L'idéologie de " la monarchie de Judée "

Depuis 2013, un mouvement clandestin de dizaines de militants fanatiques a pour projet de « reconstruire le Temple » grâce au terrorisme

Les "jeunes des collines" (photo credit: REUTERS)
Les "jeunes des collines"
(photo credit: REUTERS)
Il s’appelle Amiram Ben-Uliel. Le Shin Bet a révélé son nom dimanche 3 janvier. Après des semaines d’enquête, menée conjointement par l’Agence de sécurité intérieure israélienne et la police, les autorités ont procédé à son inculpation. Il est accusé d’être l’auteur de l’incendie criminel de Douma. Un mineur, A.A., aurait contribué à la planification de l’attaque. Ben-Uliel, 21 ans, vivait dans un camion près de l’avant-poste Adei Ad dans la région de Binyamin dans les territoires disputés, avant de rejoindre une communauté ultraorthodoxe voisine à Jérusalem.
Les responsables du Shin Bet ont prévenu : considérer l’attentat criminel de Douma comme un incident isolé reviendrait à occulter un phénomène plus large, l’émergence, depuis octobre 2013, d’un mouvement clandestin composé de dizaines de militants fanatiques juifs. Ces derniers se sont fixé pour objectif de renverser l’Etat et de le remplacer par une « monarchie de Judée », de construire le troisième Temple, et d’exclure les non-juifs de la terre pour y mettre en place une théocratie fondamentaliste, dirigée par un roi.
Le nombre de jeunes qui adhèrent à ces idées est minime, limité à quelques dizaines, mais chacun d’eux pourrait bien se rendre coupable d’une nouvelle attaque terroriste qui enflammerait la région. Aujourd’hui, entre 20 et 30 terroristes potentiels issus de leurs rangs, sont capables de mener un « deuxième Douma », prévient le Shin Bet. Et de préciser que les membres du renseignement, le personnel de sécurité, ainsi que d’autres personnalités publiques, pourraient être les cibles des membres de ce mouvement. Leurs efforts pour nuire à ces personnalités de l’establishment de la défense, consistent à vérifier leur identité, à localiser géographiquement leurs habitations et à recueillir des renseignements sur les écoles fréquentées par leurs enfants.
Le Royaume de Malice
L’idéologie de cette bande de fanatiques – qui, selon l’enquête du Shin Bet, ont fêté la mort d’Ali Dawabsheh, l’enfant brûlé vif dans son berceau – est influencée par les écrits de Meir Ettinger, petit-fils de Meir Kahane, aujourd’hui en détention administrative. Selon le Shin Bet, ces convictions n’ont rien à voir avec l’idéologie sioniste religieuse traditionnelle du mouvement des implantations. En outre, les quelques jeunes qui y adhèrent n’ont eu aucun contact avec de quelconques rabbins pour élaborer leur idéologie, même si elle a été inspirée par certains écrits de figures d’extrême droite.
Tout est consigné dans un manifeste intitulé Le Royaume de Malice, écrit par l’activiste Moshé Orbach. Le document, dont le Shin Bet a réussi à s’emparer en juillet 2015, contient des instructions sur la façon d’échapper à la vigilance des services de renseignement ou d’éviter de laisser derrière soi des indices compromettants. Il appelle à la mise en place de petites cellules disséminées à travers le pays, composées de trois à cinq membres chacune, dont l’objectif serait de planifier et commettre des actes terroristes. Le document contient également des instructions pratiques et détaillées. Le Royaume de Malice enseigne à ses disciples comment fabriquer un cocktail Molotov, mettre le feu à des véhicules, des mosquées et des maisons, alors que leurs habitants sont à l’intérieur.
Selon les enquêteurs, les adeptes de cette idéologie sont rassemblés dans des avant-postes de la région de Binyamin. Là où l’on recense ces dernières années une escalade évidente de la violence et une gravité exponentielle des attaques commises contre des Palestiniens. L’attentat de Douma et deux attaques contre des églises à l’intérieur même de la Ligne verte en témoignent.
