Les difficultés de Monsieur Sécurité

Les statistiques tendent à le prouver : Netanyahou est le plus à même d’assurer la sécurité. Mais l’actuelle vague d’attaques terroristes semble remettre en question l’efficacité du Premier ministre

"Monsieur Sécurité" (photo credit: REUTERS)
"Monsieur Sécurité"
(photo credit: REUTERS)
Tôt dimanche 4 octobre, quelques heures après qu’Aharon Benita et Nehemia Lavi aient été tués rue Hagai, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le Premier ministre Benjamin Netanyahou rentrait en Israël. Il quittait New York, après son allocution devant l’ONU et sa rencontre avec le secrétaire d’Etat John Kerry.
Parce qu’il avait déjà été critiqué pour ne pas être rentré le jeudi soir 1er octobre, immédiatement après son discours onusien, suite aux meurtres d’Eitam et Naama Henkin près d’Itamar, son bureau avait choisi de poster sur sa page Facebook une photo de lui et de son nouveau secrétaire militaire, le général de brigade Eliezer Toledano. Les deux hommes y étaient en grande conversation. Le Premier ministre tenait un dossier rouge en main, contenant vraisemblablement le rapport sécuritaire du jour.
« Je suis actuellement en route pour Israël. Dès mon arrivée, je compte me rendre à la Kirya [à Tel-Aviv] pour rencontrer les hauts responsables de la sécurité et décider d’une attaque ciblée contre le terrorisme palestinien », était-il écrit au-dessus du cliché. « Nous sommes en guerre contre le terrorisme, une guerre que nous allons mener avec force. » L’objectif était clair. Netanyahou cherchait à envoyer un message d’apaisement à sa nation de plus en plus inquiète, à rappeler qu’il a bien les choses en main, et que le terrorisme sera maîtrisé.
Le post avait suscité quelque 3 930 commentaires. Parmi eux, celui de Yariv Ovadia, un ancien diplomate du ministère des Affaires étrangères, dont la dernière mission remonte au début de la décennie, comme porte-parole de l’ambassade d’Israël à Rome. « Waouw, Bibi », avait-il écrit. « On se croirait dans cette scène du film où Superman vole et arrive pour combattre le méchant et sauver la fille. Tellement excitant. C’est comme si tu n’avais pas été Premier ministre depuis 1 000 ans et que tu n’avais jamais été sur le terrain. »
Une réputation à entretenir
Et de fait, c’est bien là que réside l’un des dilemmes de Netanyahou. Politicien vétéran, il a bâti sa carrière en persuadant le public qu’il était le plus à même de lutter contre le terrorisme et d’assurer la sécurité nationale. Dès que cette perception commence à se décomposer, il se sent la nécessité de la consolider. C’est précisément le cas, dès que des pères et mères de famille se font tuer sur les routes de Samarie ou dans les ruelles de la Vieille Ville de Jérusalem, dès qu’une femme et sa mère âgée sont terrorisées dans leur domicile de Kiryat Gat, dès qu’un passant est poignardé à proximité d’un grand centre commercial de Petah Tikva, ou dès que des pierres sont lancées contre des autobus, des voitures et des patrouilles de police à Yaffo et Lod.
Evidemment, les détracteurs de Netanyahou se font un plaisir d’accélérer ce processus de décomposition. A titre d’exemple, le quotidien ostensiblement anti-Bibi, Yediot Aharonot, a publié un article en une, ironiquement intitulé Monsieur Sécurité.
« Il s’agit là d’un mystère sans réponse », s’interrogeait Sima Kadmon, principale analyste politique du journal et farouche opposante du Premier ministre. « Comment Netanyahou a-t-il pu se tailler le costume du seul leader capable de nous apporter la sécurité, alors qu’en réalité, on va d’échec sécuritaire en échec sécuritaire, d’une guerre à un soulèvement populaire, d’une menace à une autre ? ».
« Vous souvenez-vous du slogan de campagne pondu par Arthur Finkelstein [pour Netanyahou] en 1996, “Pas de paix, pas de sécurité, pas de raison de voter Peres” ? », poursuivait-elle. « Eh bien, 20 ans après l’arrivée de Netanyahou au pouvoir, il n’y a ni paix, ni sécurité, et Israël continue de voter Bibi. »
Alors le Premier ministre a sorti le grand jeu : il s’est rendu sur la scène du meurtre du couple Henkin, accompagné du ministre de la Défense et du chef d’état-major ; a annulé une visite prévue à Berlin et convoqué réunions de sécurité sur réunions de sécurité. Ces entrevues ont souvent été suivies d’effets d’annonces. En fanfare, le gouvernement a assuré la mise en place de nouvelles mesures plutôt évidentes : le renforcement des effectifs de Tsahal en Judée-Samarie, et de la police des frontières et des forces de police régulières à Jérusalem ; l’initiation d’un processus pour accélérer la démolition des maisons des terroristes ; des actions énergiques contre l’incitation à la haine ; et même l’installation de caméras sur les bords des routes, également surveillées par voie aérienne sur l’ensemble de la Judée-Samarie.
