne. « Que penserait Jabotinsky de vos efforts pour faire taire les médias ? », a lancé Herzog. « Les électeurs trancheront dans l’isoloir et utiliseront leur télécommande pour faire valoir leur choix : telle est la position de Jabotinsky », a rétorqué Netanyahou.
Un libéral classique
Jabotinsky était une personnalité aux multiples facettes, à la fois cosmopolite et nationaliste. Sa philosophie découlait d’une conception particulière de la nature humaine : les systèmes politiques doivent tenir compte du fait que les individus sont avant tout motivés par leur intérêt personnel. Jabotinsky était, en substance, un libéral classique, selon la définition de son époque : il défendait les libertés civiles, la primauté du droit, la liberté économique et la démocratie représentative, par opposition à la démocratie directe. Parmi les politiciens actifs, on peut compter sur les doigts de la main ceux pour qui l’attachement aux idées de Jabotinsky dépasse le stade de pieuses paroles. En fait, en dehors du président Reouven Rivlin et du député Benny Begin, aucun nom ne vient vraiment à l’esprit. « Quand j’étais jeune, si on était de droite, on était libéral, et si on était libéral, on était forcément de droite », a un jour déclaré Rivlin. « Ceux qui se réclament de Jabotinsky, doivent défendre le respect des droits de l’homme pour tous les citoyens. »
Tout le contraire donc de la droite populiste, à tendance plus religieuse, qui mène aujourd’hui une politique visant à entraîner la Cour suprême israélienne, certes hyperpartisane, à se plier à la volonté populaire. Sur le plan des libertés civiles également, la droite ne semble pas vouloir limiter le pouvoir du rabbinat ultraorthodoxe. Et Netanyahou, bien que personnellement non pratiquant, a permis à l’esplanade du Mur occidental de Jérusalem de fonctionner comme s’il s’agissait d’un shtiebel. A son époque, Jabotinsky s’était prononcé contre la délégitimation du judaïsme réformé. Naturellement, déduire quelle aurait été l’attitude du leader révisionniste, mort à 59 ans, huit ans avant la création de l’Etat, face aux problèmes actuels, n’est que pure conjecture. Il était inévitablement le produit de son milieu et de son temps.
Ne demandez jamais conseil à un homme mort
Zeev (Vladimir) Jabotinsky est né le 18 octobre 1880 à Odessa, en Russie. Dans Jabotinsky : A Life (Jabotinsky : une vie), Hillel Halkin, son biographe le plus récent, décrit la ville cosmopolite, havre de diversité et de tolérance, sans ostentation religieuse. Vers la fin de l’ouvrage, l’auteur imagine que l’on vient interroger le leader révisionniste sur la situation actuelle en Israël. Et celui-ci de répondre : « Ne demandez jamais conseil à un homme mort. » De nombreux biographes insistent également sur l’atmosphère d’Odessa, cosmopolite et libérale, où « les études juives étaient rares et la vie quotidienne éloignée de la tradition » et soulignent que la cité portuaire ukrainienne, « la moins russe de toutes les villes de l’empire tsariste », a marqué d’une empreinte profonde le développement intellectuel de Jabotinsky. Selon ses propres termes, il n’a eu « aucun contact de l’intérieur avec le judaïsme », et n’a pas baigné dans l’atmosphère de la culture juive traditionnelle dans sa jeunesse.
Se serait-il senti à l’aise au sein d’un camp national qui penche à droite, non seulement sur le plan politique, mais également théologique et souvent social ? Pour Yisrael Medad, expert sur Jabotinsky et ancien leader du Betar, par ailleurs fervent partisan des implantations religieuses, on insiste beaucoup trop sur la laïcité du leader révisionniste. Selon les recherches d’Eliezer Don-Yehiya de l’université Bar-Ilan, l’attitude de celui-ci vis-à-vis de l’orthodoxie a évolué. En 1935, sa nouvelle organisation sioniste comprenait un volet qui saluait le rôle de la Torah dans la tâche de construction de la nation. « Le judaïsme dépasse largement les lois de la cacherout », y déclare Jabotinsky. En d’autres termes, il finit par reconnaître que la religion est un élément clé de la civilisation juive. Sans être véritablement croyant, il conçoit le mérite de vouloir enraciner l’éthique d’un futur système politique sioniste dans la religion. Dans les camps paramilitaires du mouvement de jeunesse du Betar (Brit Trumpeldor), la nourriture est cachère et l’on respecte le Chabbat. Jabotinsky appelle par ailleurs de ses vœux la création d’un « Etat juif véritablement juif » et souhaite voir le judaïsme nourrir le berceau de l’éducation. Vers la fin des années 1930, il remue ciel et terre pour établir une alliance avec les sionistes orthodoxes. L’accord ne se concrétisera finalement pas, mais l’arrangement était basé sur des principes plutôt que sur la simple commodité, comme ce sera le cas avec les socialistes de Ben Gourion.
Un loup pour l’homme
Jabotinsky possédait d’immenses talents. Il avait un don pour les langues : il parlait russe, hébreu, yiddish, anglais, français, italien et allemand. C’était également un orateur charismatique et envoûtant. Après avoir étudié le droit en Suisse et en Italie, il s’était très tôt tourné vers le journalisme, pour devenir le correspondant de quotidiens russes et signait souvent sous son nom de plume « Altalena ».
Si le procès Dreyfus apparaît comme un moment décisif dans la vie de Theodor Herzl, le pogrom de Kichinev en avril 1903, représente un point d’orgue dans la vie publique de Jabotinsky. Il se fait l’ardent défenseur de la légitime défense juive, et craignant que les pogroms n’atteignent Odessa, rejoint un groupe d’autodéfense naissant. Cette même année, il participe au sixième Congrès sioniste de Bâle. En 1906, il est parmi les théoriciens sionistes qui préconisent une synthèse du sionisme culturel, de l’éducation en diaspora, du travail politique et de l’implantation en Eretz Israël.
L’Organisation sioniste mondiale le nomme rédacteur en chef de plusieurs publications, et l’envoie à Constantinople en 1909. Sa vision hobbesienne du monde est déjà perceptible dans un essai de 1910 intitulé L’homme est un loup pour l’homme, dans lequel Jabotinsky écrit : « Ne crois personne, sois toujours sur tes gardes, porte toujours ton bâton avec toi – c’est le seul moyen de survivre dans ce féroce combat de tous contre tous. »
Au début de la Première Guerre mondiale, au cours de l’été 1914, un journal russe réformiste fait de Jabotinsky son correspondant itinérant en Europe. Dès le début, il prédit la victoire des Alliés sur l’Empire ottoman, qui contrôle alors la Palestine. Et, comme Weizmann (alors son camarade politique et ami), Jabotinsky souhaite voir le mouvement sioniste abandonner sa position officielle de neutralité et se ranger aux côtés de la Grande-Bretagne. Les deux hommes voient l’impérialisme britannique comme une puissance bénéfique. Avec le soutien discret de Weizmann, il fait campagne pour la création d’une Légion juive au sein de l’armée britannique afin de se battre pour la Palestine. Il considère une telle démarche comme le moyen d’associer les aspirations sionistes à celles d’une Grande-Bretagne sur le point de supplanter la Turquie ottomane au Moyen-Orient. Les Britanniques consentent seulement à la création du Corps de muletiers de Sion, qui prend part à la campagne de 1915-1916 à Gallipoli. La Légion est approuvée avec quelque retard en 1917, et en 1918, Jabotinsky et les légionnaires entrent à Jérusalem avec l’armée britannique. Mais il ne parviendra pas à convaincre Londres de maintenir la Légion juive après la Première Guerre mondiale en tant que force de combat juive en Palestine.
Peu s’en souviennent aujourd’hui, mais c’est Jabotinsky qui, en 1920, contribue à établir la Haganah à Jérusalem pour se défendre contre les émeutiers arabes durant Pessah. Pour toute récompense, les Britanniques – qui reviennent déjà sur leurs engagements du 2 novembre 1917, la fameuse Déclaration Balfour qui doit faciliter l’établissement d’un foyer national juif en Palestine – arrêtent le leader révisionniste et le condamnent à 15 ans de prison. Un tollé général s’en suit, et le Haut-Commissaire britannique Herbert Samuel lui accorde finalement l’amnistie.
Un fusil juif et une baïonnette juive
S’il y a bien une position de Jabotinsky qui fait aujourd’hui l’unanimité, c’est que le conflit israélo-arabe est un jeu où il ne peut y avoir de gagnant. Dans son célèbre essai de 1920, Le mur de fer, il affirme que le monde arabe ne fera jamais la paix avec un Etat juif, à moins d’être convaincu par la force militaire et la supériorité stratégique juives que rien ne peut empêcher l’émergence d’un tel Etat ni sa reprise par les armes.
Jabotinsky sert au sein de l’exécutif sioniste de 1921 à 1923. Jouant la mouche du coche, il se démarque de la politique sioniste de la bonne entente et du laisser-faire vis-à-vis de la Grande-Bretagne. A l’instar d’Herzl, Jabotinsky demande à l’Organisation sioniste mondiale de clarifier l’ultime objectif du sionisme, à savoir la création d’un Etat juif. Lorsqu’en janvier 1923 l’OSM lui oppose un refus, il quitte la direction du mouvement. L’empathie dont fait preuve Weizmann vis-à-vis du dilemme palestinien de la Grande-Bretagne, et le sionisme conciliant qu’il prône, conduisent à la rupture entre les deux hommes. Jabotinsky refuse de voir le mouvement souscrire à l’amputation de 77 % du territoire national juif du Mandat par les Britanniques en 1922, pour créer ce qui constitue aujourd’hui le Royaume hachémite de Jordanie.
