L'appel au secours de Nir Barkat

Face à la situation sécuritaire, le maire de la capitale se bat pour renforcer sa ville, et pave la voie à son avenir politique

Nir Barkat (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Nir Barkat
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Soit Nir Barkat a un sens aigu de la politique, soit il est entouré de conseillers en communication particulièrement doués. A moins qu’il ne s’agisse un peu des deux. La lettre musclée, envoyée en début de semaine dernière au Premier ministre, par le biais des médias, en est une preuve supplémentaire. La missive avait en effet un double objectif. Il s’agissait pour le maire de la capitale de lancer un appel au secours au gouvernement, mais pas seulement. Car, en fin stratège, Nir Barkat prépare son entrée dans la cour des grands et défie Benjamin Netanyahou sur son propre terrain : le Likoud.
« Il est temps de passer à l’acte. » C’est en ces termes que l’édile a interpellé le gouvernement, accusant le Premier ministre de ne pas avoir tenu sa promesse : celle de procurer des fonds spéciaux à Jérusalem. Car depuis le début de la vague de terreur, la capitale se porte mal : le tourisme est en berne, le commerce marche au ralenti, et les mesures de sécurité spectaculaires mises en œuvre coûtent cher. « Il est temps de cesser les beaux discours sur l’importance et le statut de Jérusalem », a écrit Barkat. « Continuer d’ignorer les besoins de la capitale revient à offrir une victoire au terrorisme. » Et de s’en prendre directement au ministère des Finances : « Nous nous retrouvons à nouveau dans une situation où la capitale d’Israël est contrainte de lutter contre le ministère des Finances pour recevoir le budget qui lui revient. Renforcer la ville n’est pas le seul souci de ses résidents, c’est un objectif national capital. (…) Ne mettons pas en danger la croissance continue, le développement rapide et les changements historiques que nous avons entrepris », a-t-il averti. Le maire a proposé trois mesures : l’octroi de 400 millions de shekels supplémentaires au budget 2016 de la municipalité, l’approbation d’une enveloppe d’aide d’urgence pour les entreprises en difficulté, et l’application d’un plan quinquennal pour renforcer la ville.
La réponse du Premier ministre n’a pas tardé. Le bureau de Netanyahou a rétorqué que le gouvernement investissait des milliards de shekels dans le développement de la capitale, à un rythme sans précédent. Et d’accuser le maire d’être mû par des aspirations politiques. Car Nir Barkat n’en est pas à sa première apparition publique. Depuis le début de la vague de terreur, il multiplie les déclarations et attise les polémiques. Il y a quelques semaines, il encourageait les résidents détenteurs de permis à sortir armés. Puis ordonnait la mise en place de barrages et points de contrôles autour des quartiers arabes. A ceux qui l’ont accusé de « diviser la ville en deux », il a rétorqué que la sécurité des résidents de Jérusalem n’avait pas de prix. Derrière ces formules enflammées, certains devinent une manœuvre stratégique et le soupçonnent, en politicien averti, de paver la voie à son avenir politique. La campagne pour la direction du Likoud est officieusement lancée. Entretien.
Que signifie être le maire de Jérusalem en ce moment ?
(Soupir profond) C’est une immense responsabilité. La situation est compliquée, mais je suis optimiste et convaincu que nous sommes dans la bonne direction. Dans l’ensemble, Jérusalem va de l’avant, se développe, il y a beaucoup de points positifs à relever dans tous les domaines. Néanmoins, la ville traverse en ce moment une période très difficile.
Comment expliquez-vous l’actuelle flambée de violence, alors que conformément à votre politique, des budgets plus importants ont été investis pour améliorer les conditions de vie du secteur arabe ?
A mon avis, l’Etat d’Israël ne prend pas la mesure de ce qui se trame sur les médias sociaux en arabe. Il y a une incitation à la haine,continue et pernicieuse, attestée par les services de sécurité, mais le gouvernement tarde à réagir, continue d’employer les instruments de communication classiques. Il est temps de riposter. Israël doit renforcer sa présence sur ces réseaux et répondre à cette incitation. A la municipalité, nous travaillons en ce sens par le biais de mon propre site en arabe, par exemple, ainsi que d’autres initiatives. Mais apparemment, ce n’est pas suffisant.
Quelles autres mesures ont été prises ?
Sur le terrain, la priorité a été de mettre en place des mesures de sécurité drastiques et de sensibiliser les résidents à la vigilance et au port d’armes. Tout ceci a permis le retour à un calme relatif dans les rues. Après les attentats du mois dernier, j’ai décidé de réagir immédiatement. J’ai demandé aux forces de sécurité de placer des barrages autour des quartiers arabes afin d’effectuer des contrôles. Et l’effet a été immédiat : on a constaté une amélioration spectaculaire de la situation sécuritaire.
Mais les photos d’une ville assiégée ont fait le tour des médias et véhiculé le message inverse de ce que vous avez si durement tenté d’obtenir ces dernières années. L’image d’une ville moderne, prospère, unie etc.
Pourtant rien n’a changé. Mon message est sans équivoque : lorsque les habitants de Jérusalem sont menacés, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer leur sécurité. Lorsque le sang d’innocents est versé, nous érigeons des barrages, un point c’est tout. Je le répète : la sécurité des résidents de Jérusalem passe avant tout le reste. Je suis conscient que cela complique le quotidien des résidents arabes, mais la vie des habitants de Jérusalem est plus importante que tout. En cas de terrorisme, on se doit de placer des points de contrôle et des barrières à la sortie des quartiers à risque, même au prix – et je le regrette – de compromettre la qualité de vie des résidents arabes de Jérusalem. Imaginez où nous en serions aujourd’hui si nous n’avions pas pris ces mesures.
Comment ont réagi les habitants des quartiers arabes à ces mesures ?
Les résidents arabes ont été pénalisés. Ils paient un prix très élevé, économiquement parlant. Nous avons reçu plusieurs délégations de représentants de la plupart des quartiers. Ils sont venus nous demander d’alléger ces mesures. Ils s’adressent à moi par le biais des conseils municipaux. Je leur ai offert l’aide de la municipalité, nous avons entamé un dialogue. Nous leur avons demandé de reprendre le contrôle de la jeunesse, de surveiller leurs enfants, de les envoyer à l’école, de les empêcher de prendre part à des émeutes et des actes de terreur. C’est le message que nous clamons haut et fort : tant que les résidents des quartiers arabes ne reprendront pas le contrôle de leur jeunesse, nous ne pourrons lever le siège, c’est trop dangereux. A ma grande joie, une grande partie des représentants de ces quartiers ont œuvré dans cette direction et ont pris les choses en main.
Pouvez-vous citer ces endroits ?
Bien sûr. Oum Touba, Oum Lisour, Sour Baher, Wadi Joz, Beit Hanina, Cheikh Jarah… Là où la police et la municipalité ont trouvé des dirigeants locaux responsables, nous avons allégé ou supprimé les barrages. Mais dans certains quartiers comme Isawiya et Jebl Moukaber, la situation ne s’est pas calmée, la police et les forces de sécurité sont encore déployées en masse. Nous nous adaptons à la situation sur le terrain. Mon message est clair : il n’y a pas d’alternative à une vie en commun, mais dans le même temps, nous ferons tout pour empêcher que des attentats ne soient commis.
Le Premier ministre a parlé de retirer le statut de résident de Jérusalem aux Arabes vivant au-delà de la barrière de sécurité. En tant que maire de la ville, quelle est votre position sur ce sujet ?
C’est un véritable défi. L’aptitude de la municipalité à agir au-delà de la barrière est très limitée. Il nous faut une escorte militaire, ce n’est pas une tâche aisée. En conséquence, nous avons recours à des services de sous-traitance, mais nous sommes encore loin de répondre aux besoins réels. Depuis sept ans, je soulève ce point sans arrêt et j’attire l’attention du gouvernement car la situation ne fait qu’empirer. En outre, nous ne parvenons même pas à obtenir les informations nécessaires pour nous faire une image complète de la situation. C’est une question qui me préoccupe. Nous avons proposé des solutions pratiques, mais nous n’avons toujours pas reçu de réponse.
D’après vous, les quartiers situés au-delà de la barrière de sécurité constituent-ils un fardeau pour la ville ?
Je veux d’abord m’assurer que les services municipaux soient fournis aux résidents. Nous avons proposé diverses options, mais c’est un sujet ardu. Si vous ne proposez pas de services municipaux, c’est une manière en réalité d’abandonner la zone. Et nous connaissons tous les conséquences d’une telle situation. Je soulève ce problème chaque année, et malheureusement, je n’obtiens pas de réponses. La police, le Shin Beth, la municipalité, toutes les parties impliquées sont unanimes : cette situation ne peut perdurer. Il s’agit d’une question stratégique que le gouvernement doit résoudre.
uuSi vous étiez le décideur principal, que feriez-vous ?
Pour l’instant, je ne souhaite pas aborder les diverses propositions sur lesquelles je travaille. Attendons que le gouvernement en débatte et prenne une décision.
Quelle est votre position sur la requête de certains juifs de prier sur le mont du Temple ? Après tout, certains représentants de ce mouvement sont membres de votre coalition.
Une grande majorité des Israéliens comprend l’importance de respecter et d’appliquer le statu quo. Et même si, pour beaucoup d’entre eux, ce n’est pas la solution idéale, ils s’y plient. La communauté ultraorthodoxe et la plupart des autorités religieuses se prononcent d’ailleurs contre les visites sur le mont du Temple, d’un point de vue théologique. Nous parlons donc d’une petite minorité à l’intérieur du secteur religieux. Le gouvernement actuel – comme tous les autres gouvernements précédents – insiste sur le respect du statu quo. Ce principe s’applique également aux résidents arabes, qui ont, eux aussi, tenté de modifier la situation sur le terrain, par l’action des Mourabitoun (groupes de femmes islamistes dont les membres attaquent régulièrement les visiteurs juifs sur le mont du Temple). Les deux parties doivent comprendre que toute tentative de modifier le statu quo est vouée à l’échec. Nous devons comprendre que l’application du statu quo est en lui-même un acte de souveraineté.
De nombreuses rumeurs circulent au sujet de votre avenir politique. Quelles sont vos intentions ?
J’ai toujours dit que mon intention était d’assumer deux ou trois mandats à la municipalité de Jérusalem. J’ai encore deux ans pour envisager de me présenter une troisième fois. Je n’ai pas encore pris ma décision. 
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