Les jeunes de ce mouvement n’ont aucun contact avec leurs familles, et ont été exclus de leurs écoles et leurs yeshivot. Ils se soustraient au service militaire, et résident dans quelques collines isolées des territoires disputés, où ils mènent des vies très simples, cultivant eux-mêmes de quoi se nourrir et vivant de façon rudimentaire. Ils ne reconnaissent les autorités israéliennes en aucune façon et considèrent l’Etat comme un « ennemi étranger ».
Il n’y a ni organisation hiérarchique, ni coordination entre ces radicaux. Il s’agit plutôt de groupes d’individus opérant de façon autonome, en conformité avec cette nouvelle idéologie. Le mouvement décourage la communication entre les divers groupes qui ont mené des attentats, ce qui rend la tâche du Shin Bet qui les traque, plus complexe.
La doctrine de ces activistes prévoit de procéder par étapes. Une première phase consiste dans l’organisation des cellules. Une deuxième étape décrit le passage à l’acte : attaques terroristes et propagation des idées. Dans un troisième temps seulement, qui marquerait le début d’une « insurrection » plus large, l’Etat se verrait obligé de consentir à l’émergence de la « monarchie de Judée ». Un calendrier précis pour la construction d’un troisième Temple à Jérusalem devrait suivre.
Passage à l’acte
Selon le Shin Bet, leurs attaques terroristes ont eu lieu à l’issue de soirées qui les réunissaient autour d’un dîner pris en commun. Puis « quelques-uns se seraient mis en tête d’aller commettre un attentat ». L’attaque de Douma du 31 juillet aurait été planifiée en représailles au meurtre de Malachie Rosenfeld, le 30 juillet, près de Shvout Rachel, dans la région de Binyamin. Ben-Uliel aurait décidé de passer à l’acte après que A.A. ait accepté de le rencontrer près de l’avant-poste de la ferme de Yeshou Hadaat, situé à proximité de Adei Ad. La nuit de l’attaque, A.A. n’a pas réussi à parvenir au lieu de rendez-vous. Ben-Uliel aurait alors décidé d’agir seul ; il serait entré dans Douma avec des cocktails Molotov, et aurait choisi de mettre le feu à deux maisons situées en plein cœur du village.
« Il a choisi le bâtiment, il ne s’en est pas pris à la première habitation trouvée », a affirmé le Shin Bet. Dans l’une des maisons qu’il a ciblées, se trouvaient les Dawabsheh ; la famille qui vivait dans l’autre demeure ne s’y trouvait pas au moment des faits. Après l’attentat, Ben-Uliel est retourné à son domicile.
Le Shin Bet n’exclut pas la possibilité que Ben-Uliel n’ait pas agi seul. Cependant, selon les évidences médico-légales, les enquêteurs ne disposent pas de suffisamment de preuves leur permettant de condamner un deuxième suspect. La confession de Ben-Uliel, a ajouté l’agence, confirme les indices recueillis sur les lieux.
En marge de son arrestation, les procureurs ont interpellé trois autres suspects dimanche 3 janvier, pour d’autres infractions à la sécurité. Au total, 32 suspects ont été arrêtés à ce jour sous divers chefs d’inculpations concernant diverses infractions à la sécurité.
Les forces de sécurité disent maintenant se concentrer sur la prévention de nouvelles attaques. A cette fin, Tsahal et la police agissent conjointement pour effectuer des patrouilles nocturnes dans les points sensibles de Judée-Samarie, et faire respecter l’interdiction qui frappe les militants d’extrême droite de traverser la Ligne verte. Le Shin Bet a également déclaré que ses capacités de renseignement sur ces petites cellules d’extrémistes se sont améliorées ces derniers mois. En outre, une loi est en préparation qui devrait permettre aux tribunaux d’équiper les suspects d’extrême droite renvoyés à leur domicile, de bracelets électroniques.
« Les outils mis en place et l’application de mesures coercitives ont beaucoup perturbé les activités de cette organisation. Mais cela ne les a pas empêchés de commettre des attaques terroristes. Les conséquences qu’auraient un deuxième ou un troisième Douma sont claires pour tout le monde », insiste le Shin Bet. « La menace que fait peser ce terrorisme sur la sécurité d’Israël n’a pas cessé. Ce gang en est une des émanations. Et quelques dizaines de cellules de ce genre sont encore actives. » 
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite