Lapid fait cavalier seul

Cantonné à siéger anonymement dans les rangs d’une opposition dont il aurait aimé prendre la tête,le chef de file de Yesh Atid est bien décidé à se bâtir une réputation

Yair Lapid à la Knesset (photo credit: REUTERS)
Yair Lapid à la Knesset
(photo credit: REUTERS)
Quand Yesh Atid se présente pour la première fois aux élections en 2013, son leader Yaïr Lapid ne cache pas ses ambitions. Il vise alors le ministère de l’Education, avec l’espoir de faire partie de la future coalition.
Le Jerusalem Post avait, à l’époque, interrogé le nouveau candidat à l’approche du scrutin, et lui avait demandé s’il envisageait, au cas où son parti enregistrerait un bon score, de réclamer le ministère des Affaires étrangères, et de confier le portefeuille de l’Education à son numéro 2 Shaï Piron. Lapid avait alors réagi comme si cette opportunité ne lui avait jamais effleuré l’esprit.
Mais au lendemain des résultats, fort de ses 19 sièges inattendus, le chef de file de Yesh Atid a été soumis à une pression à laquelle il n’était pas préparé, et qui l’a poussé à accepter le ministère des Finances. Après tout, il était arrivé en politique après avoir écrit nombre de billets d’humeur intitulés : « Où est l’argent ? ». Après avoir fait campagne sur des thèmes essentiellement socio-économiques, il ne pouvait pas se permettre de refuser de diriger l’économie du pays. Pour autant, aucun doute que le journaliste talentueux à l’accent résolument british pour avoir passé la majeure partie de son enfance à Londres aurait préféré le ministère des Affaires étrangères. Il aurait sans doute bien mieux convenu au poste.
Retour en 2015. Même si son entourage direct le nie, le poste visé par Lapid lors des dernières élections n’était autre que celui de leader de l’opposition. Le chef de file de Yesh Atid savait que les partis ultraorthodoxes étaient en bonne place pour entrer à nouveau au gouvernement. Et même si Lapid avait envisagé de siéger à leurs côtés, dans une coalition élargie, le Premier ministre Netanyahou lui avait fait clairement comprendre qu’il n’y serait pas le bienvenu.
Le leader de l’opposition dispose d’un statut formel, doté de son propre protocole. Il rencontre tous les dignitaires de passage en Israël, et les portes des grandes arènes internationales lui sont ouvertes. En privé, Lapid a en effet reconnu qu’il aurait souhaité que le chef de file du Camp sioniste, Itzhak Herzog, entre au gouvernement, lui laissant ainsi le champ libre à la tête de l’opposition, et la possibilité de constituer la seule véritable alternative au Premier ministre actuel, attendant dans l’ombre, sur son cheval blanc, de sauver Israël.
Herzog n’a pas donné à Lapid cette satisfaction. Mais peu importe, le chef de file de Yesh Atid a bien l’intention d’occuper le poste de facto. A la Knesset ou en public, il a déjà établi son propre ordre du jour, plus prédisposé à faire les gros titres que le moins charismatique et plus diplomatique leader travailliste.
La campagne a commencé
Ne serait-ce que la semaine dernière, Yaïr Lapid a passé une semaine aux Etats-Unis. Là, il a tenté d’éclipser le rôle du leader travailliste en se plaçant comme le ministre des Affaires étrangères de l’opposition. Au programme, des entretiens avec des officiels de l’administration américaine, dont le secrétaire du Trésor, Jack Lew, ou Robert Malley, en charge d’Israël au Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi avec toute une pléthore de sénateurs.
Lapid s’est également exprimé lors d’événements de premier plan, devant des milliers de participants, comme à la Conférence annuelle du Jerusalem Post, au Forum mondial de l’American Jewish Comittee (AJC), ou à l’Institut Brookings, devant des journalistes vétérans en politique étrangère.
Tout au long de sa visite, il a entendu combien la relation israélo-américaine s’était dégradée pendant les mandats du président Barack Obama et du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Il a parlé d’Iran et de boycott. Citant le besoin pour Israël de faire front commun, sans opposition, ni coalition. Mais tout en prenant soin de se différencier de ses principaux adversaires. De Netanyahou d’abord, puisque sur la question palestinienne, Lapid a pris le parti d’assurer la promotion de son propre projet de sommet régional, sous l’égide de l’Egypte et avec le soutien des Etats-Unis. Et d’Herzog ensuite. En prenant soin d’écarter toute tentative de négociations directes avec les Palestiniens.
Selon des sources présentes lors des différents meetings auxquels Lapid a pris part, le chef de file de Yesh Atid aurait été bien reçu, et traité comme un futur potentiel Premier ministre. Le seul fait qu’il reçoive autant d’invitations est la preuve que ses hôtes voient en lui un candidat sérieux, la prochaine alternative à Netanyahou. Alternative, qui dit-on, viendra d’un homme politique qui se définira lui-même comme centriste, plutôt que comme le leader de la gauche.
A écouter ses proches, Lapid entend bien continuer à faire entendre sa voix. Prochaine occasion rêvée : quand Israël se retrouvera pointé du doigt devant l’Assemblée générale des Nations unies, dans la foulée du rapport onusien sur l’opération Bordure protectrice.
Se tailler un costume sur mesure d’homme d’Etat à l’étranger, capable de faire preuve de consensus sur nombre de sujets, tout en restant un farouche combattant de la politique de Netanyahou en Israël, telle est la stratégie de Lapid. Un calcul qui pourrait s’avérer payant. Et risque bien de l’aider à se présenter comme le seul candidat sérieux lors des prochaines élections.
Et dans cette course à venir, Lapid ne visera ni le poste de ministre de l’Education, ni celui des Finances ou des Affaires étrangères, ni même la direction de l’opposition. Pour la première fois, il se présentera pour devenir le prochain Premier ministre de l’Etat d’Israël. Et si jamais il devait y parvenir, son récent voyage aux Etats-Unis sera vu, a posteriori, comme le coup d’envoi d’une épopée qui allait le mener au succès.
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