Ces initiatives ont un impact opérationnel indéniable : si aucune d’entre elles ne pourra enrayer seule la vague de terrorisme, combinées, elles peuvent se révéler efficaces. Mais elles sont également importantes pour contribuer à créer le sentiment que le gouvernement et l’armée prennent des mesures effectives. Histoire de bien faire comprendre aux citoyens qu’il n’y a pas lieu de redouter un vide sécuritaire et qu’ils n’ont nul besoin de prendre les choses en main. Elles donnent également une impression de mouvement et s’inscrivent dans un but bien précis : consolider les lettres de créance du Premier ministre comme celui qui peut assurer la sécurité.
Les chiffres parlent
Car telle est sa carte de visite depuis des années. Netanyahou a remporté les élections en 1996, puis à nouveau en 2009, 2013, et 2015, non pas parce qu’il avait fait miroiter devant les yeux des électeurs un avenir rose en matière diplomatique ou socio-économique, mais bien parce que les citoyens lui font confiance pour enrayer le terrorisme. Et si Kadmon persiste à plaider que cette confiance est mal placée, un coup d’œil aux statistiques tend à prouver le contraire. Le nombre d’Israéliens qui ont trouvé la mort dans des actes terroristes sous un gouvernement Netanyahou est de loin inférieur à ceux enregistrés à l’époque de ses prédécesseurs, Itzhak Rabin, Ariel Sharon ou Ehoud Olmert.
Selon les données du ministère des Affaires étrangères, depuis l’arrivée au pouvoir de Netanyahou pour un second mandat, en 2009, il y a plus de six ans, 85 personnes – soit une moyenne de 13 par an – ont été tuées lors d’attaques terroristes. Au cours de la décennie précédente, entre 1999 – quand Netanyahou a perdu les élections face à Ehoud Barak – et 2009 – moment où il a repris le pouvoir –, quelque 1 183 personnes, soit une moyenne de 118 par an, ont été victimes du terrorisme. Précisons tout de même que cette période comprenait la seconde Intifada.
Plus tôt encore, entre 1996 et 1999, au cours du premier mandat Netanyahou, une moyenne de 20 décès par an a été enregistrée. Bien moins que les 202 personnes tuées avant qu’il ne remporte les élections, entre 1993 et 1996, soit une moyenne de 58 victimes par an.
Aujourd’hui, au cœur d’une nouvelle vague de violences terroristes, le sentiment qui prévaut est que nous sommes revenus aux jours mauvais et que le pays sous Netanyahou n’est pas plus en sécurité qu’avec un autre dirigeant. Pourtant, ces chiffres montrent bel et bien le contraire. Pour une raison indéterminée – ou sans doute plusieurs – sur ces 22 dernières années, moins d’Israéliens ont été tués quand Bibi était au pouvoir que quand il ne l’était pas. Mais le sentiment de sécurité est une chose subjective ; c’est ce que les gens ressentent. Personne ne se promène avec des graphiques de statistiques sous le bras.
Pas de constructions
Retour en 2005. Une des raisons pour lesquelles Ariel Sharon a finalement pu venir à bout de la deuxième Intifada est que le président américain d’alors, George W. Bush, lui a laissé une marge de manœuvre suffisante pour faire ce qui lui semblait nécessaire. Cela n’avait pas toujours été le cas. En mars 2002, Bush avait demandé à Sharon de mettre un terme immédiat à l’opération Bouclier défensif. Une requête que le Premier ministre israélien avait décidé d’ignorer. Dès lors, la pression américaine pour freiner les activités de Tsahal dans les villes palestiniennes s’était faite beaucoup moins pressante.
Une des explications souvent invoquées pour expliquer cette confiance des Etats-Unis : fin 2003, Sharon aurait dévoilé son plan de retrait de la bande de Gaza à l’administration américaine. Il prouvait ainsi que, si d’un côté Israël pouvait prendre des mesures militaires rigoureuses pour protéger ses citoyens, de l’autre, il était prêt à faire des concessions considérables aux Palestiniens.
Aujourd’hui, aucune concession d’envergure aux Palestiniens n’est à l’ordre du jour. Pourtant, Benjamin Netanyahou aurait besoin, comme Sharon à l’époque, que Washington lui accorde une certaine marge de manœuvre pour faire ce qui doit être fait, rétablir le calme et enrayer l’activité terroriste.
Le Premier ministre en est conscient : sa relation avec la Maison-Blanche n’est pas des plus chaleureuses. Pour preuve : il s’est abstenu de répondre à la vague de violences actuelles par l’annonce de projets de construction en Judée-Samarie, s’attirant les foudres de l’aile droite de sa coalition et de certains membres de son propre parti.
S’il n’a pas la liberté diplomatique de prendre les mesures qu’il juge nécessaires, le Premier ministre risque également de perdre la confiance du public, une confiance de longue date en à sa capacité de tenir les terroristes hors de portée.
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