Sur les questions intérieures, il rejette l’idée que le socialisme et la lutte des classes soient au cœur du mouvement sioniste. Ce qui compte pour lui avant tout, ce sont l’individu et les intérêts de la nation dans son ensemble. Les socialistes l’accusent d’être un ennemi des travailleurs, un militariste et le traitent même de fasciste.
Dans The Making of Modern Zionism (la formation du sionisme moderne), Shlomo Avineri, professeur de sciences politiques à l’Université hébraïque, explique que l’alternative de Jabotinsky à l’hégémonie du mouvement socialiste naissant en Palestine diffère du simple capitalisme du laisser-faire. Jabotinsky envisage une société sioniste dans laquelle le système politique fournirait un filet de protection sociale et économique, soins de santé inclus. Si par « fasciste » ses ennemis politiques sous-entendent que Jabotinsky fait preuve d’intolérance vis-à-vis des droits des minorités, défend un régime dictatorial, a recours à la démagogie ou au littéralisme religieux pour enflammer les masses, ils font fausse route. Le leader révisionniste croit fermement aux droits des minorités, dont celui des non-juifs à vivre parmi les juifs. « Bien sûr, tout cela était peut-être théorique », souligne Halkin. « Dans la pratique, il n’a jamais eu à prendre position sur les droits des minorités dans un Etat juif souverain. Mais je pense que s’il avait vécu dans un tel pays, il aurait combattu pour ces droits, aussi impopulaire que cela puisse le rendre dans certains milieux nationalistes. Il avait un sens très aigu de la justice et de l’équité. Je ne crois pas qu’il l’aurait mis en veilleuse par souci de discrétion politique. Rester fidèle à lui-même lui importait plus que de paraître impopulaire. »
Quant au militarisme, les armes pour le leader nationaliste sont une question de survie et de fierté. « Depuis des siècles, les nations du monde se sont faites à l’idée que les juifs étaient vaincus par-ci, et protégés par là. Du protectorat et de la défaite, il est difficile de discerner lequel est le plus humiliant. Il est temps de montrer au monde un fusil juif avec une baïonnette juive. »
L’exil forcé
Pour concrétiser sa philosophie, Jabotinsky crée le Parti sioniste révisionniste, le 25 avril 1925 à Paris. Il avait déjà établi le Betar à Riga en 1923, conçu ses uniformes et composé son hymne lui-même.
Sous le mandat britannique, la Haganah devient la branche armée officieuse, chargée de la défense de la communauté juive de Palestine, sous l’égide de Ben Gourion. Suite à une tournée de conférences à l’étranger, dans le sillage des émeutes arabes meurtrières de 1929, Jabotinsky se voit interdit de territoire par les autorités britanniques et contraint à un exil forcé.
Avec la montée de la violence arabe, certains dirigeants de la Haganah rejettent la politique de la havlaga (retenue) imposée par l’establishment sioniste. En signe de dissidence, inspirés par les idées de Jabotinsky, ils établissent en 1931, l’Irgoun clandestine. Dans la pratique, Jabotinsky a un rôle plutôt limité au sein de l’Irgoun, même si, après 1939, on le considère comme son commandant suprême.
Parallèlement, bien qu’en exil permanent, Jabotinsky reste étonnamment prolixe. Il écrit des nouvelles, des poèmes, des chansons, des dictionnaires, des manuels et des pièces de théâtre, sans parler de ses essais polémiques. Il traduit la poésie hébraïque en russe, et l’Enfer de Dante en hébreu. En 1926, il publie son premier roman, Samson de Nazareth.
A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Jabotinsky exige une alliance sioniste avec la Grande-Bretagne, bien que celle-ci ait choisi de fermer les portes de la Palestine aux demandeurs d’asile juifs. Cette décision des Britanniques va conduire Avraham Stern, un mois après la mort de Jabotinsky en août 1940, à former l’organisation dissidente radicale du Lehi (Lohamei Herout LeIsrael, Combattants pour la liberté d’Israël), connue sous le nom de « Groupe Stern ».
La position de Jabotinsky sur les Arabes de Palestine reste nuancée. Il ne rejette nullement les droits civils arabes. En fait, il veut créer une situation d’égalité de droits absolue. « Si cela tourne mal pour les Arabes de Palestine », écrit-il, « alors cela tournera mal pour tout le pays. Le bien-être économique, politique et culturel des Arabes sera donc toujours l’une des conditions essentielles pour la prospérité de la Terre d’Israël. » En 1937, il déclare à la Commission royale pour la Palestine qu’il n’est pas question de chasser les Arabes. « Au contraire, l’idée est que la Palestine, des deux côtés du Jourdain, peut contenir les Arabes, leur progéniture et plusieurs millions de Juifs. Je ne nie pas, cependant », poursuit-il, « que, durant ce processus, les Arabes de Palestine deviendront nécessairement une minorité. »
Mais nous sommes en 1937. L’Europe compte 9,5 millions de juifs, dont beaucoup prêts à venir s’installer en Israël, selon Jabotinsky. Six millions d’entre eux vont cependant périr assassinés lors du génocide nazi.
Mon cœur saigne pour vous
Huit mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, l’establishment sioniste socialiste rejette l’appel de Jabotinsky au boycott économique tous azimuts de l’Allemagne. Le 25 août 1933, il lance le programme de la Haavara pour le transfert des biens juifs de l’Allemagne nazie en Palestine. En ces jours d’avant-guerre, les nazis veulent, avant tout, débarrasser l’Allemagne de ses juifs, et sont prêts à faciliter l’émigration en Palestine dans un système qui permet le transfert des juifs et leur capital, sous la forme de biens d’exportation allemands. L’arrangement sape le boycott des produits allemands, mais facilite l’arrivée de quelque 60 000 juifs en Palestine.
Jabotinsky œuvre sans relâche pour favoriser l’évacuation massive des juifs d’Europe – qui devrait s’étaler sur une période de 10 ans pense-t-il initialement – en collaboration avec différents gouvernements européens, en particulier la Pologne. Mais finalement, l’Europe refuse de se mettre à dos la Grande-Bretagne, qui, en réponse à la colère arabe, réduit drastiquement l’immigration juive en Palestine. Hitler, de son côté, avance plus vite et plus diaboliquement que dans le pire cauchemar de Jabotinsky.
Le schisme entre le leader révisionniste et les socialistes prend une tournure de plus en plus viscérale. Les socialistes sont convaincus que les sbires de Jabotinsky sont responsables de l’assassinat en 1934, à Tel-Aviv, de Haïm Arlozoroff, chef du département politique de l’Agence juive et protagoniste clé du projet de la Haavara. Le fossé ne sera jamais comblé, même après le sommet commun tenu à Londres en 1934, entre Ben Gourion et le leader de la droite nationale. Le mouvement socialiste refuse toute idée de rapprochement, ce qui va pousser Jabotinsky à abandonner complètement l’Organisation sioniste mondiale.
S’adressant en yiddish à un auditoire de Varsovie, lors de Ticha BeAv, le 7 août 1938, Jabotinsky lance un avertissement étrangement prémonitoire à la communauté juive polonaise : « Je ne cesse de vous mettre en garde : la catastrophe approche... Mon cœur saigne pour vous, chers frères et sœurs, car vous refusez de voir le volcan sur le point de cracher sa lave dévorante. Je sais que votre aveuglement vient du fait que vous êtes immergés dans vos soucis quotidiens.
Aujourd’hui, cependant, je requiers votre confiance. Vous savez que mes pronostics se sont avérés exacts. S’il en est autrement, faites-moi donc sortir. En revanche, si vous ajoutez foi à mes paroles, écoutez-moi en cette heure ultime. Au nom de Dieu ! Que chacun d’entre vous sauve sa vie tant qu’il est encore temps. Et du temps, il n’en reste guère… »
Jabotinsky se verra épargné de voir se réaliser cette prophétie apocalyptique. Mais il n’assistera pas non plus à la volte-face des sionistes socialistes, qui finiront par se ranger à ses positions et réclameront explicitement un Etat juif avec une majorité juive et une immigration illimitée. Lors de ses funérailles à New York, en août 1940, des dizaines de milliers de personnes se masseront le long de la Deuxième Avenue pour tenter d’apercevoir le corbillard qui transporte sa dépouille. Les querelles sont oubliées pour un temps, et toutes les factions sionistes sont présentes à l’enterrement.
La haine entre les partisans de Jabotinsky et le camp de Ben Gourion ne fera que s’envenimer avant de décroître. Aujourd’hui, dans la pratique, elle a complètement disparu : l’histoire a, dans une certaine mesure, donné raison à chacune des parties. Mais si le combat entre Jabotinsky et la gauche est terminé, sa place à droite de l’échiquier est on ne peut plus vacillante.
Un homme du sérail, qui jouit de relations avec les courants aussi bien religieux que laïques, insiste sur le fait que la droite orthodoxe souhaite et appelle de ses vœux le soutien nationaliste laïque de la vieille école. Malgré tout, il reste difficile de se défaire du sentiment que, si la droite rend aujourd’hui hommage à Jabotinsky, c’est certainement plus par courtoisie que par fidélité à ses idées.
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